10ème chambre du Conseil d’État, le 20 mai 2025, n°496298

Par une décision en date du 20 mai 2025, le Conseil d’État a statué sur les conséquences procédurales d’événements postérieurs à l’introduction d’un pourvoi en cassation dans le contexte du droit d’asile. En l’espèce, une personne avait sollicité la reconnaissance de la qualité de réfugié, ce que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides lui avait refusé par une première décision. La requérante a alors saisi la Cour nationale du droit d’asile, qui, par une décision du 24 mai 2024, a annulé le refus de l’office et lui a renvoyé l’examen de la demande. C’est contre cette décision de renvoi que l’office a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. Cependant, dans l’intervalle, l’office a réexaminé la situation de l’intéressée et a de nouveau rejeté sa demande par une seconde décision en date du 10 septembre 2024. Saisie une nouvelle fois, la Cour nationale du droit d’asile a, par une décision du 19 mars 2025, annulé ce second refus et reconnu la qualité de réfugié à la demanderesse. Le pourvoi formé par l’office contre la première décision de la cour conservait-il un objet, alors même qu’une décision juridictionnelle ultérieure et définitive avait statué sur le fond du droit de la requérante au statut de réfugié ? Le Conseil d’État a répondu par la négative en considérant que la décision postérieure reconnaissant le statut de réfugié privait d’objet le pourvoi initial. Il juge en effet que « cette dernière décision de la Cour nationale du droit d’asile, postérieure à l’introduction du pourvoi, rend celui-ci sans objet ». Ainsi, l’intervention d’une solution définitive au litige principal rend inutile l’examen de la légalité d’une décision de renvoi antérieure.

Cette solution conduit à examiner la logique qui préside à la disparition de l’objet du litige (I), avant d’analyser la portée d’une telle issue procédurale sur le débat juridique initial (II).

I. L’extinction procédurale du litige

Le non-lieu à statuer prononcé par le Conseil d’État est la conséquence directe d’un événement qui a vidé le pourvoi de sa substance. Cette extinction de l’instance résulte de la disparition de l’objet même du recours (A), provoquée par l’effet dirimant d’une décision juridictionnelle devenue définitive sur le fond du droit (B).

A. La disparition de l’objet du pourvoi

L’intérêt à agir d’un requérant doit s’apprécier à la date d’introduction du recours, mais il doit également perdurer jusqu’à ce que le juge statue. En l’occurrence, l’office avait initialement intérêt à contester la décision de la Cour nationale du droit d’asile du 24 mai 2024 qui annulait son refus et lui ordonnait de réexaminer une demande. L’objet de son pourvoi était précisément d’obtenir la censure de cette décision de renvoi, qui l’obligeait à instruire de nouveau le dossier. Or, la survenance d’une décision ultérieure, celle du 19 mars 2025, a entièrement modifié le cadre du litige. En accordant la qualité de réfugié, la cour a définitivement tranché la question de fond qui opposait l’office à la demanderesse. Dès lors, la question de savoir si la première décision de renvoi était ou non légale est devenue sans pertinence. L’enjeu du pourvoi initial a totalement disparu, car même si le Conseil d’État avait donné raison à l’office en annulant la décision de renvoi, cette annulation n’aurait eu aucun effet pratique, le statut de réfugié étant désormais acquis par une autre voie.

B. L’effet dirimant d’une décision ultérieure définitive

C’est bien la nature de la seconde décision de la Cour nationale du droit d’asile qui fonde le raisonnement du Conseil d’État. En reconnaissant la qualité de réfugié, cette décision a statué au fond et a mis un terme au différend. Elle a ainsi produit un effet dirimant sur l’instance en cassation pendante. Le Conseil d’État constate que le pourvoi est privé d’objet car « la Cour nationale du droit d’asile a annulé la nouvelle décision de l’OFPRA et reconnu la qualité de réfugié à Mme A… ». La solution finale apportée au droit de l’intéressée rend caduque toute discussion sur les étapes procédurales antérieures. Le juge administratif, faisant preuve de pragmatisme, refuse de se prononcer sur une question qui est devenue purement théorique. La procédure contentieuse n’a pas pour finalité de trancher des questions de principe dans l’abstrait, mais de résoudre des litiges concrets. Le litige ayant été résolu de manière définitive par une autre voie, l’instance initiale n’a plus lieu d’être.

Le prononcé de ce non-lieu à statuer, s’il est logiquement fondé, n’est pas sans conséquence sur le débat juridique qui avait été soulevé. Il révèle une forme de réalisme procédural qui, tout en assurant une bonne administration de la justice, laisse en suspens la question de droit initialement posée.

II. La portée pragmatique du non-lieu à statuer

En refusant de se prononcer sur un pourvoi devenu sans objet, le Conseil d’État adopte une position conforme à une saine économie procédurale (A). Toutefois, cette approche pragmatique conduit inévitablement à la neutralisation du débat juridique qui était au cœur du pourvoi (B).

A. Une manifestation de la bonne administration de la justice

La décision de non-lieu participe d’une bonne administration de la justice. Elle évite au juge de cassation de consacrer du temps et des ressources à l’examen d’un litige qui n’a plus d’enjeu réel pour les parties. Le juge constate simplement que les événements postérieurs ont apporté une solution définitive à la situation de la requérante. Continuer l’instruction du pourvoi reviendrait à statuer pour le seul intérêt de la doctrine ou pour la beauté d’un principe, ce qui n’est pas le rôle de la juridiction administrative suprême dans son office de règlement des litiges. Cette approche pragmatique garantit que l’activité juridictionnelle se concentre sur des cas où la décision aura un impact concret et effectif. Le Conseil d’État ne ferme pas les yeux sur la réalité factuelle et juridique qui a évolué depuis sa saisine, mais en tire au contraire toutes les conséquences procédurales. Il s’agit d’une application directe du principe selon lequel il n’y a pas d’action en justice sans un intérêt né et actuel.

B. La neutralisation du débat juridique initial

La conséquence la plus notable de cette décision est qu’elle laisse sans réponse la question de droit soulevée par l’office dans son pourvoi. Le débat portait sur la légalité de la première décision de renvoi ordonnée par la Cour nationale du droit d’asile le 24 mai 2024. L’office estimait peut-être que la cour avait commis une erreur de droit en lui renvoyant le dossier au lieu de statuer elle-même, ou qu’elle avait mal appliqué une règle de procédure ou de fond. En déclarant le pourvoi sans objet, le Conseil d’État ne se prononce pas sur le bien-fondé des moyens présentés par l’office. La question de la régularité de la première décision de la cour reste donc entière. Cette neutralisation du débat peut être source d’incertitude si le point de droit soulevé était important et susceptible de se poser à nouveau dans d’autres affaires. La solution, si elle est parfaitement justifiée en l’espèce, sacrifie l’éventuelle portée normative qu’aurait pu avoir un arrêt au fond sur l’autel du pragmatisme et de l’extinction factuelle du litige.

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Hassan KOHEN
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