Par une décision en date du 6 mai 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la question de la prise en charge des frais de transport des demandeurs d’asile, dans le cadre des déplacements nécessaires à l’instruction de leur demande. En l’espèce, plusieurs associations de défense des droits des étrangers avaient sollicité des autorités administratives, notamment du Premier ministre, l’édiction de mesures réglementaires garantissant cette prise en charge. Face au silence gardé par l’administration, valant décision implicite de rejet, ces associations ont saisi la haute juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir. Elles soutenaient d’une part qu’une obligation générale de prise en charge de ces frais pesait sur l’État, et d’autre part que le système actuel créait une rupture d’égalité illégale entre les demandeurs. La question soumise au Conseil d’État était donc de déterminer si le refus d’instaurer un dispositif général de prise en charge des frais de transport, et les disparités du système existant, portaient atteinte au droit d’asile et au principe d’égalité. La juridiction administrative a répondu de manière nuancée, en rejetant l’existence d’une obligation générale de prise en charge, mais en annulant le refus de l’administration en ce qu’il entérinait une différence de traitement illégale entre certains demandeurs.
I. Le rejet d’une obligation générale de prise en charge des frais de transport
Le Conseil d’État a d’abord examiné l’argument des associations requérantes fondé sur l’existence d’une obligation générale pour l’État de couvrir les frais de déplacement des demandeurs d’asile. Il a écarté cette prétention en se fondant successivement sur les normes constitutionnelles et conventionnelles, puis sur le droit de l’Union européenne, retenant une interprétation stricte des obligations pesant sur l’administration.
A. L’absence de fondement constitutionnel et conventionnel
La haute juridiction a rappelé les fondements du droit d’asile, citant le quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 et les stipulations de la convention de Genève du 28 juillet 1951. Elle a toutefois considéré que ces textes, bien qu’ils « impliquent notamment que les demandeurs d’asile bénéficient d’une protection particulière », n’imposent pas de manière explicite une prise en charge systématique de leurs frais de transport. Le Conseil d’État a ainsi jugé qu’il ne résulte de ces normes supérieures « aucune obligation générale de prise en charge des frais de transport des demandeurs d’asile au titre des déplacements occasionnés par le traitement de leur demande ». Cette analyse confirme une approche mesurée des implications matérielles du droit d’asile, distinguant le droit d’accès à la procédure de ses modalités pratiques de financement, lesquelles relèvent de la marge d’appréciation du législateur et du pouvoir réglementaire.
B. Une interprétation stricte du droit de l’Union européenne
Le Conseil d’État a poursuivi son raisonnement en analysant les directives européennes pertinentes en matière d’asile. Il a examiné la directive 2013/32/UE relative aux procédures, qui garantit aux demandeurs « la possibilité concrète » d’introduire leur demande et une assistance juridique. Il a ensuite étudié la directive 2013/33/UE sur les conditions matérielles d’accueil, lesquelles comprennent « le logement, la nourriture et l’habillement » ainsi qu’une allocation. Dans les deux cas, la juridiction a constaté qu' »aucune disposition de cette directive n’impose aux Etats membres de prendre en charge les frais de transport dans le cadre de cet examen ». En outre, le Conseil d’État a souligné que les associations n’apportaient pas la preuve que l’absence de cette prise en charge généralisée « rendrait très difficile voire impossible l’exercice de leurs droits par les demandeurs d’asile ». Cette position pragmatique conditionne la reconnaissance d’une obligation implicite à la démonstration d’une atteinte substantielle à l’effectivité du droit, preuve qui n’a pas été rapportée en l’espèce.
II. La sanction d’une rupture d’égalité entre bénéficiaires des conditions matérielles d’accueil
Si le Conseil d’État a écarté l’idée d’une obligation générale de prise en charge, il a en revanche accueilli favorablement le second argument des requérants, fondé sur la méconnaissance du principe d’égalité. Il a constaté une différence de traitement injustifiée au sein même des demandeurs d’asile bénéficiant des conditions matérielles d’accueil, ce qui l’a conduit à prononcer une annulation partielle de la décision implicite de refus et à adresser une injonction au Premier ministre.
A. L’identification d’une différence de traitement injustifiée
Le Conseil d’État a minutieusement exposé le cadre juridique de l’accueil des demandeurs d’asile en France. Il a relevé que, parmi les demandeurs ayant accepté les conditions matérielles d’accueil, une distinction existe. Ceux hébergés en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) ou en hébergement d’urgence (HUDA) bénéficient, au titre de leur accompagnement, de la prise en charge de leurs frais de déplacement pour se rendre aux convocations de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). En revanche, les demandeurs qui relèvent des mêmes conditions matérielles d’accueil mais qui ne sont pas hébergés dans ces structures spécifiques, notamment par manque de places disponibles, ne bénéficient pas d’une telle prise en charge. Le Conseil d’État a estimé que cette distinction créait une rupture d’égalité, car l’orientation vers un type d’hébergement plutôt qu’un autre « ne dépend pas de la situation ou du choix des intéressés mais procède du nombre de places disponibles ». Il en a déduit que cette situation « constitue une différence de traitement sans rapport avec l’objet de l’accompagnement administratif dû aux demandeurs d’asile et porte une atteinte illégale au principe d’égalité ».
B. Les conséquences de la censure : annulation et injonction
Tirant les conséquences de cette illégalité, le Conseil d’État a annulé la décision implicite de rejet, mais seulement « en tant qu’elle porte refus de prendre toutes mesures utiles pour assurer une égalité de traitement entre les demandeurs d’asile bénéficiaires des conditions matérielles d’accueil ». Cette annulation partielle est significative : elle ne contraint pas l’administration à créer un dispositif universel, mais l’oblige à mettre fin à l’inégalité constatée au sein d’une même catégorie de demandeurs. Pour assurer l’effectivité de sa décision, la haute juridiction a assorti son annulation d’une injonction. Elle a ainsi ordonné au Premier ministre de « prendre toutes mesures utiles afin de remédier à la différence de traitement constatée, dans un délai de neuf mois ». Cette injonction laisse au pouvoir réglementaire le choix des moyens pour rétablir l’égalité, que ce soit en étendant la prise en charge à tous les bénéficiaires des conditions matérielles d’accueil ou en la supprimant pour ceux qui en bénéficiaient, bien que cette seconde option paraisse peu probable. La décision illustre ainsi le rôle du juge administratif comme garant du respect du principe d’égalité dans la mise en œuvre des politiques publiques.