10ème – 9ème chambres réunies du Conseil d’État, le 20 février 2025, n°462981

Le Conseil d’État a rendu, le 20 février 2025, une décision majeure concernant la dissolution administrative d’un groupement de fait pour menace à l’ordre public. Par un décret du 9 mars 2022, le Gouvernement a prononcé la dissolution d’un collectif militant sur le fondement du code de la sécurité intérieure. Les membres de ce groupement ont alors formé un recours pour excès de pouvoir afin de contester la légalité de cette mesure d’éviction. La juridiction administrative devait déterminer si des prises de position radicales et l’absence de modération de commentaires haineux de tiers justifiaient une telle sanction. La Haute Juridiction a rejeté la requête en validant la dissolution, tout en écartant l’un des motifs initialement retenus par l’autorité administrative. L’étude de cette décision portera d’abord sur l’exclusion du grief de provocation au terrorisme avant d’analyser la validation de la dissolution pour provocation à la haine.

I. L’exclusion motivée du grief de provocation au terrorisme

A. Une interprétation stricte des agissements terroristes Le juge administratif rappelle que les dispositions permettant la dissolution d’un groupement sont d’interprétation stricte en raison de l’atteinte à la liberté d’association. Il considère que l’expression de sympathie pour des organisations étrangères ou l’indignation face à leur classement comme terroristes ne constituent pas une provocation. Les juges précisent que « ces prises de position, si contestables qu’elles soient, ne peuvent être regardées comme des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme ». Cette approche protège le débat d’idées tant que celui-ci ne se transforme pas en une incitation directe à la commission d’actes violents. L’autorité administrative ne peut donc pas se fonder sur de simples déclarations d’opinion pour invoquer le risque terroriste sans faits matériels concrets.

B. La sauvegarde résiduelle d’un discours militant radical La décision souligne que le discours virulent du groupement n’excède pas, en lui-même, les limites de la liberté d’expression garantie par les textes internationaux. Les juges observent que les publications du collectif ne comportent pas de propos directement haineux malgré leur caractère radical et leur opposition à une entité étatique. Ils affirment que « ses prises de position n’excèdent pas, en tant que telles, les limites de la liberté d’expression garantie par l’article 10 » de la convention européenne. Cette position garantit le droit de critiquer vivement une politique étrangère ou une puissance publique sans risquer systématiquement une mesure de dissolution. Cependant, la protection accordée à l’expression de ces opinions militantes trouve ses limites dans les conséquences directes que ces discours engendrent sur l’ordre public.

II. La validation de la dissolution pour provocation à la haine

A. L’imputabilité de propos de tiers non modérés au groupement Le Conseil d’État retient que les messages diffusés par le collectif suscitent des commentaires agressifs et haineux de la part des utilisateurs sur les réseaux sociaux. Ces propos sont considérés comme des provocations à la haine ou à la violence car ils visent spécifiquement un groupe de citoyens. La juridiction estime que ces commentaires sont « imputables au groupement dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il les aurait prévenus ou modérés ». Le défaut de surveillance du compte numérique par ses responsables engage ainsi la responsabilité du collectif au regard des dispositions du code de la sécurité intérieure. Le groupement devient comptable des dérives de sa communauté lorsqu’il s’abstient volontairement de faire cesser les agissements discriminatoires sous ses propres publications.

B. La nécessité d’une mesure proportionnée au trouble à l’ordre public La gravité et la récurrence des propos haineux constatés justifient, aux yeux des juges, le recours à la mesure de dissolution comme ultime rempart. Cette sanction administrative doit présenter un caractère adapté et nécessaire pour prévenir des troubles graves à l’ordre public sur le territoire national. La Haute Assemblée conclut que « la mesure de dissolution critiquée ne présente pas un caractère disproportionné au regard des risques de troubles graves à l’ordre public ». L’équilibre entre la liberté d’association et la préservation de la paix publique est ainsi maintenu par le contrôle rigoureux du juge de l’excès de pouvoir. Cette solution confirme la fermeté du droit positif face aux discours provoquant à la discrimination dès lors qu’ils menacent la cohésion sociale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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