Par une décision en date du 17 février 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les modalités de calcul de la contribution assise sur le chiffre d’affaires des entreprises du secteur pharmaceutique. En l’espèce, une société pharmaceutique a commencé la commercialisation d’une spécialité en cours d’année 2015. Une décision du président du Comité économique des produits de santé du 27 juillet 2017 a par la suite mis à sa charge une importante remise au titre de l’année 2016, calculée sur la base de la progression de son chiffre d’affaires entre ces deux exercices. Saisi d’un recours contre la mise en demeure de payer émise par l’organisme de recouvrement, le tribunal judiciaire a sursis à statuer et renvoyé à la juridiction administrative la question de la légalité de la décision fixant le montant de la remise. Le tribunal administratif de Lyon, par un jugement du 7 novembre 2023, a jugé que cette décision n’était pas entachée d’illégalité. La société a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, soutenant que le tribunal administratif avait commis une erreur de droit. Elle arguait que pour le calcul de la progression de son chiffre d’affaires, il aurait fallu prendre en compte les revenus de l’année 2015 au prorata de la durée réelle d’exploitation de sa spécialité pharmaceutique durant cette première année incomplète. La question de droit qui se posait à la haute juridiction administrative était donc de savoir si le calcul de la progression du chiffre d’affaires, servant de base à une partie de la contribution, devait faire l’objet d’un ajustement prorata temporis lorsque l’année de référence correspond à une première année d’activité partielle. Le Conseil d’État répond par la négative, considérant que le juge administratif ne pouvait retenir une telle méthode de calcul non prévue par les textes. Il estime que « la société requérante n’est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait commis une erreur de droit en jugeant que le Comité économique des produits de santé n’avait pas, pour le calcul de la remise, à prendre en compte son chiffre d’affaires de 2015 au prorata de la durée d’exploitation de la spécialité pharmaceutique qu’elle commercialise en 2015 ». Cette solution conduit à une application rigoureuse de la loi qui, si elle offre une prévisibilité certaine, emporte des conséquences significatives pour les entreprises.
Il convient d’analyser la méthode d’interprétation stricte retenue par le Conseil d’État (I), avant d’en étudier la portée pour les entreprises entrant sur le marché (II).
I. Une interprétation littérale des modalités de calcul de la contribution
Le Conseil d’État fonde sa décision sur une lecture rigoureuse des dispositions du code de la sécurité sociale, refusant d’introduire une méthode de calcul non prévue par le législateur (A) et s’en tenant à une application stricte des cas d’exonération (B).
A. Le rejet d’une méthode de calcul correctrice non prévue par la loi
La haute juridiction administrative confirme le raisonnement du tribunal administratif en ce qu’il a appliqué littéralement les dispositions de l’article L. 138-12 du code de la sécurité sociale. Ce texte prévoit que la moitié de la contribution due par chaque entreprise est déterminée « en fonction de la progression de son chiffre d’affaires ». Or, le Conseil d’État relève que la loi ne prévoit aucune modalité de calcul spécifique, telle qu’une annualisation ou un ajustement au prorata temporis, pour les entreprises ayant démarré leur activité de commercialisation en cours d’année. Le silence du texte est ainsi interprété comme une absence de volonté du législateur d’instaurer un tel mécanisme correcteur.
En adoptant cette position, le juge administratif refuse de se substituer au législateur pour créer une règle nouvelle, même si celle-ci pouvait paraître plus équitable au regard de la situation particulière de l’entreprise. La solution retenue s’inscrit dans une logique de sécurité juridique, où le calcul d’une imposition ou d’une contribution ne peut découler que des seules prescriptions légales. Le Conseil d’État valide ainsi le fait que la progression du chiffre d’affaires soit calculée par une simple soustraction entre le chiffre d’affaires de l’année N et celui de l’année N-1, sans tenir compte du fait que l’activité en N-1 n’a porté que sur quelques mois. Cette approche, bien que mathématiquement simple, aboutit à constater une croissance mécanique et particulièrement élevée qui ne reflète pas une véritable expansion économique.
