Par une décision en date du 23 juillet 2025, le Conseil d’État a clarifié les modalités de communication des documents relatifs aux frais engagés par des élus locaux et leurs collaborateurs. En l’espèce, un journaliste avait sollicité la communication des justificatifs de frais de plusieurs membres de l’exécutif d’une collectivité territoriale pour une période de trois ans. Face au refus implicite de l’administration, et après un avis favorable de la Commission d’accès aux documents administratifs, le demandeur a saisi le tribunal administratif de Lyon. Les premiers juges ont annulé le refus et enjoint à la collectivité de communiquer les pièces demandées. La collectivité a alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que la demande présentait un caractère abusif en raison de la charge de travail qu’elle impliquait. Se posait donc la question de savoir si le volume important d’une demande de documents administratifs peut légalement justifier un refus de communication de la part de l’administration. Le Conseil d’État rejette le pourvoi, considérant que l’appréciation du caractère non abusif de la demande relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Il confirme par ailleurs que les notes de frais des élus et agents publics constituent bien des documents administratifs communicables, sous réserve des occultations nécessaires que l’administration doit opérer au cas par cas.
I. La confirmation du principe de communicabilité des frais des élus et de leurs collaborateurs
Le Conseil d’État réaffirme avec clarté la nature de document administratif des notes de frais, tout en écartant l’argument d’un volume de travail excessif pour justifier un refus de communication.
A. La qualification de document administratif
La Haute Juridiction administrative rappelle de manière didactique le régime juridique applicable. En vertu des dispositions du code des relations entre le public et l’administration, les notes de frais, reçus et autres justificatifs de dépenses engagées par des élus ou des agents dans le cadre de leurs fonctions constituent des documents administratifs. Le Conseil d’État énonce ainsi que « des notes de frais et reçus de déplacements ainsi que des notes de frais de restauration et reçus de frais de représentation d’élus locaux ou d’agents publics constituent des documents administratifs, communicables à toute personne qui en fait la demande ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à garantir la transparence de l’action administrative et le bon emploi des deniers publics. En effet, ces documents sont produits ou reçus par une collectivité territoriale dans le cadre de sa mission de service public, ce qui justifie leur soumission au principe de libre accès. La décision écarte par principe l’idée que de tels documents relèveraient de la vie privée des personnes concernées, dès lors qu’ils se rapportent à l’exercice d’un mandat ou d’une fonction publique.
B. Le rejet de l’argument fondé sur la charge de travail
La collectivité territoriale tentait de justifier son refus de communication en invoquant le caractère disproportionné de la charge de travail qu’impliquerait le traitement de la demande. Le Conseil d’État refuse de contrôler ce point, estimant qu’il relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Il précise que la magistrate du tribunal administratif a valablement fondé son analyse sur plusieurs éléments, notamment « les engagements répétés de cette dernière à les lui transmettre alors qu’elle ne pouvait en ignorer le nombre ». En se déchargeant sur le juge du fond pour l’examen de cette question factuelle, le Conseil d’État refuse de faire de la charge de travail un moyen de droit opérant en cassation, sauf dénaturation. Cette position renforce le droit d’accès aux documents administratifs en prévenant les refus fondés sur des motifs d’opportunité ou de simple convenance administrative. Le caractère potentiellement volumineux d’une demande n’est donc pas, en soi, une cause légale de rejet.
II. Une mise en œuvre de la transparence encadrée et pragmatique
Si le principe de communication est fermement rappelé, sa mise en œuvre pratique est nuancée par l’obligation pour l’administration d’assurer la protection de certains secrets.
A. Le rôle central de l’administration dans l’occultation des mentions protégées
La décision commentée ne consacre pas un droit d’accès aveugle et absolu. Elle rappelle que la communication doit s’effectuer dans le respect des secrets protégés par la loi, notamment la protection de la vie privée ou le secret des affaires. Le Conseil d’État précise qu’il appartient à l’autorité administrative d’effectuer un tri préalable à toute communication. Il lui incombe ainsi « d’apprécier au cas par cas, à la date à laquelle elle se prononce sur une demande de communication, si, eu égard à certaines circonstances particulières (…), la communication de ces dernières informations (…) serait de nature, par exception, à porter atteinte aux secrets et intérêts protégés ». Cette démarche impose à l’administration un examen concret de chaque document pour y occulter les mentions qui ne seraient pas communicables. La charge de cette analyse préalable pèse donc sur l’administration détentrice des documents, et non sur le demandeur. Le juge administratif contrôle ensuite que cette obligation a été correctement exécutée.
B. Une conciliation entre droit à l’information et protection des intérêts légitimes
En définitive, cette décision illustre une application équilibrée des dispositions du code des relations entre le public et l’administration. Elle ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence antérieure relative au droit d’accès. Elle offre une solution pragmatique qui renforce la transparence de la vie publique, instrument nécessaire au contrôle citoyen, sans pour autant ignorer la nécessaire protection des informations sensibles. En confiant à l’administration la responsabilité de l’occultation, et en limitant le contrôle du juge de cassation sur l’appréciation du caractère abusif de la demande, le Conseil d’État adopte une solution d’espèce. Celle-ci fournit un mode d’emploi clair aux administrations confrontées à des demandes d’information d’ampleur, les invitant à un examen diligent plutôt qu’à une opposition de principe. La portée de cet arrêt est donc avant tout pédagogique, visant à assurer l’effectivité d’un droit fondamental en démocratie.