1ère chambre du Conseil d’État, le 25 février 2025, n°499498

Par une décision rendue le 25 février 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité relative aux conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation. En l’espèce, une femme s’était vu refuser par un centre hospitalier universitaire la poursuite de son parcours d’assistance médicale à la procréation, et plus précisément le transfert d’embryons conservés, au motif du décès de son conjoint avec lequel ce projet avait été initié. Saisi d’un recours en annulation contre cette décision, le tribunal administratif de Caen a transmis au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la requérante, portant sur la conformité des dispositions du code de la santé publique fondant ce refus avec les droits et libertés garantis par la Constitution. La requérante soutenait que l’interdiction du transfert d’embryons après le décès d’un des membres du couple méconnaissait le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le principe d’égalité. Il revenait donc au Conseil d’État de déterminer si l’interdiction de procéder à un transfert d’embryon post-mortem soulevait une question de constitutionnalité présentant un caractère nouveau ou sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel. Le Conseil d’État y répond par la négative, estimant qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la question soulevée. La Haute Juridiction administrative valide ainsi la cohérence du dispositif législatif issu de la loi du 2 août 2021 en réaffirmant la centralité du projet parental du couple (I), tout en confirmant le pouvoir d’appréciation du législateur sur une question de bioéthique sensible, ce qui limite la portée d’un éventuel contrôle juridictionnel (II).

I. La consolidation de la notion de projet parental comme clef de voûte du dispositif

Le Conseil d’État fonde sa décision sur une lecture stricte des finalités de l’assistance médicale à la procréation telles que redéfinies par la loi de 2021. Il en déduit que le projet parental commun constitue un prérequis dont la disparition justifie la fin du processus (A), ce qui l’amène à valider une différence de traitement entre les femmes veuves et les femmes célibataires (B).

A. La persistance du consentement du couple comme condition du projet

L’analyse du Conseil d’État repose sur l’évolution de la finalité même de l’assistance médicale à la procréation. Il rappelle que si, par le passé, celle-ci visait à remédier à une infertilité, la loi du 2 août 2021 l’a redéfinie comme étant « destinée à répondre à un projet parental ». Cette nouvelle approche modifie la nature de l’engagement des demandeurs. Pour un couple, le processus n’est plus seulement une réponse à une pathologie mais l’expression d’une volonté commune, matérialisée par un consentement continu. La décision souligne que « les deux membres du couple doivent consentir préalablement à l’insémination artificielle ou au transfert des embryons ». Ce consentement n’est pas un acte unique et initial, mais une condition permanente qui doit perdurer jusqu’à la réalisation de l’implantation. Le Conseil d’État tire de cette exigence une conséquence logique et inéluctable : le décès d’un des membres du couple anéantit le fondement même du processus engagé.

B. La justification de la différence de traitement par la rupture du projet commun

Le principal argument de la requérante reposait sur une rupture d’égalité et une atteinte à sa vie privée, en comparant sa situation à celle d’une femme non mariée autorisée à engager seule un tel parcours. Le Conseil d’État écarte ce raisonnement en opérant une distinction fondamentale entre les deux situations. Il estime que « la situation d’une femme, membre d’un couple ayant conçu en commun un projet parental (…) est différente de celle d’une femme non mariée qui a conçu seule, dès l’origine, un projet parental ». Dans le premier cas, le projet est par essence duel et sa poursuite est subordonnée au maintien du couple et de sa volonté commune. Le décès y met un terme. Dans le second cas, le projet est, dès sa conception, individuel et l’enfant n’aura, par construction, qu’une filiation maternelle. La différence de traitement entre ces deux catégories de femmes repose donc, selon la juridiction, sur une différence de situation objective tenant à la nature même du projet parental initié. L’interdiction n’est donc pas jugée discriminatoire mais comme la conséquence directe de la disparition de l’un des piliers du projet.

II. La portée d’un contrôle restreint sur un choix de société du législateur

Au-delà de l’interprétation de la loi, la décision révèle la posture de déférence du juge administratif face aux choix du législateur en matière de bioéthique (A), confirmant par là même la fermeture, en l’état actuel du droit, de la voie vers une procréation post-mortem (B).

A. La déférence du juge face à l’appréciation souveraine du législateur

En examinant la conformité de la loi aux droits fondamentaux, le Conseil d’État exerce un contrôle mesuré. Il ne cherche pas à déterminer si une autre solution, telle que l’autorisation du transfert post-mortem, aurait été préférable ou plus respectueuse des droits de la requérante. Il se limite à vérifier si, en édictant l’interdiction contestée, le législateur a commis une erreur manifeste d’appréciation ou porté une atteinte disproportionnée à une liberté fondamentale. La formulation retenue, selon laquelle le législateur « ne peut en tout état de cause être regardé comme ayant (…) méconnu le droit au respect de la vie privée (…) ou le droit à une vie familiale normale », témoigne de cette retenue. Le juge reconnaît ainsi que le Parlement dispose d’une large marge de manœuvre pour arbitrer entre les différents intérêts et principes en jeu, notamment la protection de l’enfant à naître, la volonté du défunt et le projet de la mère survivante.

B. La pérennisation de l’interdiction de la procréation post-mortem

En jugeant que la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux, le Conseil d’État ferme une porte jurisprudentielle qui aurait pu conduire à une évolution du droit positif. Cette décision a une portée significative car elle vient solidifier l’un des verrous de la loi de bioéthique de 2021. Alors que cette dernière a marqué une ouverture sociétale majeure en étendant l’accès à l’assistance médicale à la procréation, elle a maintenu l’interdiction stricte de toute démarche post-mortem. La décision commentée confirme que cette interdiction n’est pas une simple scorie d’un droit ancien, mais bien un choix délibéré et constitutionnellement solide du législateur contemporain. Toute évolution sur ce sujet ne pourra donc vraisemblablement pas venir d’une censure du juge constitutionnel mais devra résulter d’une nouvelle intervention du Parlement, seul apte à opérer un arbitrage différent sur cette question éthique complexe.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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