Par une décision en date du 8 septembre 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité du retrait d’un décret de naturalisation pour mensonge. La Haute Juridiction administrative a ainsi précisé les conditions dans lesquelles la dissimulation d’un changement de situation familiale peut fonder une telle mesure.
En l’espèce, une ressortissante étrangère avait déposé une demande de naturalisation en 2017, au cours de laquelle elle s’était déclarée célibataire. La nationalité française lui fut accordée par un décret du 19 janvier 2021. L’administration fut cependant informée ultérieurement que l’intéressée s’était mariée à l’étranger le 27 août 2020, soit avant l’intervention du décret de naturalisation. Par conséquent, le Premier ministre a rapporté ce décret le 18 avril 2024 au motif d’un mensonge sur sa situation familiale.
L’intéressée a alors saisi le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir contre ce décret de retrait. Elle soutenait que la décision avait été prise en méconnaissance des dispositions du code civil, qu’elle portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, et qu’elle était contraire au droit de l’Union européenne. À l’occasion de ce litige, elle a également soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.
Il revenait donc au Conseil d’État de déterminer si la dissimulation d’un changement de situation familiale survenu en cours d’instruction d’une demande de naturalisation constitue un mensonge ou une fraude de nature à justifier le retrait de la nationalité. En outre, il lui appartenait d’apprécier si une telle mesure de retrait est compatible avec le respect des droits fondamentaux garantis par les normes supérieures.
Le Conseil d’État a rejeté la requête après avoir écarté la question prioritaire de constitutionnalité comme dépourvue de caractère sérieux. Il juge que l’omission de déclarer un mariage intervenu en cours de procédure, alors que la postulante s’y était engagée, caractérise une dissimulation volontaire. Cette dissimulation justifie légalement le retrait du décret de naturalisation. Par ailleurs, la Haute Juridiction considère que cette mesure, fondée sur la fraude, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et est conforme aux exigences du droit de l’Union européenne.
La décision confirme ainsi une conception objective et rigoureuse du mensonge en matière de naturalisation (I), tout en soumettant ses conséquences à un contrôle de proportionnalité au regard des droits fondamentaux (II).
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I. La confirmation d’une conception extensive du mensonge justifiant le retrait de la nationalité
Le Conseil d’État retient une définition large du mensonge, qui englobe le silence gardé par le demandeur sur un élément essentiel de sa situation. Cette interprétation repose sur l’assimilation de l’omission déclarative à une manœuvre frauduleuse (A) et conduit au rejet d’une appréciation subjective de la bonne foi de l’intéressée (B).
A. L’omission déclarative assimilée à une manœuvre frauduleuse
Le Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles le retrait d’un décret de naturalisation peut intervenir pour mensonge ou fraude. Il rappelle que sa jurisprudence constante subordonne une telle mesure à plusieurs critères. Selon les juges, la faculté de retrait suppose notamment que « l’intéressé se soit engagé, lors du dépôt de sa demande, à procéder à une telle communication ». Cette obligation de mise à jour des informations transforme toute omission consciente en une démarche active de dissimulation.
Le raisonnement de la Haute Juridiction ne s’attache pas à l’existence d’une fausse déclaration initiale, mais bien à la rupture d’un engagement de transparence pris pour toute la durée de l’instruction. En signant sa demande, la postulante avait accepté de signaler tout changement de situation. Le fait de ne pas déclarer son mariage constitue dès lors un manquement direct à cette obligation. Le mensonge ne réside pas tant dans une affirmation inexacte que dans le silence conservé sur un fait nouveau que l’administration devait légitimement connaître pour apprécier la demande. Cette approche objective permet de sécuriser la procédure de naturalisation en faisant peser sur le demandeur une responsabilité continue.
