Par une décision en date du 25 février 2025, le Conseil d’État a statué sur la légalité d’un arrêté ministériel fixant les modalités financières transitoires applicables aux établissements de santé exerçant des activités de soins médicaux et de réadaptation. Une fédération représentant des établissements privés avait saisi la haute juridiction d’un recours pour excès de pouvoir, dirigé contre deux articles d’un arrêté du 19 décembre 2023. Ces dispositions définissaient les règles de calcul des acomptes versés à partir de janvier 2024 ainsi que la détermination des recettes pour le second semestre de l’année 2023, dans le cadre d’une réforme d’envergure du financement de ces activités. La fédération requérante soulevait plusieurs moyens, tenant tant à la légalité externe de l’acte, en contestant la compétence de sa signataire, qu’à sa légalité interne, en invoquant notamment la méconnaissance du principe de sécurité juridique et une erreur manifeste d’appréciation. Il s’agissait donc pour le Conseil d’État de déterminer si le pouvoir réglementaire, en précisant les contours d’un dispositif financier transitoire, avait outrepassé sa compétence ou porté une atteinte illégale aux principes encadrant son action. En réponse, le Conseil d’État a rejeté l’ensemble des moyens et validé l’arrêté contesté, considérant que les mesures prises, bien que transitoires, ne méconnaissaient ni les exigences de forme, ni les principes de fond invoqués. Cette décision, en confirmant la validité du dispositif, met en lumière la marge d’appréciation dont dispose l’administration pour la mise en œuvre progressive de réformes complexes (I), tout en offrant une lecture pragmatique des garanties offertes aux administrés dans un tel contexte (II).
I. La validation d’un dispositif transitoire face aux griefs de légalité
Le Conseil d’État a écarté les arguments de la fédération requérante en procédant à un contrôle rigoureux de la légalité de l’arrêté, tant sur le plan formel (A) que sur le fond, en appréciant le bien-fondé des modalités de financement établies (B).
A. Le rejet des moyens de légalité externe
La fédération requérante contestait en premier lieu la compétence de la signataire de l’arrêté. Le Conseil d’État écarte ce moyen par une application stricte des règles relatives aux délégations de signature au sein de l’administration. Il constate que la signataire, en sa qualité de cheffe de service et adjointe au directeur de la sécurité sociale, disposait bien d’une délégation régulière, publiée au Journal officiel, l’habilitant à signer de tels actes au nom des ministres compétents. Cette approche classique réaffirme que la validité d’une délégation de signature s’apprécie au regard des textes l’organisant, et que la preuve de son existence suffit à fonder la compétence de l’auteur de l’acte. Le moyen tiré de l’incompétence est ainsi jugé infondé. Dans le même ordre d’idées, la haute juridiction écarte le moyen pris de l’annulation par voie de conséquence d’un décret, en relevant qu’une de ses décisions antérieures avait déjà rejeté la requête visant ce même décret, privant ainsi l’argument de tout fondement.
B. La confirmation de la conformité des modalités de calcul
Le cœur du litige portait sur la légalité interne des modalités de calcul des acomptes. La fédération requérante soutenait que l’arrêté méconnaissait le principe de sécurité juridique en ne garantissant pas une prévisibilité suffisante aux établissements de santé. Le Conseil d’État rejette cette analyse en se fondant sur plusieurs éléments. Il souligne que le mécanisme d’acompte est une « modalité transitoire » prévue par la loi elle-même, destinée à « limiter ses conséquences sur la trésorerie des établissements ». Surtout, il distingue fondamentalement la nature des acomptes et celle des sommes définitivement dues, précisant que « les dispositions critiquées par la fédération requérante ne portent que sur les acomptes qui sont versés aux établissements, et aucunement sur les montants qui leurs sont définitivement versés ». Le juge administratif en déduit que l’absence de prévisibilité totale sur ces avances ne saurait constituer une violation du principe de sécurité juridique, dès lors que les montants finaux feront l’objet d’une régularisation. De même, le grief tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, lié à l’exclusion d’un soutien financier spécifique de la base de calcul des acomptes, est écarté au motif que ce calcul ne concerne qu’une partie du financement et que le montant final sera ajusté.
II. La portée de la décision au regard des principes directeurs de l’action administrative
Au-delà de la solution d’espèce, la décision précise les contours de l’application de principes fondamentaux du droit administratif, comme la sécurité juridique (A), dans le contexte particulier des réformes économiques, tout en rappelant les limites du contrôle sur l’intelligibilité de la norme (B).
A. Une interprétation pragmatique du principe de sécurité juridique
En refusant de voir une atteinte au principe de sécurité juridique dans l’incertitude relative aux acomptes, le Conseil d’État adopte une position pragmatique. Il reconnaît implicitement que la mise en place d’une réforme d’une telle ampleur peut justifier des ajustements temporaires qui, sans affecter le droit définitif des administrés, peuvent moduler leur situation de trésorerie à court terme. La décision semble ainsi consacrer une forme de hiérarchie entre la protection des droits acquis et la gestion des flux financiers transitoires. Pour le juge, la prévisibilité exigée par la sécurité juridique s’attache avant tout au montant final du financement, et non aux avances intermédiaires qui ne sont qu’une facilité de caisse. Cette solution confère une souplesse notable au pouvoir réglementaire dans la conduite des réformes, tout en reportant la garantie des droits des opérateurs économiques à l’étape de la liquidation définitive de leurs créances. La valeur de cette approche réside dans son réalisme économique, mais sa portée pourrait interroger quant au degré de stabilité financière que les acteurs peuvent légitimement attendre de l’administration durant ces périodes de transition.
B. Une appréciation restrictive de l’objectif d’intelligibilité de la norme
La fédération requérante soutenait également que l’arrêté, par sa complexité, méconnaissait l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme. Le Conseil d’État balaie cet argument en estimant que les modalités de calcul sont suffisamment précises et intelligibles. Cette position réaffirme que le contrôle de l’intelligibilité ne conduit pas à sanctionner toute complexité technique, surtout lorsque la norme s’adresse à des professionnels avertis, familiers des mécanismes de financement public. L’exigence d’intelligibilité n’est méconnue que si la norme est à ce point obscure qu’elle ne permet pas aux destinataires de déterminer les obligations qui en découlent. En l’espèce, le juge a considéré que la description des calculs, bien que technique, atteignait ce seuil de clarté fonctionnelle. Enfin, la décision rappelle avec force une règle constante du contentieux administratif : « les conditions de publication d’un acte sont en principe sans influence sur sa légalité ». En jugeant ce moyen inopérant, tout en relevant au demeurant la brièveté du délai de publication, le Conseil d’État confirme que la légalité d’un acte s’apprécie intrinsèquement, indépendamment des modalités de sa publicité.