1ère – 4ème chambres réunies du Conseil d’État, le 6 juin 2025, n°492388

Le Conseil d’État, dans sa décision du 6 juin 2025, statue sur la conformité réglementaire des modalités de contrôle du travail dissimulé. Une association sollicitait l’annulation d’une décision implicite de rejet née du silence du Premier Ministre sur sa demande de modification textuelle. L’organisation critiquait les dispenses procédurales accordées aux organismes de recouvrement lors des recherches d’infractions aux interdictions de travail totalement ou partiellement dissimulé. Le litige porte sur l’absence d’avis préalable, la suppression de l’entretien de fin de contrôle et la non-communication systématique du procès-verbal initial. La haute juridiction administrative rejette l’intégralité des moyens soulevés en considérant que la fraude justifie des règles procédurales particulièrement adaptées et dérogatoires. La question posée aux juges était de savoir si les spécificités du contrôle inopiné méconnaissaient le principe constitutionnel d’égalité et les garanties conventionnelles. Le Conseil d’État affirme que la lettre d’observations permet un exercice effectif des droits de la défense même en l’absence de communication des pièces pénales.

I. La justification d’un régime dérogatoire de contrôle en matière de travail dissimulé

A. La validité de la suppression des garanties préalables à l’intervention

L’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale dispense les inspecteurs de l’envoi d’un avis de contrôle préalable pour certaines recherches. Le texte dispose que « l’organisme n’est pas tenu à cet envoi dans le cas où le contrôle est effectué pour rechercher des infractions ». Cette mesure écarte le délai de prévenance de trente jours habituellement imposé pour permettre aux agents de surprendre les éventuels manquements des cotisants. L’association requérante soutenait que cette absence d’avis privait également le redevable de l’accès immédiat à la Charte du cotisant contrôlé. Les juges considèrent que cette information reste accessible dès le début des opérations matérielles de vérification sans entraver la régularité de la procédure.

La décision souligne que cette dérogation procédurale n’entraîne aucune nullité automatique des actes accomplis par les organismes de recouvrement du régime général. Le juge précise que l’absence d’avis préalable « implique nécessairement que les indications qu’il comporte […] ne soient pas non plus données avant le début des opérations ». Cette solution privilégie l’effet de surprise indispensable à la constatation matérielle des infractions de travail illégal mentionnées par le code du travail. La protection des droits du cotisant s’efface ici temporairement devant l’impératif de recherche efficace des fraudes graves à la protection sociale.

B. L’absence d’entretien préalable justifiée par l’efficacité de la répression

Le pouvoir réglementaire écarte la proposition d’un entretien informatif avant l’envoi de la lettre d’observations dans les dossiers de travail dissimulé. Cette dispense s’applique également lorsque les agents constatent une situation d’obstacle à l’accomplissement de leurs fonctions de contrôle sur le terrain. L’association requérante dénonçait une rupture d’égalité flagrante par rapport aux procédures de contrôle de droit commun menées par les inspecteurs. Le Conseil d’État valide cette distinction en soulignant la « nature particulière des infractions constitutives de travail dissimulé » qui autorise une procédure plus rigoureuse. L’entretien préalable ne constitue pas une garantie substantielle dont la privation entacherait irrémédiablement la légalité de la procédure de recouvrement des cotisations.

L’arrêt précise que la phase contradictoire n’est pas supprimée mais simplement décalée dans le temps au profit de l’efficacité administrative immédiate. La procédure contradictoire demeure « ensuite ouverte par l’envoi de la lettre d’observations » qui récapitule les manquements identifiés lors des investigations. Cette organisation garantit que le cotisant pourra formuler ses remarques et contester les redressements envisagés avant la mise en recouvrement définitive. La haute juridiction considère que l’absence d’échange oral préalable ne porte pas d’atteinte disproportionnée aux intérêts des personnes faisant l’objet de vérifications.

II. La conciliation entre efficacité administrative et garanties des droits de la défense

A. L’équilibre entre les prérogatives de puissance publique et le principe d’égalité

Le Conseil d’État rejette le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité en justifiant les différences de traitement par l’intérêt général. Le juge relève que le risque de fraude nécessite « que leur recherche puisse être menée par des contrôles inopinés » pour être véritablement opérante. Cette différence de traitement repose sur une « différence de situation en rapport direct avec l’objet de la norme » poursuivie par le législateur. La lutte contre le travail illégal constitue un objectif à valeur constitutionnelle justifiant une modulation des droits octroyés aux entreprises contrôlées. Le dispositif n’apparaît pas manifestement disproportionné au regard des enjeux financiers et sociaux attachés à la répression de la fraude.

La juridiction administrative affirme que les modalités spécifiques de contrôle ne créent pas de discrimination injustifiée entre les différentes catégories de cotisants. Le choix de ne pas prévenir le redevable répond strictement aux nécessités de la collecte des preuves en matière de travail dissimulé. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante protégeant les capacités d’investigation des organismes de sécurité sociale face aux dissimulations d’activité. L’arrêt confirme que la préservation des ressources publiques autorise des restrictions aux libertés individuelles dès lors qu’elles restent strictement nécessaires.

B. Le maintien de garanties suffisantes malgré l’absence de communication du procès-verbal

L’association requérante critiquait l’impossibilité d’obtenir la communication du procès-verbal de travail dissimulé avant la phase de mise en recouvrement forcé. Le Conseil d’État écarte ce grief en s’appuyant sur l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La lettre d’observations doit contenir « l’ensemble des éléments permettant à la personne contrôlée de se défendre utilement » face aux griefs formulés. Elle doit mentionner l’objet du contrôle, les documents consultés et les faits constatés par les agents assermentés lors de leurs opérations. Cette énumération exhaustive compense l’absence de transmission immédiate de la pièce pénale originale ayant servi de base au redressement.

Les magistrats rappellent que le législateur n’a pas entendu imposer la remise du procès-verbal avant l’engagement des procédures de recouvrement des sommes dues. La notification des faits constatés par les agents de contrôle suffit à assurer le respect du principe général des droits de la défense. Le cotisant dispose de toutes les informations nécessaires pour contester utilement la motivation juridique et le calcul financier des cotisations éludées. La décision du 6 juin 2025 sécurise ainsi les pratiques actuelles des organismes de recouvrement tout en préservant un socle de garanties minimales.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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