Par une décision du 21 février 2025, le Conseil d’État a été amené à préciser l’étendue des pouvoirs d’injonction du juge administratif consécutifs à l’annulation d’une décision administrative. En l’espèce, une autorité préfectorale avait, le 24 décembre 2021, prononcé l’invalidité de la carte nationale d’identité et du passeport d’un enfant mineur ainsi que du passeport de son frère, et exigé leur restitution. Cette décision faisait suite au refus du directeur des services de greffe du tribunal judiciaire de Paris de délivrer des certificats de nationalité française aux parents pour leurs enfants. Saisi par les parents, le tribunal administratif de Melun avait rejeté leur demande d’annulation par un jugement du 1er juin 2023. Sur appel des requérants, la cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt du 4 avril 2024, a annulé ce jugement ainsi que la décision préfectorale initiale. La cour a en outre enjoint au ministre de l’intérieur de restituer les titres d’identité ou, en cas d’impossibilité matérielle, d’en délivrer de nouveaux dans un délai d’un mois. Le ministre de l’intérieur et des outre-mer a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, dirigé exclusivement contre le prononcé de cette injonction. Il soutenait que l’annulation de sa décision n’impliquait pas nécessairement la restitution des titres et qu’une telle mesure ne pouvait lui être imposée. Il appartenait donc au Conseil d’État de déterminer si l’annulation contentieuse d’un acte administratif ordonnant la restitution de titres d’identité emporte nécessairement pour l’administration l’obligation de les restituer, justifiant ainsi le prononcé d’une injonction sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative. La Haute Juridiction administrative rejette le pourvoi du ministre, considérant que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit. Elle juge que la restitution des titres est bien une conséquence nécessaire de l’annulation de la décision en ordonnant le retrait, ce qui justifie l’injonction de le faire, sans préjudice du droit pour l’administration de prendre une nouvelle décision de restitution si elle s’y estime fondée.
La solution retenue par le Conseil d’État consacre une application logique des pouvoirs d’injonction du juge administratif, assurant le plein effet de ses décisions d’annulation (I). Cette décision, tout en garantissant l’effectivité du recours juridictionnel, préserve néanmoins les prérogatives de l’administration pour l’avenir (II).
***
I. L’injonction de restitution, conséquence nécessaire de l’annulation
Le Conseil d’État fonde sa décision sur une interprétation claire des dispositions du code de justice administrative, appliquant la théorie des conséquences nécessaires de l’annulation pour imposer une mesure d’exécution déterminée (A), distinguant ainsi cette situation d’un simple réexamen (B).
A. Le choix d’une mesure d’exécution déterminée
La Haute Juridiction s’appuie sur l’article L. 911-1 du code de justice administrative pour valider l’injonction de restitution prononcée par les juges du fond. Ce texte permet en effet au juge, lorsque sa décision implique nécessairement qu’une mesure d’exécution soit prise dans un sens déterminé, de la prescrire directement. En l’espèce, l’annulation de l’acte préfectoral a pour effet de priver de base légale la rétention par l’administration des titres d’identité litigieux. Dès lors, la seule mesure apte à tirer les conséquences de cette annulation est la restitution de ces documents à leurs titulaires. Le juge administratif ne se contente pas de censurer une décision illégale ; il veille à ce que cette censure produise des effets concrets en rétablissant la situation qui prévalait avant l’intervention de l’acte annulé. La solution adoptée par le Conseil d’État est donc une application directe de l’objectif d’effectivité des décisions de justice administrative, qui veut que le justiciable ayant obtenu gain de cause voie sa situation matérielle et juridique restaurée.
B. L’exclusion d’un simple réexamen
En confirmant l’injonction fondée sur l’article L. 911-1, le Conseil d’État écarte implicitement mais certainement l’application de l’article L. 911-2 du même code, qui concerne l’injonction de réexamen. Le ministre de l’intérieur soutenait en substance que l’annulation n’imposait qu’un réexamen de la situation des enfants, ce qui aurait laissé à l’administration une marge d’appréciation. Or, la Haute Juridiction estime que l’annulation de la décision de retrait « implique nécessairement, eu égard à l’objet et à la portée de la décision en cause, que l’administration rende les titres en cause à son titulaire ». Cette formule péremptoire signifie qu’il n’y a pas lieu à nouvelle instruction sur la question tranchée par l’annulation. La seule conséquence directe et inéluctable de la disparition de l’acte est la fin de ses effets, à savoir la détention des titres par l’autorité administrative. La restitution n’est donc pas une option, mais une obligation découlant directement de la chose jugée par le juge de l’annulation.
Si la décision assure une exécution effective de l’arrêt d’annulation, elle en précise également la portée en délimitant ses effets dans le temps.
II. Une solution pragmatique préservant les prérogatives de l’administration
L’arrêt commenté, tout en étant favorable au justiciable, n’entrave pas de manière absolue l’action administrative future (A). Il renforce ainsi l’office du juge en tant que garant de l’équilibre entre les droits des administrés et les compétences de l’administration (B).
A. La possibilité d’une nouvelle décision administrative
Le Conseil d’État prend soin de préciser que sa décision ne fait pas obstacle à une éventuelle nouvelle procédure. Il énonce en effet que « L’administration peut toutefois prendre une nouvelle décision imposant la restitution de ces titres si elle s’y croit fondée dans le respect de la chose jugée ». Cette précision est essentielle car elle délimite la portée de l’injonction. La restitution des titres est la conséquence obligatoire de l’annulation de la décision du 24 décembre 2021 pour le motif retenu par la cour administrative d’appel. Cependant, l’autorité de la chose jugée de cette annulation est relative. Elle n’interdit pas à l’administration, si elle dispose de motifs de droit et de fait nouveaux ou différents, d’engager une nouvelle procédure pour retirer les titres en cause. L’injonction ne confère donc pas un droit définitif au maintien de la possession des titres d’identité, mais assure seulement que la situation juridique soit rétablie en l’attente d’une éventuelle nouvelle décision légale.
B. Le renforcement de l’effectivité du contrôle juridictionnel
En validant l’injonction de restitution, le Conseil d’État confère toute sa force à la décision du juge de l’annulation. Une annulation qui ne serait pas suivie d’une restitution effective des documents serait en grande partie privée de son effet utile pour le justiciable. Le juge ne se borne pas à un contrôle abstrait de légalité ; il s’assure que sa décision se traduise par des conséquences tangibles. Cette solution renforce la confiance des citoyens dans la justice administrative, en leur garantissant que l’annulation d’un acte qui leur est défavorable entraîne bien le rétablissement de leurs droits. Le fait que les motifs d’annulation retenus par la cour d’appel ne faisaient pas obstacle en eux-mêmes à l’intervention d’une nouvelle décision est jugé sans incidence. Ce qui importe est la conséquence immédiate de l’annulation prononcée. Par cette décision, le Conseil d’État réaffirme ainsi que le pouvoir d’injonction est un instrument fondamental au service de l’État de droit, permettant d’assurer la pleine exécution de ses décisions.