Par une décision en date du 15 avril 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les limites du contrôle de cassation qu’il exerce sur les décisions de la Cour nationale du droit d’asile en matière d’appréciation des faits et des preuves. En l’espèce, un ressortissant étranger, son épouse et leurs enfants s’étaient vu refuser la reconnaissance de la qualité de réfugié par une décision du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides en date du 22 février 2023. Les requérants alléguaient des risques de persécutions personnelles liés à d’anciennes relations familiales avec un opposant politique notoire, ainsi qu’à leurs propres activités militantes supposées. Saisie d’un recours contre cette décision de l’Office, la Cour nationale du droit d’asile l’a rejeté par une décision du 27 octobre 2023, estimant que les craintes des demandeurs n’étaient pas suffisamment établies. Un pourvoi en cassation a alors été formé devant le Conseil d’État, les requérants soutenant que la Cour avait dénaturé les faits et les pièces du dossier qui lui étaient soumis. La question de droit posée au juge de cassation était donc de savoir si l’appréciation par la Cour nationale du droit d’asile de la crédibilité des récits et de la force probante des éléments fournis par les demandeurs d’asile relevait de son appréciation souveraine ou si, en l’espèce, elle était entachée d’une dénaturation susceptible d’entraîner l’annulation de sa décision. Le Conseil d’État rejette le pourvoi, considérant que les juges du fond n’ont pas commis de dénaturation en jugeant les allégations et les preuves présentées comme n’étant pas convaincantes. La haute juridiction administrative confirme ainsi la portée restreinte de son contrôle sur l’appréciation des faits, tout en mettant en lumière les exigences probatoires qui pèsent sur le demandeur d’asile.
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I. La confirmation du contrôle limité du juge de cassation sur l’appréciation des faits
Le Conseil d’État, par cette décision, rappelle avec fermeté la distinction fondamentale entre le rôle du juge du fond et celui du juge de cassation, ce dernier n’exerçant qu’un contrôle restreint à l’erreur de droit et à la dénaturation. Cette solution réaffirme ainsi le principe de l’appréciation souveraine des faits par la Cour nationale du droit d’asile (A), tout en appliquant une conception stricte de la notion de dénaturation (B).
A. Le rappel du principe de l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond
La décision commentée illustre parfaitement la fonction de la Cour nationale du droit d’asile, juge de plein contentieux, qui a pour mission d’examiner l’ensemble des circonstances de fait et des éléments de preuve afin de forger sa propre conviction sur la réalité des risques de persécution. Le Conseil d’État prend soin de ne pas substituer sa propre évaluation à celle des juges du fond, se bornant à vérifier que leur raisonnement n’est pas juridiquement erroné. Il ressort ainsi de l’arrêt que la Cour nationale du droit d’asile « n’a été convaincue ni par les allégations du requérant, qu’elle a trouvées sommaires, ni par les pièces produites ». En validant cette approche, le Conseil d’État confirme que l’appréciation de la crédibilité d’un récit ou de la valeur d’une pièce relève du pouvoir souverain des juges du fond. Cette position est constante et fondamentale pour préserver la hiérarchie des degrés de juridiction. Le juge de cassation ne constitue pas un troisième degré de juridiction qui rejugerait l’affaire au fond, mais le gardien de la correcte application du droit.
B. La dénaturation, une exception d’interprétation stricte
Le pourvoi soulevait plusieurs moyens tirés de la dénaturation des faits et des pièces du dossier, seule voie permettant au juge de cassation de censurer l’appréciation souveraine des juges du fond. Le Conseil d’État examine chaque argument mais les écarte successivement, démontrant ainsi l’interprétation restrictive de cette notion. Par exemple, s’agissant d’une attestation, le requérant reprochait à la Cour d’avoir commis une erreur en mentionnant sa mère alors que le document concernait son épouse. Le Conseil d’État qualifie cette inexactitude d’« erreur de plume » qui n’a eu « aucune incidence sur son raisonnement », écartant par là même la dénaturation. De même, concernant un article de presse, la haute juridiction valide l’interprétation de la Cour qui a estimé que le document ne permettait pas d’établir avec certitude l’identité des personnes visées. La dénaturation n’est donc constituée que lorsque le juge du fond a lu un document ou un fait dans un sens manifestement contraire à ce qu’il contient, et non lorsqu’il en tire une conclusion qui n’est pas celle espérée par le requérant.
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L’office ainsi délimité du juge de cassation renforce le caractère déterminant de l’appréciation portée par la Cour nationale du droit d’asile, ce qui n’est pas sans conséquence sur la situation du demandeur.
II. La portée de la décision au regard de la charge de la preuve en matière d’asile
Cette décision, au-delà de son aspect technique, met en exergue la difficulté pour le demandeur d’asile de satisfaire aux exigences de la preuve. Elle souligne le poids de la crédibilité du récit dans un contexte où les preuves matérielles sont souvent lacunaires (A), ce qui interroge sur la portée pratique du droit au recours (B).
A. L’exigence d’une crédibilité probatoire à la charge du demandeur d’asile
Le droit d’asile repose sur une coopération entre le demandeur et l’autorité décisionnaire pour l’établissement des faits. Cependant, la décision commentée montre que la charge de la conviction pèse in fine sur le demandeur. La Cour nationale du droit d’asile a écarté les différents éléments de preuve un par un : les liens familiaux avec un ancien opposant, jugés insuffisamment étayés ; une attestation, considérée comme établie « pour les besoins de la cause » ; un article de presse jugé imprécis ; et un récit de persécutions à l’étranger jugé « peu vraisemblable ». Cette accumulation de rejets illustre la rigueur avec laquelle les preuves sont examinées. Le récit du demandeur doit être non seulement précis et détaillé, mais également corroboré par des éléments externes jugés fiables. L’absence de conviction des juges sur un point central du récit peut entraîner le rejet de la demande dans son intégralité, même si certains faits sont matériellement établis.
B. La portée limitée du pourvoi, un enjeu pour l’effectivité du droit au statut de réfugié
En confirmant que l’appréciation de la crédibilité relève du pouvoir souverain des juges du fond, sauf dénaturation flagrante, le Conseil d’État entérine une situation où les chances de succès d’un pourvoi en cassation pour de tels motifs sont très minces. Pour le demandeur d’asile, cela signifie que l’audience devant la Cour nationale du droit d’asile est souvent l’unique et dernière occasion de faire valoir pleinement son dossier et de convaincre de la réalité de ses craintes. La solution, juridiquement orthodoxe, interroge sur l’effectivité du recours en cassation comme ultime garantie pour des personnes dont la vie ou la liberté peut être menacée. Si la lutte contre les demandes infondées est un objectif légitime, la rigueur du contrôle de la preuve et la portée restreinte du pourvoi placent le demandeur dans une position de vulnérabilité, où l’intime conviction d’un juge devient l’arbitre quasi définitif de sa demande de protection.