10ème – 9ème chambres réunies du Conseil d’État, le 26 mars 2025, n°488274

Par un arrêt en date du 26 mars 2025, le Conseil d’État est venu préciser le régime de la notification des actes de procédure dans le cadre de la demande d’asile, et plus particulièrement les conséquences de la dématérialisation des échanges entre l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et le demandeur. En l’espèce, un ressortissant sri-lankais avait vu sa demande d’asile rejetée par une décision de l’Office en date du 12 décembre 2022. Le demandeur a saisi la Cour nationale du droit d’asile, laquelle, par une décision du 13 juillet 2023, a annulé le rejet de l’Office et lui a renvoyé l’examen du dossier. Les juges du fond ont estimé que la décision de l’Office était intervenue sans que le demandeur ait bénéficié d’un entretien personnel, et que cette absence n’était pas de son fait. Saisi d’un pourvoi par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, le Conseil d’État a dû se prononcer sur la régularité de cette annulation. Le demandeur au pourvoi soutenait en substance que l’absence d’entretien était imputable au requérant, qui n’avait pas consulté la convocation régulièrement mise à sa disposition sur son espace personnel numérique sécurisé. La Cour nationale du droit d’asile avait pour sa part retenu que des circonstances personnelles, telles que l’analphabétisme et l’incapacité à utiliser les services numériques, justifiaient que l’absence d’entretien ne soit pas imputée au demandeur. La question de droit qui se posait à la haute juridiction administrative était donc de déterminer si un demandeur d’asile, régulièrement convoqué à son entretien personnel par une notification sur son espace numérique, peut utilement se prévaloir de sa situation de vulnérabilité pour justifier son absence, alors qu’il n’en avait pas informé l’administration en amont de la procédure. Le Conseil d’État répond par la négative, casse et annule la décision de la Cour nationale du droit d’asile. La haute juridiction considère que la cour a commis une erreur de droit en ne retenant pas la responsabilité du demandeur, qui n’avait fait état d’aucune circonstance l’empêchant d’accéder au procédé électronique, et qu’elle a, au surplus, dénaturé les pièces du dossier.

Cette décision vient ainsi clarifier les obligations qui pèsent sur le demandeur d’asile dans le cadre de la procédure dématérialisée (I), consacrant par là même la portée juridique de ce mode de communication administrative (II).

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I. La clarification des obligations du demandeur d’asile face à la dématérialisation de la procédure

Le Conseil d’État établit un régime de responsabilité du demandeur d’asile quant à la consultation des actes qui lui sont notifiés par voie électronique (A), ce qui a pour effet d’encadrer strictement les conditions dans lesquelles sa vulnérabilité peut être prise en compte (B).

A. Le principe d’une responsabilité de consultation pesant sur le demandeur

L’arrêt commenté énonce de manière claire que l’activation par le demandeur d’asile de son espace personnel numérique emporte des conséquences juridiques précises. Une fois cet outil activé, et en l’absence de démarche contraire de sa part, le demandeur est réputé consentir à ce mode de communication pour l’ensemble de la procédure. Le Conseil d’État juge qu’il incombe alors à l’étranger de consulter régulièrement cet espace, au moins une fois tous les quinze jours comme le prévoit l’article 4 de l’arrêté du 29 avril 2021. La solution repose sur l’idée que le demandeur devient l’acteur principal de sa communication avec l’Office.

Le raisonnement du juge de cassation est particulièrement explicite lorsqu’il affirme que « l’étranger qui n’établit ni être dans un des cas où l’OFPRA aurait dû ne pas recourir, initialement, au procédé électronique pour communiquer avec lui, ni avoir été placé durant plus de quinze jours dans l’impossibilité d’y accéder et d’en informer l’OFPRA, ne saurait invoquer utilement, à l’appui de son recours […] la circonstance qu’il n’aurait pas pu prendre connaissance en temps utile des éléments portés à sa connaissance sur son espace électronique ». Par cette formule, la haute juridiction fait peser sur le demandeur une double charge : celle de manifester son incapacité à utiliser le service numérique dès le début de la procédure, ou celle de prouver une impossibilité matérielle ultérieure et de la notifier à l’Office. Faute de satisfaire à cette exigence, le demandeur ne peut se prévaloir de son manque de diligence pour contester la régularité de la procédure.

