10ème chambre du Conseil d’État, le 29 juillet 2025, n°496537

Par une décision en date du 29 juillet 2025, le Conseil d’État a précisé les conséquences d’une condamnation pénale assortie de l’exécution provisoire sur l’exercice de mandats électoraux. En l’espèce, un élu local et régional a fait l’objet d’un jugement du tribunal correctionnel le condamnant, entre autres peines, à une interdiction d’exercer une fonction publique et à une privation de son droit d’éligibilité pour une durée de dix ans. Le tribunal a assorti sa décision, en toutes ses dispositions, de l’exécution provisoire. Trois jours après le prononcé de ce jugement, le préfet a, par un arrêté, déclaré l’élu démissionnaire d’office de l’ensemble de ses mandats.

L’élu a saisi la juridiction administrative d’une requête en annulation de cet arrêté préfectoral. Il soutenait principalement que la condamnation pénale n’étant pas définitive, le préfet ne pouvait constater sa démission d’office. Il avançait également que l’absence de notification formelle du jugement pénal au moment de l’arrêté contesté privait la condamnation de son caractère exécutoire. Enfin, il invoquait une atteinte à son droit à un recours effectif. La question de droit qui se posait au Conseil d’État était donc de savoir si une condamnation pénale à une peine d’inéligibilité, non définitive mais assortie de l’exécution provisoire, constitue une cause légale contraignant le préfet à déclarer un élu démissionnaire d’office.

Le Conseil d’État répond par l’affirmative et rejette la requête. Il juge que la condamnation prononcée par le juge pénal, dès lors qu’elle est assortie de l’exécution provisoire, constitue bien la « cause survenue postérieurement à son élection » qui prive l’élu de son droit électoral, justifiant ainsi la compétence liée du préfet pour le déclarer démissionnaire. La Haute Juridiction écarte également les autres moyens en précisant que le caractère exécutoire naît du prononcé public du jugement et que la procédure administrative distincte ne méconnaît pas le droit au recours.

Cette décision confirme avec rigueur le mécanisme de la démission d’office, en faisant de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité le fait générateur de la perte du mandat (I). Ce faisant, elle confère sa pleine portée à une solution qui, bien que sévère, se justifie par la nécessaire protection de la confiance publique et par une stricte articulation des compétences entre le juge pénal et l’autorité administrative (II).

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I. La confirmation d’un automatisme procédural rigoureux

Le Conseil d’État valide la démarche du préfet en s’appuyant sur une interprétation combinée des textes qui confère à la condamnation pénale assortie de l’exécution provisoire un effet immédiat et contraignant (A). Cette analyse le conduit logiquement à écarter les arguments du requérant fondés sur un formalisme procédural ou sur une prétendue violation de ses droits fondamentaux (B).

A. L’inéligibilité immédiate née de l’exécution provisoire

La Haute Juridiction administrative établit un lien direct entre la décision du juge pénal et l’obligation d’agir du préfet. En effet, elle énonce clairement que « le préfet est tenu de le déclarer démissionnaire d’office » dès lors qu’un élu se trouve privé de son droit électoral en vertu d’une condamnation dont le juge a ordonné l’exécution provisoire. La décision commentée ancre ainsi la perte du mandat non pas dans le caractère définitif de la condamnation, mais dans son caractère exécutoire. Cette solution découle d’une lecture croisée de l’article L. 236 du code électoral, qui vise toute « cause survenue postérieurement à son élection » rendant un élu inéligible, et de l’article 471 du code de procédure pénale, qui permet de rendre exécutoires par provision les peines complémentaires telles que l’interdiction des droits civiques.

Le Conseil d’État ne laisse subsister aucune ambiguïté sur la nature de la compétence du préfet en la matière. En utilisant le terme « tenu de », il rappelle qu’il ne s’agit pas d’une faculté mais bien d’une compétence liée. L’autorité préfectorale n’a d’autre choix que de constater la situation juridique nouvelle créée par le jugement pénal et d’en tirer les conséquences légales, à savoir la démission d’office. L’arrêté préfectoral n’est donc pas une sanction nouvelle, mais l’acte qui formalise la conséquence attachée par la loi à une décision de justice.

