1ère chambre du Conseil d’État, le 17 février 2025, n°495648

Par une décision en date du 17 février 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les modalités de contrôle et de sanction des centres de santé par les caisses primaires d’assurance maladie. En l’espèce, une association gérant un centre de santé s’est vu infliger par le directeur d’une caisse primaire d’assurance maladie une sanction de suspension, pour une durée de trois ans, de la possibilité d’exercer dans le cadre conventionnel. Cette sanction faisait suite à un contrôle ayant révélé des manquements récurrents en matière de facturation, dont l’ampleur avait été déterminée par une méthode d’extrapolation à partir d’un échantillon de dossiers. Saisi par l’association, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l’exécution de cette décision, estimant qu’il existait un doute sérieux sur sa légalité. Le juge de première instance a notamment retenu que le recours à une méthode de contrôle par extrapolation était dépourvu de base légale et ne permettait pas de garantir la matérialité des faits ni la proportionnalité de la sanction. La caisse primaire d’assurance maladie a alors formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance. Il revenait donc à la haute juridiction administrative de déterminer si une caisse d’assurance maladie peut légalement fonder une sanction à l’encontre d’un centre de santé sur une méthode de contrôle par extrapolation, alors même qu’aucun texte ne prévoit expressément une telle modalité. Le Conseil d’État répond par l’affirmative, considérant que les dispositions encadrant les relations entre les centres de santé et l’assurance maladie « n’interdisent pas, par elles-mêmes, que la caisse puisse, lorsque la nature du manquement en cause le permet, dresser le relevé de ces faits […] en se fondant, pour déterminer l’ampleur des manquements, sur une extrapolation des résultats obtenus sur un échantillon d’actes représentatif ». Par conséquent, il annule l’ordonnance du juge des référés pour erreur de droit et, statuant sur le fond, rejette la demande de suspension de l’association.

Il convient d’analyser la manière dont le Conseil d’État valide le principe d’un contrôle par extrapolation (I), avant d’étudier les conséquences de cette solution sur l’équilibre des pouvoirs entre les organismes de sécurité sociale et les centres de santé (II).

I. La validation du recours à la méthode de l’extrapolation pour le contrôle des centres de santé

Le Conseil d’État reconnaît la validité de la méthode de l’extrapolation en l’absence de disposition textuelle expresse (B), tout en rappelant le cadre juridique existant qui garantit les droits des centres de santé (A).

A. L’encadrement législatif et conventionnel du pouvoir de sanction des caisses

La relation entre les organismes d’assurance maladie et les centres de santé est principalement régie par le code de la sécurité sociale et par un accord national. L’article L. 162-32-3 de ce code dispose qu’une caisse peut placer un centre de santé hors convention en cas de violation de ses engagements, à condition de respecter la procédure définie par l’accord national et de permettre au centre de présenter ses observations. Cet accord, en ses articles 59 et 60, détaille la procédure contradictoire à suivre, laquelle inclut la consultation d’une commission paritaire régionale et la possibilité pour le centre d’être entendu. Les sanctions possibles, telles que la suspension, doivent être proportionnées à l’importance des griefs.

Ce cadre juridique met en place des garanties procédurales substantielles au profit du centre de santé, mais il demeure silencieux quant aux méthodes de contrôle que les caisses peuvent employer pour établir la matérialité et l’étendue des manquements. C’est précisément ce silence que le Conseil d’État vient interpréter, non pas comme une interdiction, mais comme une absence d’obstacle à des modalités de contrôle adaptées.

B. La reconnaissance d’une faculté de contrôle par échantillonnage en l’absence de texte

La haute juridiction estime que les textes applicables « n’interdisent pas, par elles-mêmes » le recours à une méthode d’extrapolation. Elle légitime ainsi une pratique administrative pragmatique, particulièrement dans des contextes de contrôle portant sur un très grand nombre d’actes où une vérification exhaustive serait matériellement impossible ou excessivement coûteuse. Le Conseil d’État subordonne cependant cette faculté à plusieurs conditions. La méthode doit reposer sur un « échantillon d’actes représentatif » et n’est pertinente que lorsque sont identifiées des « anomalies récurrentes ».

En validant ce procédé, la décision reconnaît que la preuve des manquements peut être administrée par une méthode statistique, à condition que celle-ci soit suffisamment rigoureuse pour fonder une conviction et que les droits de la défense soient préservés par la procédure contradictoire. Le centre de santé doit en effet pouvoir « faire valoir ses observations » sur les constats motivés, ce qui inclut la possibilité de contester la représentativité de l’échantillon ou la validité de l’extrapolation elle-même.

Cette consécration d’une méthode de contrôle pragmatique conduit la haute juridiction à redéfinir l’appréciation que doit porter le juge sur la légalité de telles sanctions.

II. La portée de la solution sur l’office du juge et l’administration de la preuve

La décision renforce les prérogatives de contrôle de l’assurance maladie (B) en censurant sévèrement l’appréciation portée par le juge des référés sur la nécessité d’une base légale explicite (A).

A. La censure de l’erreur de droit du juge des référés

Le Conseil d’État juge que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a « commis une erreur de droit » en considérant que l’absence de base légale spécifique pour le recours à l’extrapolation était un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la sanction. Pour la haute juridiction, le silence des textes ne saurait être interprété comme une prohibition. En exigeant une habilitation textuelle expresse pour une simple méthode de contrôle, le premier juge a ajouté une condition que ni la loi ni l’accord national n’imposent.

La cassation de l’ordonnance est donc une réaffirmation du principe selon lequel l’administration dispose d’une certaine latitude dans le choix de ses moyens d’investigation, dès lors que ceux-ci ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés et que les garanties procédurales sont respectées. La preuve d’un manquement n’est pas soumise à un régime de légalité des modes de preuve aussi strict que celui qui peut exister en d’autres matières, notamment pénales.

B. Le renforcement des prérogatives de contrôle de l’assurance maladie

En réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État rejette l’ensemble des moyens soulevés par l’association, estimant qu’aucun n’est « en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige ». Cette approche confirme la robustesse de la position de la caisse d’assurance maladie. La décision valide non seulement la méthode de contrôle, mais aussi, implicitement, son application concrète dans le cas d’espèce, balayant les arguments relatifs à l’insuffisance de motivation, à la violation des droits de la défense ou au caractère non représentatif de l’échantillon.

Cette solution confère aux organismes de sécurité sociale un outil de contrôle puissant et efficace pour lutter contre les abus et les fraudes, notamment ceux qui sont systémiques et dilués dans un grand volume de facturations. Elle constitue un avertissement pour les centres de santé, qui ne sauraient se prévaloir de la masse des actes facturés pour échapper à un contrôle effectif. L’équilibre est en théorie maintenu par la possibilité pour le centre mis en cause de contester la méthodologie lors de la procédure contradictoire, un point sur lequel le juge du fond, saisi au principal, aura vraisemblablement à se prononcer.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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