B. Une inversion de la charge de la preuve de la vulnérabilité

La décision de la Cour nationale du droit d’asile annulée reposait sur la prise en compte de la situation personnelle du demandeur, notamment son analphabétisme et son inexpérience du numérique. Les juges du fond avaient considéré que ces éléments suffisaient à excuser son absence à l’entretien, estimant implicitement que la vulnérabilité primait sur les exigences procédurales. Le Conseil d’État adopte une approche radicalement différente en censurant ce raisonnement. Il considère que de telles circonstances ne peuvent être utilement invoquées pour la première fois au stade du recours contentieux.

En effet, le juge administratif suprême estime que la vulnérabilité ne saurait être présumée par le juge pour écarter les règles de notification dématérialisée. Il appartient au seul demandeur de se prévaloir d’une telle situation et de le faire au moment opportun, c’est-à-dire lors de l’enregistrement de sa demande ou, à défaut, dès que l’empêchement se manifeste. En exigeant cette démarche proactive, le Conseil d’État opère un renversement de la charge de la preuve. Ce n’est plus à l’administration ou au juge de rechercher les éventuelles failles du consentement du demandeur à la procédure électronique, mais au demandeur lui-même de signaler les obstacles qu’il rencontre. Cette solution, si elle renforce la sécurité juridique de la procédure, impose au demandeur une connaissance éclairée de ses droits et obligations dès son premier contact avec l’administration.

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II. Le renforcement de la portée juridique des notifications dématérialisées

En sanctionnant l’analyse des juges du fond, le Conseil d’État ne se contente pas de trancher un cas d’espèce ; il réaffirme avec force la légalité et la fiabilité du procédé de notification électronique (A), conférant à ce dernier une portée normative qui dépasse le seul cadre du droit d’asile (B).

A. La censure de l’appréciation des juges du fond pour erreur de droit

Le pourvoi en cassation permet au Conseil d’État d’exercer un contrôle sur la correcte application du droit par les juridictions inférieures, sans pour autant rejuger les faits de l’affaire. En l’espèce, le juge de cassation estime que la Cour nationale du droit d’asile a commis une erreur de droit en jugeant que l’absence d’entretien n’était pas imputable à l’intéressé. Cette censure est significative car elle porte sur l’interprétation même des textes régissant la procédure dématérialisée. Pour la haute juridiction, la cour a méconnu le sens et la portée des articles R. 531-11 et R. 531-17 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

La cassation intervient également pour dénaturation des pièces du dossier, la cour ayant affirmé à tort que l’espace numérique n’avait été activé qu’après la décision de l’Office, alors qu’il ressortait des documents que cette activation était bien antérieure. Bien que technique, ce second motif renforce le premier : non seulement l’analyse juridique de la cour était erronée, mais elle reposait sur une lecture factuellement inexacte du dossier. En combinant ces deux motifs, le Conseil d’État adresse un signal fort quant au respect scrupuleux que les juges du fond doivent porter tant aux faits qu’au cadre juridique de la dématérialisation.

B. La consécration de la fiabilité du procédé électronique comme mode de notification

Au-delà de la seule procédure d’asile, cette décision participe d’un mouvement plus large de validation par le juge administratif des processus de dématérialisation des services publics. En refusant qu’un demandeur puisse ignorer les notifications effectuées par ce biais après y avoir consenti, le Conseil d’État confère à l’espace personnel numérique sécurisé une valeur juridique équivalente à celle d’une notification par lettre recommandée avec accusé de réception. L’horodatage et les accusés de mise à disposition ou de réception prévus par les textes sont considérés comme des garanties suffisantes de la bonne information de l’usager.

La portée de cet arrêt est donc considérable. Il contribue à sécuriser les procédures administratives dématérialisées en prévenant les contestations fondées sur une négligence de l’usager. La solution adoptée tend à responsabiliser ce dernier, en partant du postulat que l’accès à ses droits est indissociable du respect de ses obligations procédurales, y compris dans un environnement numérique. Si cette orientation favorise l’efficacité de l’action administrative, elle soulève en contrepoint la question de l’accompagnement effectif des publics les plus éloignés du numérique, pour qui le respect de ces nouvelles obligations formelles constitue un défi majeur.

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