Le Conseil d’État a rendu, le 31 décembre 2024, une décision relative au droit d’asile des mineures exposées à un risque de mutilations sexuelles. Un ressortissant ivoirien a sollicité, pour sa fille, la reconnaissance de la qualité de réfugiée en invoquant des craintes de persécutions dans leur pays d’origine.
L’administration compétente a rejeté cette demande par une décision du 26 septembre 2022, décision confirmée ultérieurement par la juridiction spécialisée du droit d’asile. Le père de l’enfant a formé un recours devant la Cour nationale du droit d’asile, laquelle a rejeté sa demande par une décision du 21 juin 2023.
La juridiction a fondé son rejet sur l’existence de contradictions majeures entre plusieurs certificats médicaux versés au dossier par les différentes parties à l’instance. Un premier certificat concluait à une mutilation déjà réalisée, alors que deux examens postérieurs attestaient l’absence d’excision et le maintien de l’intégrité physique.
Le requérant a alors saisi la juridiction suprême administrative afin d’obtenir l’annulation de cette décision en invoquant notamment une erreur de droit des juges du fond. La question posée consistait à déterminer si un doute sur l’état physique de l’enfant permettait d’écarter son appartenance au groupe social des femmes non mutilées.
Le Conseil d’État annule la décision attaquée en considérant que l’absence de levée du doute ne permettait pas de regarder l’intéressée comme n’appartenant plus au groupe social.
I. L’appréciation de l’intégrité physique face à des preuves contradictoires
A. L’existence d’un doute né de certificats médicaux divergents
La Cour nationale du droit d’asile avait relevé une « contradiction existant entre un certificat médical d’excision » et deux autres attestations médicales concluant au contraire. Cette divergence probatoire créait une incertitude sérieuse sur la situation réelle de la jeune fille au regard des pratiques rituelles en vigueur en Côte d’Ivoire.
L’analyse de la valeur probante des documents médicaux constitue une étape essentielle pour déterminer si la demanderesse a déjà subi ou non une atteinte irréversible. La juridiction du fond doit normalement concilier des avis d’experts dont les conclusions s’opposent frontalement sur la réalité d’une mutilation pratiquée dans le passé.
B. L’insuffisante levée du doute par les débats oraux
Les juges du fond ont estimé que les déclarations orales produites lors de l’audience publique ne permettaient pas de dissiper l’incertitude relative à l’intégrité physique. Ils ont ainsi écarté les arguments du représentant légal pour maintenir le rejet de la demande d’asile malgré les risques de persécutions invoqués.
La Cour nationale du droit d’asile a considéré que ni les propos de la requérante, ni l’ordonnance médicale produite ultérieurement n’apportaient des garanties suffisantes. Cette position restrictive a conduit la juridiction à refuser la protection internationale en se fondant sur la persistance d’une incertitude matérielle non résolue.
II. La sanction de l’erreur de droit quant à l’appartenance au groupe social
A. Le maintien de la qualité de membre du groupe social malgré l’incertitude
Le Conseil d’État considère que cette « absence de levée du doute » ne peut pas justifier l’exclusion de la requérante du groupe social des femmes ivoiriennes non-mutilées. Le juge de cassation rappelle ainsi que l’incertitude doit profiter à la protection de l’enfant mineure lorsque les risques de persécutions demeurent sérieux.
Le raisonnement des juges du fond consistait à rejeter la demande au motif qu’une mutilation antérieure ne pouvait être totalement exclue par les pièces produites. Cependant, le Conseil d’État censure cette approche car le doute sur l’intégrité physique passée n’efface pas le risque de mutilation future pour une mineure vulnérable.
B. La portée de la protection accordée face au risque d’excision
Cette solution renforce la protection des victimes potentielles en imposant au juge du fond de tirer les conséquences juridiques de ses propres constatations matérielles et médicales. L’arrêt souligne que la persistance d’une menace de mutilation impose la reconnaissance d’un besoin de protection internationale conformément aux engagements internationaux de la France.
L’erreur de droit sanctionnée par la juridiction suprême garantit que les mineures ne soient pas privées de leur statut de réfugiées par de simples doutes médicaux. La protection contre les traitements inhumains et dégradants doit prévaloir lorsque la preuve d’une protection effective dans le pays d’origine n’est pas formellement rapportée.