10ème – 9ème chambres réunies du Conseil d’État, le 4 juillet 2025, n°503717

Le Conseil d’État, par une décision du 4 juillet 2025, précise le cadre juridique de la transmission d’informations pénales aux autorités administratives. Un directeur départemental de la police nationale avait ordonné par note de service le signalement systématique de tout étranger en situation régulière placé en garde à vue. Cette mesure visait à informer les services préfectoraux des suites judiciaires pour évaluer le maintien du droit au séjour des intéressés. Plusieurs organisations ont alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nantes d’une demande de suspension de cette instruction administrative. Par une ordonnance du 4 avril 2025, le magistrat a fait droit à cette requête en retenant l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité. Le ministre requérant a formé un pourvoi en cassation contre cette décision devant la haute juridiction administrative. Le demandeur soutenait que la note de service constituait une simple modalité d’exécution des enquêtes administratives déjà autorisées par le droit positif. Les associations défenderesses soutenaient au contraire que la systématisation de ces échanges créait un traitement de données à caractère personnel dépourvu de base légale. La question posée au Conseil d’État portait sur la nécessité d’un acte réglementaire spécifique pour organiser une telle transmission automatisée de données nominatives. La juridiction rejette le pourvoi en confirmant que l’absence d’arrêté ministériel pris après avis de l’autorité de contrôle compétente entache la note d’illégalité. L’analyse portera d’abord sur la caractérisation d’un traitement de données illégal avant d’envisager la protection juridictionnelle des libertés individuelles en matière de fichiers.

I. L’identification d’un traitement de données à caractère personnel non autorisé

A. La requalification d’une mesure d’organisation en système de traitement

Le Conseil d’État relève que la note de service organise la transmission hebdomadaire de données se rapportant à la situation administrative et pénale des personnes. Cette collecte inclut des éléments extraits du traitement d’antécédents judiciaires ainsi que des précisions sur les motifs de l’interpellation et les suites judiciaires données. La haute juridiction considère que ces prescriptions ne se bornent pas à mettre en œuvre des dispositions législatives préexistantes relatives aux enquêtes administratives individuelles. En imposant une communication systématique et centralisée, l’administration crée un « traitement de données à caractère personnel » au sens de la loi du 6 janvier 1978. Cette qualification juridique est essentielle car elle soumet l’action administrative à un formalisme protecteur rigoureux destiné à prévenir les abus de surveillance. L’acte contesté dépasse ainsi la simple mesure d’organisation interne pour devenir le support d’un véritable système de gestion automatisée de l’information.

B. L’impuissance des bases légales relatives aux enquêtes administratives

Le ministre invoquait les dispositions du code de la sécurité intérieure permettant de procéder à des enquêtes administratives pour le retrait des titres de séjour. Le juge rejette cette argumentation en soulignant que la note de service prescrit une transmission indépendante de toute enquête spécifique déjà engagée par la préfecture. Le caractère automatique de l’envoi des fiches navettes rompt le lien nécessaire avec l’examen individuel d’une menace réelle pour l’ordre public. Le Conseil d’État confirme que le dispositif institué « n’entrerait pas dans le champ des dispositions » autorisant les simples consultations de fichiers judiciaires par des agents habilités. La volonté de systématiser le contrôle des étrangers dès le stade de la garde à vue ne saurait s’affranchir des garanties législatives supérieures. Cette solution rappelle que les prérogatives de police administrative doivent s’exercer dans le respect strict des procédures fixées par le législateur.

II. La protection rigoureuse des données face à l’automatisation administrative

A. L’exigence de garanties réglementaires et d’un contrôle indépendant

La loi prévoit que les traitements de données intéressant la sécurité publique ou la poursuite d’infractions doivent être autorisés par un arrêté ministériel motivé. Cette formalité impose également la saisine de l’autorité de contrôle dont l’avis doit être préalablement publié au Journal officiel de la République française. En l’espèce, le directeur local avait agi par une simple note de service sans que les autorités gouvernementales n’aient défini un cadre réglementaire. Le juge estime que ce moyen est « propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée » lors de l’examen en référé. L’absence de ce contrôle indépendant prive les citoyens d’une protection contre les risques d’arbitraire inhérents à la manipulation de données sensibles. Le respect des formes apparaît ici comme une condition substantielle de la validité de l’action administrative dans un État de droit.

B. La confirmation de la suspension pour atteinte aux droits fondamentaux

La décision valide l’analyse du juge des référés concernant la satisfaction de la condition d’urgence requise par le code de justice administrative. L’atteinte portée aux droits des personnes dont les données sont « illégalement extraites et manipulées » justifie la suspension immédiate de l’exécution de la note. Le ministre ne contestait pas sérieusement cet aspect en se bornant à arguer de la légalité de fond du traitement litigieux. Le Conseil d’État rejette cette vision restrictive et confirme que la protection de la vie privée commande une intervention rapide du juge de l’évidence. La sanction du pourvoi souligne la vigilance particulière de la juridiction suprême face aux velléités de fichage dérogatoire des populations étrangères. Cette jurisprudence renforce ainsi l’effectivité du contrôle juridictionnel sur les services de police dans l’exercice de leurs missions d’information administrative.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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