B. L’application stricte des cas d’exonération légale
Le raisonnement du Conseil d’État est renforcé par l’analyse des exceptions prévues par le législateur lui-même. L’article L. 138-12 du code de la sécurité sociale écarte explicitement de la part de la contribution assise sur la croissance du chiffre d’affaires « les entreprises créées depuis moins d’un an », sauf en cas de scission ou de fusion. La société requérante, ayant été créée en avril 2015, ne pouvait bénéficier de cette dérogation pour la contribution due au titre de l’année 2016. Le juge en déduit a contrario que le législateur, en prévoyant une seule exception liée à l’ancienneté de l’entreprise, n’a pas entendu viser d’autres situations.
L’existence d’une exception précisément délimitée interdit au juge d’en étendre le champ d’application ou d’en créer une nouvelle par analogie pour des entreprises qui, sans être nouvelles au sens strict, connaissent leur première année pleine d’exploitation. La décision commentée souligne ainsi la différence de traitement entre une entreprise de moins d’un an, totalement exonérée de cette part de la contribution, et une entreprise d’un peu plus d’un an, qui y est soumise sur la base d’une croissance artificiellement gonflée. Cette rigueur interprétative, si elle assure la prévisibilité de la norme, n’est pas sans conséquence sur la situation des entreprises entrant sur le marché.
II. La portée d’une solution rigoureuse pour les nouvelles entreprises
La décision du Conseil d’État, en validant un mode de calcul défavorable, consacre une forme de risque financier pour les lancements de produits en cours d’année (A) et pourrait inciter à une clarification de la part du législateur (B).
A. La consécration d’un risque financier pour les lancements en cours d’année
La solution retenue a pour effet direct de pénaliser les entreprises qui choisissent, ou sont contraintes, de lancer une nouvelle spécialité pharmaceutique en cours d’exercice fiscal. En effet, lors de leur première année civile complète de commercialisation, elles feront face à une contribution calculée sur une base de croissance qui ne correspond pas à une performance économique réelle, mais à un simple effet mécanique de calendrier. Cette situation peut représenter un frein économique non négligeable et constituer une barrière à l’entrée pour de nouveaux acteurs sur le marché pharmaceutique.
Cette décision place les entreprises devant un choix stratégique complexe. Elles pourraient être incitées à retarder le lancement de leurs produits au début d’une année civile pour éviter cet écueil fiscal, ce qui peut aller à l’encontre de leurs impératifs commerciaux ou des besoins de santé publique. La rigueur de la solution, bien que juridiquement fondée sur une interprétation stricte de la loi, soulève ainsi des questions sur sa pertinence économique et son adéquation avec les objectifs de dynamisme du marché. Elle crée une forme d’iniquité entre les entreprises déjà installées, dont la croissance est mesurée sur des bases stables, et les nouveaux entrants.
B. Une incitation implicite à une clarification législative
En mettant en lumière les effets potentiellement disproportionnés d’une application littérale de la loi, la décision du Conseil d’État agit comme un révélateur des lacunes ou des impensés du dispositif légal. Le juge administratif, en refusant de combler ce qu’il perçoit comme un silence du législateur, renvoie implicitement la balle dans le camp de ce dernier. Il appartient en effet au Parlement, et non au juge, de corriger les effets de bord d’une loi s’il les estime contraires à l’objectif poursuivi ou à l’équité.
Cette affaire pourrait donc encourager les pouvoirs publics à réexaminer les modalités de calcul de cette contribution. Une modification de l’article L. 138-12 du code de la sécurité sociale pourrait être envisagée, afin d’introduire un mécanisme d’ajustement prorata temporis ou une autre méthode de neutralisation pour les entreprises se trouvant dans cette situation. Une telle réforme permettrait de concilier l’objectif de maîtrise des dépenses de santé, qui sous-tend cette contribution, avec la nécessité de ne pas pénaliser indûment les nouvelles initiatives économiques dans un secteur stratégique. La décision du Conseil d’État, par sa rigueur même, pourrait ainsi devenir le point de départ d’une évolution future du droit positif.