Par un arrêt en date du 16 juin 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité de deux arrêtés ministériels relatifs à la tarification des prestations dans certains établissements de santé privés. Une fédération d’établissements de santé privés a saisi la haute juridiction administrative de deux requêtes en annulation pour excès de pouvoir, visant un premier arrêté du 21 décembre 2023, puis un second du 15 avril 2024 qui abrogeait et remplaçait le précédent. La fédération requérante soulevait plusieurs illégalités, tenant notamment à des vices de procédure, à l’incompétence des ministres pour fixer une période de tarification jugée incohérente avec les textes législatifs, à une méconnaissance de leurs obligations réglementaires, ainsi qu’à une erreur manifeste d’appréciation dans la définition des tarifs et des modalités de calcul d’un coefficient de transition. Il était ainsi demandé au Conseil d’État de déterminer si les modalités de fixation d’une nouvelle tarification nationale journalière, incluant un mécanisme de convergence transitoire, respectaient tant les compétences réglementaires des ministres que les principes de sécurité juridique et le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Le Conseil d’État a rejeté l’ensemble des moyens soulevés par la fédération requérante, validant ainsi les deux arrêtés contestés. Cette décision justifie l’examen du raisonnement par lequel le juge administratif a validé la méthode de tarification mise en place (I), avant d’analyser la portée de ce contrôle restreint sur la régulation économique du secteur sanitaire (II).
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I. La validation par le juge d’une réforme tarifaire complexe
Le Conseil d’État a procédé à une validation rigoureuse des actes réglementaires attaqués, en écartant d’une part les critiques portant sur leur légalité externe et la compétence de leurs auteurs (A), et en confirmant d’autre part la pertinence des critères et des méthodes de calcul employés (B).
A. Le rejet des moyens de légalité externe et de compétence
La fédération requérante contestait en premier lieu la régularité formelle de l’arrêté du 21 décembre 2023, ainsi que la compétence des ministres pour fixer une période d’application des tarifs qu’elle estimait non conforme aux dispositions législatives. Le Conseil d’État écarte ces arguments avec fermeté, en rappelant d’abord que le délai de publication d’un tel arrêté n’est pas prescrit à peine de nullité, rendant le moyen soulevé inopérant.
Ensuite, et plus fondamentalement, le juge administratif clarifie l’articulation entre la période de validité de la tarification nationale et celle du mécanisme de convergence. Il juge que les dispositions de la loi du 24 décembre 2019 « `ont pour seul objet de fixer les périodes pendant lesquelles s’applique le coefficient de transition` » et demeurent « `sans incidence sur la période pour laquelle est par ailleurs arrêtée` » la tarification nationale. Ce faisant, le Conseil d’État établit une distinction claire entre les deux temporalités, confirmant que les ministres n’ont pas excédé leur compétence en fixant une période de tarification pluriannuelle, indépendamment du calendrier du dispositif transitoire.
B. La confirmation des critères et des modalités de calcul retenus
La haute juridiction a également validé les aspects substantiels des arrêtés, notamment les critères de tarification et la formule du coefficient de transition. Face au grief d’incompétence négative, tiré de l’absence de critère territorial dans la définition des catégories d’établissements, le juge précise qu’il ne résulte nullement des textes que la prise en compte de tels critères serait une obligation. Le pouvoir réglementaire disposait donc d’une latitude pour choisir les critères pertinents, sans que cette omission puisse constituer une illégalité.
Par ailleurs, le Conseil d’État rejette le moyen tiré d’une violation de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme. Il considère que les dispositions relatives au calcul du coefficient de transition ne sont « `ni imprécises ni équivoques` », et ce, même si le calcul pour une année N se base sur des données de l’année N-1 non encore notifiées. Cette approche pragmatique reconnaît la complexité technique du dispositif sans y voir une source d’insécurité juridique pour les établissements concernés.
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II. La portée du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation en matière de régulation économique
Au-delà de la validation formelle et substantielle des textes, la décision révèle la nature du contrôle exercé par le juge sur les choix économiques de l’administration. Ce contrôle, restreint à l’erreur manifeste (A), consacre en définitive le large pouvoir d’appréciation des autorités ministérielles dans la conduite de cette réforme (B).
A. L’application d’un contrôle restreint sur les choix techniques du pouvoir réglementaire
La fédération requérante soutenait que les arrêtés étaient entachés d’une erreur manifeste d’appréciation, tant dans la fixation des montants des tarifs que dans l’absence de différenciation selon la taille des établissements. Le Conseil d’État examine ces critiques en se limitant à vérifier si les choix opérés par l’administration ne sont pas manifestement inadéquats ou incohérents au regard des données disponibles et des objectifs poursuivis.
Concernant la hiérarchie des tarifs, le juge constate que le caractère prétendument incohérent des montants n’est pas établi. S’agissant de l’absence de différenciation tarifaire selon la taille pour une certaine catégorie d’établissements, il relève que « `l’absence de différenciation a une incidence négligeable sur les recettes de la très grande majorité` » d’entre eux. Cette motivation illustre parfaitement la nature du contrôle de l’erreur manifeste : le juge ne s’interroge pas sur l’opportunité du choix, mais uniquement sur son caractère manifestement erroné ou ses conséquences disproportionnées, ce qu’il écarte en l’espèce.
B. La consécration du pouvoir d’appréciation des ministres dans la mise en œuvre de la réforme
En rejetant l’ensemble des moyens, et notamment ceux relatifs à l’erreur manifeste d’appréciation, le Conseil d’État conforte la marge de manœuvre dont dispose le pouvoir réglementaire pour mettre en œuvre des réformes économiques complexes dans le secteur de la santé. La décision valide un mécanisme de transition vers une tarification unifiée qui, par nature, modifie l’équilibre financier des acteurs, sans que les inconvénients qui en résultent pour certains suffisent à caractériser une illégalité.
La portée de cet arrêt est donc significative. Il confirme que le juge administratif exerce un contrôle prudent et pragmatique sur les actes de régulation économique. Sauf erreur grossière, incohérence flagrante ou violation directe d’une norme supérieure, il n’entend pas se substituer à l’administration pour apprécier l’opportunité de ses choix techniques et financiers. Cette décision entérine ainsi la mise en place de la réforme de la tarification des soins médicaux et de réadaptation, en dépit des contestations qu’elle a suscitées auprès des professionnels du secteur.