Par une décision du 25 juillet 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conditions de recevabilité d’un recours formé contre un refus de communication de documents administratifs. En l’espèce, une association et son président, agissant en son nom propre, avaient sollicité la communication de plusieurs documents auprès d’un département, notamment des procès-verbaux et des justificatifs de dépenses. Face au silence de l’administration, valant décision implicite de rejet, les demandeurs ont saisi le tribunal administratif de Pau d’un recours pour excès de pouvoir. Par une ordonnance, la présidente de la première chambre de ce tribunal a rejeté leur demande comme manifestement irrecevable, au motif qu’ils ne justifiaient pas d’un intérêt leur donnant qualité pour agir. Le tribunal a en effet considéré que l’objet social de l’association était trop restrictif et que le requérant individuel ne démontrait pas que la décision contestée lésait ses intérêts de manière suffisamment directe et certaine. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État a été conduit à se prononcer sur la question de savoir si le droit d’accès aux documents administratifs dispense le demandeur de justifier d’un intérêt à agir pour contester en justice une décision de refus. La Haute Juridiction administrative a répondu par l’affirmative en affirmant que « la personne qui demande la communication de documents administratifs en vertu des dispositions du code des relations entre le public et l’administration relatives au droit d’accès à ces documents n’a pas à justifier d’un intérêt à ce que les documents demandés lui soient communiqués ni, par suite, de son intérêt pour agir contre le refus de les communiquer ». Le Conseil d’État en déduit que le premier juge a commis une erreur de droit en se fondant sur des motifs inopérants pour rejeter la requête, et annule par conséquent son ordonnance.
Cette décision rappelle avec force le caractère inconditionnel du droit d’accès aux documents administratifs (I), consacrant ainsi une garantie procédurale essentielle au service de la transparence administrative (II).
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I. Le caractère inconditionnel du droit d’accès aux documents administratifs
Le Conseil d’État réaffirme que l’exercice du droit à la communication de documents administratifs est détaché de la démonstration d’un intérêt personnel, censurant ainsi une analyse erronée des conditions de recevabilité par le premier juge (A) pour consacrer un droit universel et objectif (B).
A. La censure d’une appréciation erronée de l’intérêt à agir
En l’espèce, le juge de première instance avait rejeté la demande par une ordonnance de tri, estimant l’absence d’intérêt à agir des requérants. Ce faisant, il a appliqué les règles de droit commun du contentieux administratif, lesquelles exigent que tout requérant justifie d’un intérêt lésé de manière suffisamment directe et certaine par la décision attaquée. Le tribunal a ainsi examiné les statuts de l’association, jugés trop étroits, et la situation personnelle de son président, jugée insuffisamment affectée.
Or, le Conseil d’État qualifie de tels motifs d’« inopérants », considérant qu’ils ne pouvaient légalement fonder une décision d’irrecevabilité dans ce contexte particulier. En appliquant une condition de recevabilité non requise par les textes régissant le droit d’accès, la présidente du tribunal administratif a commis une erreur de droit. La Haute Juridiction administrative rappelle ainsi que les règles spécifiques priment sur les principes généraux lorsque le législateur a entendu aménager un régime particulier.
B. La réaffirmation d’un droit de portée universelle
La solution retenue par le Conseil d’État repose sur une interprétation stricte des dispositions du code des relations entre le public et l’administration. Ce texte institue un droit d’accès aux documents administratifs au profit de « toute personne », sans exiger de celle-ci qu’elle motive sa demande ou qu’elle fasse état d’une qualité ou d’un intérêt particulier. Le droit de solliciter un document est donc un droit objectif, déconnecté des intérêts subjectifs du demandeur.
En toute logique, le Conseil d’État étend cette absence de condition à la phase contentieuse. Si le droit d’obtenir un document est universel, le droit de contester un refus de communication doit l’être également. Conditionner la recevabilité du recours à la preuve d’un intérêt personnel reviendrait à vider de sa substance le droit d’accès lui-même, en le réservant à une catégorie restreinte de citoyens. La décision garantit ainsi une parfaite cohérence entre le droit substantiel et sa protection juridictionnelle.
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II. La consécration procédurale du principe de transparence administrative
Cette décision, bien que fondée sur une jurisprudence établie, revêt une portée significative en clarifiant la relation entre le droit d’accès et le droit au recours (A), tout en agissant comme un rappel pédagogique de la spécificité de ce contentieux (B).
A. La fusion du droit d’accès et du droit au recours
En jugeant que le titulaire du droit d’accès dispose par cela même de l’intérêt à agir contre un refus, le Conseil d’État lie indissociablement le fond du droit et l’action en justice. L’intérêt à agir ne s’apprécie plus au regard de la situation personnelle du requérant, mais se déduit directement de la titularité du droit que l’administration a méconnu. Cette approche fonctionnelle assure que le principe de transparence, qui sous-tend le droit à l’information, ne puisse être paralysé par des obstacles procéduraux.
Cette solution préserve l’effectivité du droit consacré par le législateur. Elle empêche une administration de se retrancher derrière un examen de la recevabilité pour échapper à son obligation de communication. La valeur de la décision réside ainsi dans sa capacité à faire du juge administratif le garant concret et accessible de la transparence administrative, en ouvrant largement les portes de son prétoire à tout citoyen confronté à l’opacité d’une autorité publique.
B. La portée d’une décision réitérative
La solution n’est pas nouvelle et s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante qui considère le droit d’accès aux documents administratifs comme une liberté fondamentale. Cependant, le fait que le Conseil d’État ait été contraint de casser une ordonnance de première instance sur ce fondement témoigne de la nécessité de rappeler périodiquement ce principe aux juridictions du fond. La décision a donc une portée avant tout pédagogique.
Elle ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni un arrêt de principe au sens strict, mais plutôt une décision de régulation, veillant à l’application uniforme du droit sur l’ensemble du territoire. Sa portée est de s’assurer que l’exception au droit commun de l’intérêt à agir, propre au contentieux de l’accès aux documents administratifs, soit correctement intégrée par tous les juges, afin que le droit à l’information des citoyens ne soit pas entravé par une interprétation trop formaliste des règles de procédure.