Par une décision en date du 25 février 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité de nouvelles obligations de transparence comptable imposées à certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. En l’espèce, un syndicat professionnel représentant des établissements à but lucratif a saisi la haute juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir. Ce recours visait à obtenir l’annulation d’un arrêté ministériel du 29 décembre 2023 et d’une note d’information du 2 janvier 2024, lesquels instauraient une comptabilité analytique obligatoire et des modalités de contrôle spécifiques. Les textes contestés imposaient de retracer l’utilisation des dotations publiques, de détailler les marges réalisées par section tarifaire et d’organiser une mission d’attestation par un commissaire aux comptes. Le syndicat requérant avançait plusieurs moyens, tenant tant à la légalité externe qu’interne des actes, soulevant notamment des questions de compétence, d’égalité de traitement et de sécurité juridique.
Il était ainsi demandé au Conseil d’État de déterminer si le pouvoir réglementaire, en imposant de telles règles de comptabilité analytique de manière différenciée aux seuls établissements à but lucratif, avait agi dans les limites de sa compétence et dans le respect des principes généraux du droit. La haute juridiction a rejeté l’ensemble des requêtes, considérant que les actes réglementaires attaqués n’étaient entachés d’aucune illégalité. Cette solution repose sur une double démarche : le Conseil d’État valide d’abord la régularité formelle et la base légale du dispositif (I), avant de légitimer le contenu matériel des obligations de transparence au regard des objectifs poursuivis (II).
I. La consolidation du fondement juridique du dispositif de transparence
Le Conseil d’État confirme la légalité de l’arrêté en écartant les moyens relatifs à l’incompétence de son auteur, établissant ainsi la régularité de l’édiction de l’acte (A). Il valide ensuite le recours au pouvoir réglementaire pour préciser ces obligations comptables, affirmant la solidité de sa base légale (B).
A. La confirmation de la compétence de l’auteur de l’acte
Le syndicat requérant contestait en premier lieu la compétence du signataire de l’arrêté, un directeur d’administration centrale. Le juge administratif écarte ce moyen en se fondant sur les dispositions du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement. Il constate que le directeur général de la cohésion sociale disposait bien, à la date de la signature, de la délégation nécessaire pour agir au nom du ministre chargé de l’action sociale. Le Conseil d’État procède ici à une application classique des règles régissant la chaîne des compétences au sein de l’appareil d’État.
Le juge se penche également sur une question d’interprétation textuelle plus complexe. L’argument du requérant reposait sur un renvoi contenu à l’article R. 314-101 du code de l’action sociale et des familles, qui semblait exclure les établissements à but lucratif du champ d’application des nouvelles obligations. Le Conseil d’État procède à une lecture finaliste et chronologique des textes. Il juge que le renvoi litigieux visait des dispositions antérieures au décret du 28 avril 2022, lequel a précisément créé le fondement des obligations contestées au sein d’un nouveau paragraphe. La haute juridiction estime ainsi qu’il n’existe « aucun doute sur la portée de ce renvoi » et que le ministre était bien compétent pour édicter l’arrêté applicable à ces établissements.
B. La légitimation du recours au pouvoir réglementaire dérivé
Le Conseil d’État examine ensuite la critique portant sur la nécessité de consulter l’Autorité des normes comptables. Il rejette cette argumentation en précisant la nature de l’arrêté attaqué. Celui-ci « ne contient aucune mesure ou prescription comptable générale ou sectorielle », mais se limite à définir les modalités d’application d’une comptabilité analytique déjà prévue par un décret. Le juge considère que l’arrêté n’établit pas de nouvelles normes comptables au sens de l’ordonnance du 22 janvier 2009, mais organise simplement la mise en œuvre technique d’une obligation préexistante, ce qui ne rendait l’avis de l’Autorité ni nécessaire ni obligatoire.
De surcroît, la haute juridiction écarte le moyen tiré de l’illégalité, par voie d’exception, du décret du 28 avril 2022 servant de base à l’arrêté. Elle confirme que ce décret a été valablement pris sur le fondement de l’article L. 314-13 du code de l’action sociale et des familles, qui habilite le pouvoir réglementaire à fixer les modalités d’application du régime financier des établissements concernés. Le juge estime que l’obligation de tenir une comptabilité analytique pour contrôler l’usage des fonds publics et retracer les flux financiers entre un organisme gestionnaire et ses établissements est suffisamment précise et justifiée par la nécessité du contrôle. Le renvoi à un arrêté ministériel pour en fixer les détails est donc jugé parfaitement régulier.
Après avoir ainsi validé le cadre normatif dans lequel s’inscrivent les obligations de transparence, le Conseil d’État se prononce sur la substance même de ces obligations et leur conformité aux principes d’égalité et de sécurité juridique.
II. La justification matérielle des obligations de transparence renforcée
Le juge administratif valide la différence de traitement instaurée par l’arrêté, la jugeant proportionnée à l’objectif de contrôle de l’usage des deniers publics (A). Il rejette enfin la critique fondée sur une prétendue rétroactivité de la norme, considérant que le principe de sécurité juridique n’a pas été méconnu (B).
A. La consécration d’une différence de traitement fondée sur le but lucratif
Le moyen principal du syndicat requérant portait sur la rupture du principe d’égalité, dès lors que les obligations de comptabilité analytique ne visaient que les établissements à but lucratif. Le Conseil d’État rejette cette analyse en fondant son raisonnement sur la différence de nature entre les catégories d’établissements. Il affirme que « le pouvoir réglementaire a pris en compte la nature commerciale de cette catégorie d’établissements, laquelle peut justifier un suivi renforcé de l’utilisation des deniers publics versés à ces établissements ». Le juge considère que cette distinction n’est pas « manifestement disproportionnée au regard de l’objectif ainsi poursuivi ».
Par cette motivation, le Conseil d’État admet qu’une différence de situation, ici le but lucratif par opposition au but non lucratif, peut justifier une différence de traitement réglementaire. L’objectif de transparence financière et de bon usage des financements publics constitue un motif d’intérêt général suffisant pour imposer des contraintes plus lourdes à des structures dont la finalité est commerciale. Cette solution s’inscrit dans une logique de contrôle renforcé des acteurs économiques recevant des fonds publics. Le juge valide également la définition de la marge réalisée retenue par l’arrêté, la jugeant cohérente avec les règles comptables du secteur et exempte d’erreur manifeste d’appréciation.
B. Le rejet de l’atteinte au principe de sécurité juridique
Le syndicat requérant soutenait enfin que l’application du dispositif à l’exercice budgétaire 2023, prévue par un arrêté de fin décembre 2023, portait atteinte au principe de sécurité juridique. Le Conseil d’État écarte ce moyen en analysant précisément le calendrier des obligations. Il relève que les données de la comptabilité analytique sont établies annuellement après la date de clôture des comptes de l’organisme gestionnaire. De même, l’attestation du commissaire aux comptes est transmise dans les deux mois suivant l’approbation des comptes de l’exercice concerné.
Dès lors, les nouvelles missions et la production des documents interviennent bien après la clôture de l’exercice 2023 et après la publication des textes. Le juge en déduit que la note d’information, publiée le 15 janvier 2024, « n’est donc entachée d’aucune rétroactivité en tant qu’elle s’applique à compter de l’exercice comptable 2023 ». En ne créant des obligations exigibles qu’à une date postérieure à leur édiction, le pouvoir réglementaire n’a pas méconnu les attentes légitimes des opérateurs. Cette analyse pragmatique permet de concilier l’objectif d’une application rapide de la réforme de la transparence avec le respect de la prévisibilité de la norme pour les gestionnaires.