Le Conseil d’État, par une décision du 31 juillet 2025, tranche la question de la conformité au droit européen de la collecte obligatoire des civilités. Le litige opposait initialement une association de défense des droits à l’autorité de contrôle nationale en matière de données personnelles. Le demandeur contestait l’obligation faite aux usagers de choisir entre deux mentions de genre lors de l’achat de titres de transport en ligne. L’autorité de contrôle avait décidé de clôturer la plainte en considérant que ce traitement respectait les exigences de licéité prévues par le droit de l’Union. Le juge administratif a alors sursis à statuer pour interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation du principe de minimisation.
Le problème de droit réside dans la compatibilité d’une collecte obligatoire de civilités binaires avec les principes de nécessité et de proportionnalité du règlement général. La haute juridiction administrative annule la décision de clôture, affirmant que le traitement litigieux « ne peut pas être considéré comme étant nécessaire à l’exécution de ce contrat ». L’analyse de cette solution impose d’étudier l’exclusion de la nécessité contractuelle (I) avant d’envisager le contrôle rigoureux de l’intérêt légitime du responsable de traitement (II).
I. L’éviction de la nécessité contractuelle du traitement des données de civilité
Le Conseil d’État refuse de voir dans la collecte des civilités une condition sine qua non de l’exécution du service de transport. Cette position repose sur l’absence de caractère indispensable de la mention de genre (A) et sur l’insuffisance des justifications techniques ou sécuritaires (B).
A. L’absence de caractère indispensable de la mention de genre pour le service
La juridiction administrative suit l’interprétation stricte de la Cour de justice de l’Union européenne du 9 janvier 2025 concernant la base légale contractuelle. Elle estime que la personnalisation de la communication commerciale fondée sur l’identité de genre ne constitue pas un élément essentiel de la prestation de transport. Le juge souligne que le traitement n’est pas « objectivement indispensable » pour permettre l’exécution correcte des obligations découlant du contrat de voyage. Cette approche renforce l’exigence de lien direct entre la donnée collectée et la finalité technique du service proposé par l’entreprise.
B. L’insuffisance des justifications liées à l’identification ou aux services spécifiques
Le juge écarte également l’argument tenant à l’identification des passagers lors des contrôles de titres de transport nominatifs. Il relève qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’absence de mention de civilité « serait de nature à rendre plus difficile l’identification du passager ». De même, l’existence de compartiments réservés dans certains trains de nuit ne saurait justifier une collecte généralisée et obligatoire de cette information. Ces circonstances particulières ne permettent pas de valider un traitement imposé systématiquement à l’ensemble de la clientèle pour toutes les prestations.
II. Le contrôle rigoureux de l’intérêt légitime et de la minimisation
Le Conseil d’État examine ensuite si le traitement peut se fonder sur l’intérêt légitime du responsable de traitement au sens du règlement européen. Cette analyse conduit à privilégier la collecte facultative des données (A) tout en neutralisant l’argument fondé sur le droit d’opposition des usagers (B).
A. La primauté de la collecte facultative sur le fondement de l’intérêt légitime
La décision reconnaît que s’adresser aux clients selon les formes usuelles peut répondre aux attentes d’une partie de la clientèle de la société. Toutefois, le juge affirme qu’un « tel résultat aurait pu être également atteint (…) en proposant aux clients d’indiquer leur civilité de façon facultative ». Le caractère obligatoire de la saisie excède donc ce qui est strictement nécessaire pour satisfaire l’intérêt commercial ou social de l’entreprise. En imposant une alternative binaire et contraignante, le responsable de traitement méconnaît le principe de minimisation des données à caractère personnel.
B. L’inopposabilité du droit de retrait pour apprécier la licéité initiale du traitement
Enfin, la haute juridiction précise que l’existence d’un droit d’opposition ultérieur ne saurait régulariser une collecte initialement illicite ou excessive. Elle juge qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération ce droit pour « apprécier la nécessité d’un traitement de données à caractère personnel ». Cette précision garantit que le respect du principe de minimisation s’apprécie au moment même de la conception du formulaire de collecte. La décision impose ainsi à l’autorité de contrôle de réexaminer la plainte en tenant compte de ces exigences protectrices des libertés individuelles.