B. Le rejet d’une appréciation subjective de la bonne foi
Face à cette obligation de déclaration, l’intéressée invoquait sa bonne foi, arguant notamment de démarches ultérieures entreprises pour un regroupement familial. Le Conseil d’État écarte cet argument en se fondant sur une analyse purement factuelle de la situation. Il note que la requérante « ne fait état d’aucune circonstance qui l’aurait mise dans l’impossibilité de faire part de son changement de situation familiale ». La maîtrise de la langue française et la clarté des engagements souscrits lors du dépôt du dossier sont également soulignées pour écarter toute méprise possible.
En agissant de la sorte, le juge administratif refuse de sonder les intentions réelles de l’individu ou de prendre en compte des actes postérieurs qui pourraient témoigner d’une forme de transparence. La seule question pertinente est de savoir si l’obligation de déclaration a été respectée au moment où le changement est intervenu. Le fait que l’élément non déclaré soit « de nature à modifier l’appréciation que doit porter l’autorité compétente » suffit à rendre la dissimulation fautive. Cette position pragmatique renforce la portée de l’obligation de loyauté qui incombe au demandeur à la nationalité et établit une présomption de volonté de tromperie dès lors que l’omission est constatée et qu’aucune impossibilité matérielle de déclarer n’est prouvée.
Une fois la fraude ainsi caractérisée, il appartenait encore au juge de s’assurer que la sanction qui en découlait ne portait pas une atteinte excessive aux droits fondamentaux de la personne.
II. Un contrôle de proportionnalité exercé à l’aune des droits fondamentaux
Le Conseil d’État ne se limite pas à la seule constatation de la fraude pour valider la décision de retrait. Il procède à une analyse de ses conséquences au regard des normes supérieures, qu’il s’agisse de la Convention européenne des droits de l’homme ou du droit de l’Union européenne. Cette analyse conclut à une atteinte jugée proportionnée au droit au respect de la vie privée (A) et valide la mesure au regard des exigences spécifiques du droit de l’Union (B).
A. Une atteinte jugée proportionnée au droit au respect de la vie privée
La requérante soutenait que le retrait de sa nationalité portait atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le Conseil d’État opère une distinction fine : il considère que le décret de retrait est « par lui-même, dépourvu d’effet sur la présence sur le territoire français de celui qu’il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille ». Il n’affecte donc pas le droit à la vie familiale.
En revanche, la Haute Juridiction reconnaît qu’un tel décret « affecte un élément constitutif de l’identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée ». L’acquisition de la nationalité est en effet un marqueur identitaire majeur. Cependant, le juge procède immédiatement à un contrôle de proportionnalité et conclut qu’en l’espèce, « eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent », le décret n’a pas porté une atteinte disproportionnée à ce droit. Le caractère frauduleux de l’obtention de la nationalité est ici l’élément déterminant qui justifie l’ingérence de l’État dans le droit à la vie privée de l’individu.
B. La validation de la mesure au regard des exigences du droit de l’Union européenne
La perte de la nationalité d’un État membre entraînant automatiquement la perte du statut de citoyen de l’Union, le droit de l’Union encadre les conditions de cette perte. Le Conseil d’État rappelle cette jurisprudence en précisant que « la perte de la nationalité d’un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l’Union, répondre à des motifs d’intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent ». Ce contrôle de proportionnalité doit aussi tenir compte du délai écoulé et de la possibilité de recouvrer une autre nationalité.
Appliquant ces principes au cas d’espèce, le juge administratif estime que la lutte contre la fraude dans l’acquisition de la nationalité constitue bien un motif d’intérêt général légitime. Il considère que le retrait, intervenu dans les délais légaux à compter de la découverte de la fraude, est une sanction proportionnée à la gravité du manquement à l’obligation de loyauté. En intégrant explicitement les critères du droit de l’Union dans son raisonnement, le Conseil d’État confirme que la sanction d’une acquisition frauduleuse de la nationalité est compatible avec les exigences européennes, dès lors que l’autorité administrative procède à un examen circonstancié de la situation.