Le Conseil d’État, par une décision rendue le 13 mars 2025, se prononce sur la légalité du retrait d’un décret de naturalisation obtenu par fraude. Une ressortissante étrangère a bénéficié de la nationalité française en novembre 2021 en invoquant la filiation française de son enfant, née en septembre 2012. Cette situation reposait sur une reconnaissance de paternité ultérieurement invalidée par le juge judiciaire en raison de son caractère frauduleux et mensonger. Le Tribunal judiciaire de Paris, le 15 octobre 2021, puis la Cour d’appel de Paris, le 9 mai 2023, ont confirmé l’absence de nationalité française de l’auteur de la reconnaissance. L’administration a alors rapporté le décret initial par une décision du 29 avril 2024 après avoir été informée de la réalité de cette situation. L’intéressée demande l’annulation de cet acte devant la haute juridiction en invoquant le non-respect des délais légaux et l’absence de fraude caractérisée. Le juge doit déterminer si le retrait respecte les conditions du code civil tout en restant proportionné au regard du droit de l’Union européenne. La juridiction rejette la requête en validant la computation du délai et en confirmant la réalité des manœuvres destinées à tromper les autorités publiques. L’analyse des conditions procédurales du retrait de la naturalisation précédera l’étude de la conformité de la mesure aux exigences du droit européen.
I. L’établissement des conditions légales du retrait du décret
L’article 27-2 du code civil dispose que les décrets de naturalisation « peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ».
A. Le respect du délai de découverte de la fraude
Le délai imparti à l’administration commence à courir au jour où la réalité de la situation est portée à la connaissance du ministre compétent. En l’espèce, les services ministériels ont reçu un courrier de la requérante le 3 mai 2022 révélant l’absence de nationalité française de son enfant. Le décret de retrait a été signé le 29 avril 2024, soit avant l’expiration de la période de deux ans prévue par la loi. La date de réception de l’information constitue le seul critère valable pour fixer le point de départ de l’action de l’autorité administrative. Cette solution garantit la sécurité juridique tout en permettant à l’État de sanctionner les comportements déloyaux découverts tardivement par ses services.
L’établissement de la fraude permet ensuite d’apprécier la régularité des conditions de séjour exigées pour l’acquisition de la nationalité française par le demandeur.
B. La caractérisation des manœuvres frauduleuses sur le séjour
L’article 21-27 du code civil subordonne l’acquisition de la nationalité à la régularité du séjour de l’étranger sur le territoire de la République française. L’intéressée a utilisé une fausse reconnaissance de paternité pour obtenir des titres de séjour et induire en erreur les autorités chargées de l’instruction. Le juge administratif relève que le père supposé est impliqué dans plusieurs affaires de fraude et n’a jamais entretenu de liens avec l’enfant. Ces faits constituent des manœuvres destinées à tromper l’administration sur la réalité d’une condition substantielle de l’accès à la citoyenneté de la nation. L’autorité administrative pouvait donc légalement estimer que le consentement de l’État avait été vicié par la production de documents dépourvus de sincérité.
Cette application stricte du droit interne doit toutefois se concilier avec les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.
II. L’examen de la proportionnalité au regard du droit européen
Le juge administratif vérifie que la perte de la nationalité française, entraînant celle de la citoyenneté européenne, répond à un contrôle de proportionnalité adéquat.
A. L’application des principes de protection de la citoyenneté
La perte de la qualité de citoyen de l’Union oblige l’autorité administrative à motiver sa décision par des considérations d’intérêt général et de gravité. L’arrêt souligne que les dispositions de l’article 27-2 du code civil ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l’Union européenne. L’administration doit apprécier les conséquences de la mesure sur la situation personnelle de l’intéressé et sur la possibilité de recouvrer une autre nationalité. Ce contrôle assure un équilibre entre la répression de la fraude et la protection des droits fondamentaux garantis par les traités internationaux. La décision commentée confirme que la fraude au droit national justifie une atteinte proportionnée au statut protecteur conféré par l’appartenance à l’Union.
L’application de ces principes au cas d’espèce conduit la juridiction à valider définitivement la mesure de retrait prise par le pouvoir exécutif.
B. La validation finale de la légalité de la mesure
Le Conseil d’État constate que l’intéressée ne produit aucun élément de nature à établir qu’elle aurait perdu sa nationalité d’origine burkinabè. La gravité des faits reprochés, caractérisée par une fraude organisée à la filiation, justifie pleinement la sévérité de la sanction administrative ainsi prononcée. Le délai écoulé depuis l’acquisition de la nationalité reste bref, ce qui limite l’impact de la révocation sur l’insertion sociale de la requérante. La haute juridiction considère ainsi que l’autorité administrative n’a pas commis d’erreur d’appréciation en faisant primer l’intérêt général sur la situation individuelle. La requête est par conséquent rejetée, confirmant la licéité d’une décision qui sanctionne la rupture du lien de confiance entre l’individu et l’État.