10ème chambre du Conseil d’État, le 7 mars 2025, n°498055

Par une décision en date du 7 mars 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité d’un acte normatif spécifique à la Polynésie française, dénommé « loi du pays ». Cet acte, adopté dans le cadre du statut d’autonomie particulier de cette collectivité d’outre-mer, fait l’objet d’un contrôle juridictionnel direct par la haute juridiction administrative.

En l’espèce, un requérant a saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation dirigé contre une « loi du pays » adoptée par l’assemblée de la Polynésie française le 22 août 2024, portant sur diverses mesures fiscales. Cet acte avait été promulgué et publié au Journal officiel de la Polynésie française le 23 août 2024. Le recours a été formé dans le délai d’un mois suivant cette publication, conformément à la procédure spécifique prévue par la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française.

Agissant sur le fondement de ce contrôle juridictionnel, le requérant soulevait deux moyens à l’encontre de la « loi du pays » contestée. Il invoquait, d’une part, une irrégularité formelle liée à l’omission des guillemets encadrant l’expression « loi du pays » dans le texte attaqué, en méconnaissance de la terminologie employée par la loi organique. D’autre part, et sur le fond, il contestait la compétence de l’assemblée de la Polynésie française pour modifier par cet acte des dispositions du code des douanes local, estimant que cette prérogative relevait de la compétence du conseil des ministres en matière de codification.

Il était donc demandé au Conseil d’État de déterminer si une simple imperfection rédactionnelle pouvait affecter la validité d’une « loi du pays ». Il lui appartenait surtout de clarifier la répartition des compétences normatives entre les organes délibérant et exécutif de la Polynésie française, s’agissant de la modification d’un code dans une matière relevant du domaine de la « loi du pays ».

La haute juridiction a rejeté l’ensemble des moyens présentés par le requérant. Elle a jugé, d’une part, que le vice de forme allégué était sans incidence sur la légalité de l’acte et, d’autre part, a confirmé la compétence de l’assemblée de la Polynésie française pour procéder aux modifications litigieuses du code des douanes. Cette décision, si elle écarte rapidement un moyen formel manifestement inopérant (I), offre une illustration précise de l’articulation des compétences normatives au sein d’une collectivité d’outre-mer à statut particulier (II).

***

I. L’affirmation d’une approche pragmatique du contrôle de légalité

Le Conseil d’État, en examinant le premier moyen soulevé, adopte une position qui privilégie la substance du droit sur un formalisme excessif. Il écarte ainsi une critique purement procédurale (A) pour concentrer son contrôle sur les aspects substantiels de la légalité de l’acte (B).

A. L’indifférence d’une simple imperfection terminologique

Le requérant tentait de soulever une irrégularité en se fondant sur l’absence de guillemets autour des termes « loi du pays » dans le texte adopté par l’assemblée polynésienne. Selon lui, cette omission constituait une méconnaissance de la terminologie employée par la loi organique statutaire de 2004. Le Conseil d’État rejette cet argument de manière particulièrement sobre et directe, en affirmant que cette circonstance « est sans incidence sur la légalité de ses dispositions ».

Cette solution témoigne du refus du juge administratif de sanctionner des erreurs matérielles ou des imperfections rédactionnelles qui ne sont pas de nature à vicier le consentement des auteurs de l’acte, à méprendre sur sa nature ou sa portée, ou à violer une formalité substantielle. Le juge se refuse à annuler un acte normatif pour un motif qui relève davantage de la rigueur typographique que de la validité juridique. En agissant ainsi, il confirme que son office n’est pas de contrôler la perfection formelle des textes, mais leur conformité aux normes supérieures.

B. La concentration du contrôle sur les vices substantiels

En écartant ce premier moyen, le Conseil d’État rappelle implicitement la nature de son contrôle sur les « lois du pays ». En vertu de l’article 180-4 de la loi organique, ce contrôle porte sur la conformité de ces actes « à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit ». Il s’agit d’un contrôle de la hiérarchie des normes, centré sur le respect des règles de fond et de compétence.

La décision illustre que le juge n’entend pas se laisser détourner de cet objectif par des arguments qui, bien que potentiellement fondés sur une lecture littérale des textes, n’affectent en rien la substance de l’acte contesté. Cette approche pragmatique permet de garantir la sécurité juridique en évitant que des actes législatifs locaux puissent être annulés pour des motifs véniels. Elle renforce la légitimité du contrôle en le concentrant sur les véritables enjeux de la légalité, au premier rang desquels figure la question de la compétence de l’auteur de l’acte.

II. La clarification de la répartition des compétences normatives en Polynésie française

Le second moyen soulevé par le requérant portait sur la question fondamentale de la répartition des compétences entre l’assemblée et le conseil des ministres de la Polynésie française. Le Conseil d’État procède à une lecture combinée des textes (A) qui aboutit à la confirmation de la primauté de la « loi du pays » dans son domaine d’application (B).

A. L’interprétation combinée des dispositions statutaires

Le requérant soutenait que la modification du code des douanes relevait de la compétence du conseil des ministres, en vertu de l’article 90 de la loi organique qui lui attribue le pouvoir de fixer les règles en matière de « Codification des réglementations de la Polynésie française ». Cependant, la haute juridiction administrative ne s’arrête pas à cette seule disposition. Elle la combine avec l’article 140 de la même loi, qui définit le champ des « lois du pays » comme les actes qui, relevant du domaine de la loi, ressortissent à la compétence de la Polynésie française.

Le juge en déduit une hiérarchie et une articulation claires entre ces compétences. Il estime que « si le conseil des ministres a compétence pour fixer les règles applicables en matière de codification, il appartient à l’assemblée de la Polynésie française d’adopter, en application des dispositions des articles 13 et 140 de la loi organique, les ‘lois du pays’ qui, dans le domaine de la loi, régissent la matière douanière ». Le raisonnement est limpide : la compétence générale de codification attribuée à l’exécutif ne saurait faire échec à la compétence législative spécifique attribuée à l’organe délibérant dans les matières qui lui sont réservées.

B. La confirmation de la primauté de la « loi du pays » dans son domaine

Cette solution a une portée significative pour l’application du statut d’autonomie polynésien. Elle confirme que la « loi du pays » est l’instrument normatif par excellence pour intervenir dans les matières qui, en métropole, relèveraient du domaine de la loi nationale. La compétence du conseil des ministres en matière de codification doit dès lors s’entendre comme une compétence d’organisation des textes, de compilation à droit constant ou de modification de dispositions de nature réglementaire, mais non comme un pouvoir de légiférer dans les matières relevant de l’assemblée.

En l’espèce, la matière douanière, hors champ pénal, relevant de la compétence de la Polynésie française et du domaine de la « loi du pays », c’est bien à l’assemblée qu’il appartenait de modifier les dispositions correspondantes, fussent-elles contenues dans un code. La décision du Conseil d’État conforte ainsi la position de l’assemblée en tant que législateur local et prévient tout empiètement de l’exécutif sur ses prérogatives normatives. Il s’agit d’une décision d’espèce qui, par sa motivation pédagogique, a vocation à stabiliser l’interprétation du droit institutionnel polynésien.

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Hassan KOHEN
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