B. Le rejet des obstacles formels et substantiels

Face à cette logique implacable, le requérant opposait deux types d’arguments, tous deux écartés par le juge. Le premier, d’ordre formel, tenait à l’indisponibilité de la minute du jugement pénal à la date de l’arrêté contesté. Le Conseil d’État balaye cet argument en rappelant une règle fondamentale de la procédure pénale : le jugement acquiert sa force exécutoire dès sa lecture publique. Il en veut pour preuve que l’intéressé a pu exercer son droit d’appel dès le lendemain du prononcé, démontrant sa parfaite connaissance de la décision et de ses effets. Cette approche pragmatique fait prévaloir l’effectivité de la décision de justice sur un formalisme documentaire.

Le second argument, plus substantiel, portait sur l’atteinte au droit à un recours effectif. Le requérant estimait que la perte immédiate de ses mandats vidait de sa substance son droit d’appel contre la condamnation pénale. Le Conseil d’État rejette ce moyen en soulignant l’autonomie des procédures. L’acte du préfet « est sans incidence sur l’exercice des voies de recours ouvertes contre la décision de condamnation ». La voie de recours contre l’arrêté préfectoral existe devant le juge administratif, tandis que la voie de recours contre le jugement pénal se poursuit devant la cour d’appel. Les deux procédures sont distinctes et parallèles, chacune garantissant un droit au recours dans son ordre juridique propre.

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II. La justification d’une solution au service de la probité publique

La solution retenue par le Conseil d’État, si elle peut paraître d’une grande sévérité pour l’élu concerné, se justifie par l’objectif de préservation de la confiance publique envers les détenteurs de mandats électifs (A). Elle présente également l’intérêt de clarifier la portée de l’exécution provisoire dans le dialogue entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif, renforçant l’autorité de la décision du juge pénal (B).

A. La primauté de la confiance publique sur la situation individuelle de l’élu

Les dispositions du code électoral relatives à l’inéligibilité et à la démission d’office visent à garantir que les fonctions électives soient exercées par des personnes dont la probité n’est pas remise en cause par une condamnation pénale. Laisser en fonction un élu frappé d’une peine d’inéligibilité, même si un appel est pendant, serait susceptible de porter une atteinte grave à l’image et à la dignité des mandats qu’il détient. Le Conseil d’État, en validant l’effet immédiat de l’exécution provisoire, fait prévaloir cet intérêt général sur la situation individuelle de l’élu qui, bien que présumé innocent jusqu’à l’épuisement des voies de recours, a néanmoins fait l’objet d’une déclaration de culpabilité par un tribunal.

La décision commentée s’inscrit ainsi dans un mouvement plus large de renforcement des exigences éthiques applicables aux responsables publics. Elle donne sa pleine mesure à l’intention du législateur d’écarter rapidement des fonctions électives les personnes ayant fait l’objet de condamnations jugées incompatibles avec l’exercice d’un mandat public. La rigueur de la solution est le reflet de l’importance attachée au lien de confiance qui doit unir les électeurs et leurs représentants.

B. Une clarification de l’articulation entre l’action administrative et la décision pénale

Au-delà de l’espèce, la portée de cet arrêt réside dans la clarification qu’il apporte quant aux pouvoirs respectifs du juge pénal et de l’administration. En décidant de prononcer l’exécution provisoire, le juge pénal prend une décision forte qui ne saurait rester sans effet. Le Conseil d’État en tire la conséquence logique : l’administration doit exécuter cette décision sans attendre qu’elle devienne définitive. L’autorité de la chose jugée, même à titre provisoire, est ainsi pleinement reconnue.

Cette décision délimite clairement les compétences : au juge pénal, le soin de juger le comportement de l’individu et de décider, en son âme et conscience, de l’opportunité d’une exécution immédiate de la peine ; à l’administration, la seule tâche de mettre en œuvre les conséquences légales de cette décision sur le mandat électoral. Le juge administratif, quant à lui, se borne à vérifier que le préfet a correctement appliqué la loi au vu de la situation juridique créée par le jugement pénal. Cette répartition des rôles assure une sécurité juridique et une application cohérente du droit, tout en conférant une efficacité redoutable aux peines d’inéligibilité prononcées par le juge répressif.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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