1ère chambre du Conseil d’État, le 25 février 2025, n°493450

Par une décision en date du 25 février 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité de deux décrets du 16 février 2024 qui augmentaient la participation financière des assurés sociaux à certains frais de santé. Une association a formé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de ces textes, estimant qu’ils portaient atteinte au droit à la protection de la santé et qu’ils étaient entachés d’une erreur manifeste d’appréciation. Les décrets contestés avaient pour effet, d’une part, de fixer un plancher pour la participation forfaitaire sur les consultations et actes médicaux et, d’autre part, de doubler le montant de la franchise applicable aux médicaments, aux actes d’auxiliaires médicaux et aux transports sanitaires, ainsi que les plafonds journaliers correspondants. Face à cette argumentation, la haute juridiction administrative devait déterminer si un tel rehaussement des sommes laissées à la charge des assurés méconnaissait l’exigence constitutionnelle de protection de la santé, garantie par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil d’État a rejeté la requête, considérant que les mesures réglementaires n’étaient pas contraires à la norme suprême. Il a estimé que, mises en perspective avec l’ensemble des dispositifs de solidarité, notamment la prise en charge par la couverture complémentaire pour les plus démunis et surtout le maintien des plafonds annuels de participation, les augmentations critiquées n’étaient pas excessives.

Cette solution, qui valide une politique de maîtrise des dépenses de santé, repose sur une analyse globale des mécanismes de participation de l’assuré (I), tout en révélant une conception pragmatique de la protection de la santé, sensible aux équilibres financiers (II).

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I. La validation des participations accrues par une appréciation globale et plafonnée

Le Conseil d’État justifie la conformité des décrets à la Constitution en appliquant une méthode de contrôle classique qui prend en compte l’ensemble des dispositifs de prise en charge (A) et en accordant une importance décisive au caractère inchangé des plafonds annuels de participation (B).

A. L’application d’un contrôle classique sur les dispositifs de reste à charge

Pour évaluer la conventionalité des décrets, le juge administratif rappelle sa grille d’analyse traditionnelle en matière de protection sociale. Il énonce que « le respect des exigences primordiales de solidarité nationale découlant de ces dispositions doit être apprécié, d’une part, compte tenu de l’ensemble des dispositions en vertu desquelles des sommes sont susceptibles d’être laissées à la charge des assurés sociaux (…) et, d’autre part, au regard des incidences de telles mesures sur la situation des personnes les plus vulnérables ou défavorisées ». Cette approche globale n’est pas nouvelle et permet au juge de ne pas se limiter à l’examen isolé d’une mesure, mais de la replacer dans le contexte plus large du système de santé.

En l’espèce, cette méthode conduit le Conseil d’État à prendre en considération des éléments extérieurs aux décrets attaqués mais jugés pertinents pour en apprécier les effets concrets. Il ne s’agit pas seulement d’évaluer une augmentation de coût, mais de déterminer si cette augmentation crée une rupture caractérisée du principe de solidarité. Le raisonnement met ainsi en balance l’objectif de maîtrise des dépenses de l’assurance maladie, qui sous-tend les décrets, et l’impératif de ne pas priver les assurés d’un accès effectif aux soins. Cette démarche téléologique, centrée sur les finalités et les effets réels, confère au juge une marge d’appréciation significative et témoigne d’une approche réaliste des politiques sociales.

B. Le rôle décisif du maintien des plafonds annuels

L’argument central de la décision repose sur la neutralisation de l’effet des hausses par le mécanisme de plafonnement annuel. Le Conseil d’État observe que si les franchises et participations journalières sont effectivement augmentées, les plafonds annuels globaux de 50 euros pour la participation forfaitaire et de 50 euros pour les franchises restent, eux, inchangés. Il en déduit que l’impact financier réel de la réforme est circonscrit. La juridiction souligne que « le plafond annuel de participation forfaitaire, fixé à 50 euros par l’article D. 160-10 du même code, est également resté inchangé ».

Cette constatation est déterminante car elle permet de conclure que seuls les assurés dont les dépenses de santé annuelles généraient un reste à charge inférieur à ces plafonds sont potentiellement affectés par la hausse. Pour les plus grands consommateurs de soins, qui atteignaient déjà le plafond, la réforme est sans conséquence financière. De ce fait, le Conseil d’État estime que l’atteinte n’est pas disproportionnée, car son champ d’application est matériellement limité. En se focalisant sur le coût maximal annuel supporté par l’assuré plutôt que sur le coût de chaque acte individuel, le juge administratif réduit la portée de l’augmentation et la juge dès lors compatible avec l’exigence constitutionnelle de protection de la santé.

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II. Une conception pragmatique de la protection de la santé sous influence budgétaire

Au-delà de la stricte analyse juridique, la décision révèle une lecture pragmatique du droit à la protection de la santé, qui intègre les contraintes budgétaires. Cette vision s’appuie sur le rôle de relais joué par la couverture complémentaire (A) et accepte en conséquence un impact financier tangible pour une partie des assurés (B).

A. La couverture complémentaire comme facteur atténuant de la charge financière

Le Conseil d’État prend soin de noter que pour les personnes les plus modestes, l’augmentation des restes à charge a vocation à être compensée. Il relève que « cette augmentation a vocation à être prise en charge, pour les personnes aux revenus les plus faibles, dans le cadre de la couverture santé complémentaire prévue par l’article L. 861-1 du code de la sécurité sociale ». En mentionnant l’élargissement récent des conditions d’accès à ce dispositif, le juge suggère que le législateur a anticipé et organisé la protection des plus vulnérables face à de telles mesures.

Cette prise en compte de la couverture complémentaire solidaire est significative. Elle témoigne d’une appréciation du système de santé dans sa globalité, où la protection ne repose plus uniquement sur le régime de base de l’assurance maladie. Toutefois, cette logique peut être interprétée comme une validation implicite d’un transfert de charge du régime général vers les dispositifs complémentaires, fussent-ils financés par la solidarité nationale. La protection constitutionnelle de la santé est alors assurée non pas par le seul premier niveau de couverture, mais par l’articulation de plusieurs mécanismes, ce qui traduit une évolution dans la conception même de la solidarité nationale.

B. L’admission d’un effet financier pour les consommateurs de soins modérés

En reconnaissant que les décrets « ne sont susceptibles d’avoir une incidence que sur les personnes dont le reste à charge est inférieur aux plafonds annuels fixés par ces dispositions », le Conseil d’État admet implicitement que pour cette catégorie d’assurés, le coût des soins augmentera. Il s’agit des personnes qui consultent ou consomment des médicaments de manière occasionnelle ou modérée, sans atteindre les seuils de 50 euros par an. Pour elles, chaque acte ou boîte de médicament coûtera plus cher, sans que le mécanisme de plafonnement ne joue de rôle protecteur.

Le juge estime néanmoins que cette incidence n’est pas de nature à constituer une méconnaissance de la Constitution ou une erreur manifeste d’appréciation. Ce faisant, il valide une mesure qui, tout en étant indolore pour les très grands et les très petits consommateurs de soins, pèse davantage sur une catégorie intermédiaire. La décision entérine ainsi un choix de politique publique qui fait porter un effort financier sur les assurés ordinaires, au nom de la soutenabilité financière du système. Elle illustre le seuil élevé d’intervention du juge administratif, qui ne censure de telles orientations économiques et sociales qu’en cas d’atteinte manifestement disproportionnée aux droits et libertés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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