1ère chambre du Conseil d’État, le 17 février 2025, n°495149

Par une décision en date du 17 février 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité d’une sanction de déconventionnement temporaire infligée à un centre de santé par une caisse primaire d’assurance maladie. En l’espèce, un centre de santé a fait l’objet d’une suspension, pour une durée d’un an, de la possibilité d’exercer dans le cadre conventionnel, suite à un contrôle ayant mis en évidence un grand nombre d’anomalies de facturation. La particularité de la procédure résidait dans le fait que l’ampleur des manquements avait été déterminée par une méthode d’extrapolation, fondée sur l’analyse d’un échantillon de dossiers jugé représentatif. Le centre de santé a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon afin d’obtenir la suspension de l’exécution de cette sanction, en invoquant notamment l’illégalité de la méthode de contrôle et la méconnaissance des droits de la défense. Le juge des référés a rejeté cette demande par une ordonnance du 30 mai 2024, estimant qu’aucun des moyens soulevés n’était propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’État était ainsi amené à examiner si le juge des référés avait correctement apprécié l’absence de doute sérieux sur la validité d’une sanction administrative reposant sur une méthode de contrôle par extrapolation. La Haute Juridiction administrative rejette le pourvoi, validant ainsi l’analyse du premier juge et considérant que, d’une part, le recours à une telle méthode n’est pas en soi illégal et que, d’autre part, les garanties procédurales ont été respectées.

I. La validation de la méthode de contrôle par extrapolation

Le Conseil d’État admet la légalité du recours à une méthode d’extrapolation pour fonder une sanction, encadrant cette pratique par des conditions strictes visant à concilier les impératifs de contrôle et le respect des droits de l’entité contrôlée.

A. La reconnaissance d’une méthode de contrôle pragmatique

La décision reconnaît la possibilité pour une caisse d’assurance maladie de fonder sa décision sur des faits dont l’ampleur est établie par extrapolation. Le juge précise que les dispositions conventionnelles et légales, si elles imposent que les manquements soient établis, « n’interdisent pas, par elles-mêmes, que la caisse puisse, lorsque la nature du manquement en cause le permet, dresser le relevé de ces faits ». Cette approche répond à une nécessité pratique évidente : face à un très grand nombre d’actes potentiellement frauduleux ou irréguliers, un contrôle exhaustif serait matériellement impossible ou à tout le moins excessivement coûteux et long. La Haute Juridiction légitime ainsi une pratique qui permet aux organismes de sécurité sociale d’exercer leur mission de contrôle de manière efficiente, notamment dans des contextes d’anomalies récurrentes. Toutefois, cette faculté n’est pas sans limites. La décision prend soin de la subordonner à la nature des manquements et, surtout, à la représentativité de l’échantillon utilisé.

B. La condition de la représentativité de l’échantillon

La validité de l’extrapolation repose entièrement sur la qualité de l’échantillon examiné. Le Conseil d’État souligne que cette méthode est envisageable pour « déterminer l’ampleur des manquements, en se fondant, sur une extrapolation des résultats obtenus sur un échantillon d’actes représentatif ». En jugeant que le juge des référés n’avait pas commis d’erreur de droit en validant une extrapolation issue d’un échantillon représentant un quart des actes irréguliers et constitué au vu d’anomalies récurrentes, le Conseil d’État donne une indication sur ce qui peut être considéré comme une base suffisante. Cette exigence de représentativité constitue la garantie fondamentale pour que la sanction qui en découle soit proportionnée à la réalité et à la gravité des faits reprochés. L’extrapolation ne saurait être un prétexte à une approximation, mais doit procéder d’une démarche rigoureuse et statistiquement défendable, dont la charge de la preuve incombe à l’administration en cas de contestation. C’est cet équilibre qui permet de ne pas transformer un outil de contrôle pragmatique en un instrument d’arbitraire.

II. Une application circonstanciée du principe des droits de la défense

Au-delà de la méthode de contrôle, le Conseil d’État vérifie que son application n’a pas porté une atteinte excessive aux droits de la défense, en s’assurant que le centre de santé a été mis en mesure de contester utilement les griefs formulés à son encontre.

A. Le rappel des exigences du principe du contradictoire

La décision rappelle avec force la portée du principe des droits de la défense en matière de sanction administrative. Le juge énonce que ce principe « suppose, s’agissant des mesures à caractère de sanction, que la personne en cause soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et qu’elle soit mise à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus ». Appliqué à une méthode d’extrapolation, ce principe implique non seulement que les faits relevés sur l’échantillon soient communiqués, mais également que la méthode elle-même, avec ses modalités de calcul et ses conclusions, soit portée à la connaissance de la personne en cause. La transparence doit être totale pour que le débat contradictoire puisse s’exercer pleinement, tant sur la matérialité des faits initiaux que sur la validité de leur généralisation.

B. L’appréciation concrète du respect des garanties procédurales

Dans les faits de l’espèce, le Conseil d’État observe que le centre de santé a bénéficié de toutes les garanties. Il a reçu une notification détaillée des griefs l’informant de la méthode employée, a disposé d’un délai pour présenter ses observations écrites et orales, et a pu être entendu devant la commission paritaire régionale. Le juge relève un point déterminant en soulignant que le requérant n’a, au cours de cette procédure, « au demeurant [contesté] ni la réalité des anomalies constatées sur l’échantillon, ni celle des anomalies retenues par extrapolation ». Cette absence de contestation sur le fondement même du raisonnement de la caisse a manifestement pesé lourd dans l’appréciation du juge. En ne contestant pas la base factuelle du calcul, le centre de santé a implicitement affaibli sa critique de la méthode qui en découlait. Le juge en déduit que le principe du contradictoire a été respecté non seulement en théorie, par l’accomplissement des formalités, mais aussi en pratique, l’entité contrôlée ayant été pleinement en mesure d’argumenter sur chaque aspect de la procédure.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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