Le Conseil d’État, par une décision rendue le 7 mars 2025, précise le régime de communication des documents élaborés pour les commissions d’enquête parlementaires. Une association a sollicité la communication d’un rapport des services de renseignements transmis autrefois à une commission d’enquête parlementaire. L’administration a renvoyé la demande vers les services des archives, lesquels ont finalement opposé un refus de communication à l’intéressée. Le tribunal administratif de Paris a rejeté le recours contre ce refus par un jugement rendu en date du 2 février 2024. L’association requérante a alors formé un pourvoi en cassation afin d’obtenir l’annulation de cette décision de première instance. La question posée aux juges portait sur la nature administrative ou parlementaire de documents produits par l’administration pour le compte d’une assemblée. La haute juridiction annule le jugement pour erreur de droit mais rejette la demande au fond par une substitution de motifs. Il convient d’analyser la persistance du droit à communication malgré l’archivage avant d’étudier l’application du régime spécial des documents parlementaires.
I. La persistance de la nature juridique des documents publics Le juge administratif rappelle d’abord que le dépôt aux archives publiques ne modifie jamais le régime de communicabilité des documents administratifs. Il censure ainsi le raisonnement de la juridiction de premier ressort qui subordonnait l’accès à une procédure dérogatoire du seul fait de l’archivage.
A. Le maintien du droit de communication après l’archivage Selon le code des relations entre le public et l’administration, un document librement communicable le demeure nécessairement après son dépôt aux archives. Le Conseil d’État affirme expressément qu’en « principe un document qui, avant son dépôt aux archives publiques est librement communicable, le demeure après ce dépôt ». Cette solution protège le droit à l’information des citoyens contre les obstacles purement matériels liés à la conservation des pièces. Le tribunal administratif a donc commis une erreur de droit en exigeant une demande d’accès anticipé pour des documents consultables. Cette clarification textuelle renforce utilement la cohérence entre le droit des archives et celui de la transparence administrative contemporaine.
B. Le critère fonctionnel de qualification du document parlementaire La qualification d’un document dépend de l’autorité qui le produit ou des conditions spécifiques de son élaboration pour une mission parlementaire. Les documents reçus par les assemblées après avoir été « produits spécialement par ces personnes dans le cadre de leur mission de service public » sont parlementaires. Cette catégorie juridique englobe également les pièces qui ne sont pas « dissociables de ceux spécialement élaborés pour les assemblées parlementaires ». Le critère de la destination spéciale prévaut ici sur l’origine administrative initiale du service producteur des rapports de renseignements. L’acte perd sa nature administrative dès lors qu’il est intégré fonctionnellement aux travaux de contrôle ou d’information du Parlement. Cette intégration fonctionnelle aux travaux du pouvoir législatif impose alors l’application de règles dérogatoires au droit commun de la transparence.
II. L’autonomie du régime de communication des assemblées L’ordonnance du 17 novembre 1958 régit exclusivement l’accès aux documents parlementaires, écartant ainsi les dispositions générales du droit administratif. Cette exclusivité garantit l’indépendance du pouvoir législatif dans la gestion souveraine de ses propres travaux et de ses archives.
A. L’éviction des dispositions du droit administratif commun Les demandes de communication adressées aux assemblées parlementaires sont « exclusivement régies par l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ». Ce régime spécial fait obstacle à l’application des règles de communication de droit commun prévues pour les administrations de l’État. Le Conseil d’État confirme que les documents produits spécialement pour les besoins d’une commission d’enquête ne sont pas des documents administratifs. La loi laisse à chaque assemblée le soin de déterminer « les conditions dans lesquelles ses archives sont collectées, conservées, classées et communiquées ». Cette solution préserve le secret des travaux parlementaires non publics, sous réserve des délais de divulgation fixés par les textes.
B. La portée de la substitution de motifs en cassation Le Conseil d’État fait usage de son pouvoir de règlement au fond pour valider le refus de communication par un nouveau fondement juridique. L’administration peut invoquer devant le juge « un autre motif tiré de ce qu’il ne pouvait être procédé à la communication demandée ». En l’espèce, les documents sollicités revêtaient le caractère de documents parlementaires soumis à une réglementation impérative et très spécifique. Le juge vérifie que cette substitution ne prive le requérant d’aucune garantie procédurale essentielle liée au motif nouvellement invoqué. La décision de refus est donc maintenue malgré l’annulation du premier jugement car l’administration aurait nécessairement pris la même décision.