1ère – 4ème chambres réunies du Conseil d’État, le 30 juin 2025, n°495490

Par une décision en date du 30 juin 2025, le Conseil d’État a précisé les critères d’éligibilité au remboursement de certaines aides techniques par l’assurance maladie, en application de l’article L. 165-1 du code de la sécurité sociale.

En l’espèce, une société commercialisant un élévateur de bain destiné aux personnes à mobilité réduite s’est vu refuser par l’autorité ministérielle compétente l’inscription de ce dispositif sur la liste des produits et prestations remboursables. L’administration a motivé son refus en considérant que le produit relevait de l’aménagement du logement, une catégorie explicitement exclue du remboursement par le code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 2021. Contestant cette analyse, la société requérante a formé un recours gracieux, lequel a été rejeté. Elle a alors saisi la haute juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir afin d’obtenir l’annulation de ces décisions, soutenant que le caractère mobile et non intégré de son appareil le qualifiait comme une aide technique personnelle éligible.

Il revenait donc au Conseil d’État de déterminer si un équipement d’aide à l’autonomie, amovible et transportable, devait être regardé comme participant à l’aménagement du logement de l’usager au sens des dispositions législatives précitées.

À cette question, la haute juridiction administrative répond par la négative. Elle juge que les ministres ont fait une « inexacte application des dispositions de l’article L. 165-1 du code de la sécurité sociale » en fondant leur refus sur une telle qualification. Par conséquent, le Conseil d’État annule les décisions attaquées et enjoint à l’administration de réexaminer la demande d’inscription dans un délai de six mois. Cette décision clarifie le critère de distinction entre aide technique personnelle et aménagement du logement (I), consacrant ainsi une interprétation favorable à l’autonomie des personnes en situation de handicap (II).

I. La clarification du critère de distinction entre aide technique et aménagement du logement

En annulant la décision ministérielle, le Conseil d’État définit de manière précise la notion d’aide technique exclue du remboursement. Pour ce faire, il recourt à une interprétation téléologique de la loi (A) qui le conduit à retenir un critère matériel et fonctionnel (B).

**A. L’interprétation téléologique de la loi par le juge administratif**

Le Conseil d’État assoit son raisonnement sur une lecture finaliste des dispositions de l’article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, éclairées par leur genèse. La décision rappelle que le législateur de 2021 a entendu exclure du remboursement les aides techniques dont la « fonction est (…) l’aménagement du logement de l’usager ». S’appuyant sur les travaux parlementaires, le juge administratif en déduit la volonté de ne pas faire supporter par l’assurance maladie des dépenses relevant d’autres dispositifs de soutien, notamment ceux liés à l’adaptation de l’habitat.

De cette intention, le Conseil d’État dégage une définition positive des aides techniques remboursables. Il énonce ainsi que « les aides techniques à usage individuel favorisant l’autonomie de la personne dont la fonction n’est pas l’aménagement du logement de l’usager sont celles qui répondent aux besoins particuliers de la personne considérée et qui, n’étant pas intégrées dans le bâti de son logement, peuvent être utilisées par elle y compris lorsqu’elle réside temporairement hors de son logement ». Cette définition établit une ligne de partage claire, fondée non sur le lieu d’utilisation de l’aide, mais sur sa nature intrinsèque.

**B. L’application d’un critère fonctionnel et matériel**

La haute juridiction applique ensuite cette grille de lecture aux faits de l’espèce. Elle relève que le dispositif en cause, bien qu’utilisé dans une baignoire, présente des caractéristiques matérielles déterminantes. Il s’agit d’un siège d’un poids modéré, qui « se fixe par des ventouses au fond d’une baignoire sans adaptation spécifique et qui est transportable en étant plié ». Ces éléments factuels démontrent que l’appareil n’est pas incorporé à la structure immobilière du logement.

Dès lors, le Conseil d’État censure l’analyse des ministres, qui s’étaient arrêtés à une conception purement fonctionnelle et locative de l’aménagement. En refusant l’inscription au motif que le dispositif servait dans le logement, l’administration avait omis de vérifier le critère essentiel de l’intégration au bâti. Le juge administratif substitue à cette logique une approche duale, qui combine la fonction d’aide à la personne et la caractéristique matérielle de mobilité et d’amovibilité de l’équipement.

En affinant ainsi la frontière juridique, le Conseil d’État ne se contente pas de résoudre un cas d’espèce ; il renforce la portée effective du droit à compensation du handicap.

II. La portée de la décision : une consécration d’une conception extensive de l’aide à l’autonomie

Cette solution jurisprudentielle emporte des conséquences significatives pour le droit des personnes en situation de handicap. Elle renforce le droit au remboursement pour des dispositifs innovants (A) et offre une plus grande sécurité juridique tant aux usagers qu’aux fabricants (B).

**A. Le renforcement du droit au remboursement des aides techniques innovantes**

En privilégiant le critère de la non-intégration au bâti, la décision ouvre la voie au remboursement d’une nouvelle génération d’aides techniques. Elle acte le fait que l’autonomie ne se limite pas au domicile et que les dispositifs favorisant la mobilité et la participation à la vie sociale, y compris lors de déplacements, relèvent bien de la solidarité nationale. Cette interprétation dynamique du texte législatif apparaît conforme à l’esprit du droit du handicap, qui vise à compenser les limitations d’activité en toutes circonstances.

La solution prévient ainsi le risque qu’une interprétation restrictive de l’administration ne vienne freiner l’accès à des innovations technologiques qui, par leur caractère portable et non invasif, offrent une plus grande flexibilité aux usagers. La valeur de la décision réside dans sa capacité à adapter la norme aux évolutions des produits destinés à améliorer le quotidien des personnes dépendantes, en se concentrant sur le service rendu à la personne plutôt que sur son lien avec un lieu de vie unique.

**B. La sécurisation juridique pour les fabricants et les usagers**

Au-delà du cas particulier, la portée de cet arrêt est considérable. Il fournit une doctrine claire à l’administration, qui devra désormais appliquer le critère objectif de l’intégration au bâti pour évaluer les demandes d’inscription. Le pouvoir d’appréciation des ministres se trouve ainsi encadré par une définition précise, ce qui limite l’arbitraire et garantit une meilleure prévisibilité des décisions.

Pour les fabricants de dispositifs médicaux, cette clarification constitue un signal important, leur permettant d’orienter leurs développements en connaissant plus précisément les conditions d’une prise en charge par l’assurance maladie. Pour les usagers et les associations qui les représentent, la décision offre un fondement juridique solide pour faire valoir leurs droits à l’accès à des aides techniques qui, sans être intégrées au logement, sont essentielles à leur autonomie. La solution du Conseil d’État participe ainsi au renforcement de l’effectivité des droits sociaux dans le domaine de la santé.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture