Par un arrêt en date du 13 mars 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité du retrait d’un décret de naturalisation fondé sur une dissimulation d’informations par le demandeur. En l’espèce, un ressortissant algérien avait déposé en 2019 une demande de naturalisation, en se déclarant célibataire. Postérieurement à sa demande mais antérieurement au décret de naturalisation prononcé le 19 novembre 2021, l’intéressé s’est marié en Algérie le 30 août 2021. L’administration, informée de ce mariage en janvier 2022, a rapporté le décret de naturalisation par un nouveau décret en date du 5 janvier 2024, au motif que la décision initiale avait été obtenue par mensonge. Le requérant a alors formé un recours pour excès de pouvoir contre ce décret de retrait. Il appartenait donc à la haute juridiction administrative de déterminer si la dissimulation d’un mariage, élément pertinent pour l’appréciation de la condition de résidence, constituait une fraude justifiant le retrait de la naturalisation au-delà du délai de droit commun, et si une telle mesure respectait les droits fondamentaux de l’intéressé. Le Conseil d’État a rejeté la requête, jugeant que la dissimulation était intentionnelle et constituait une fraude, ce qui ouvrait un délai spécial de retrait de deux ans à compter de sa découverte.
Cette décision permet au Conseil d’État de réaffirmer la portée de l’obligation de loyauté qui pèse sur le demandeur à la nationalité française, dont la violation caractérise une fraude justifiant le retrait de la naturalisation (I). La haute juridiction procède ensuite à un contrôle rigoureux des garanties encadrant cette mesure de retrait, tant sur le plan procédural que sur le respect des droits fondamentaux (II).
I – La caractérisation d’une fraude justifiant le retrait de la nationalité
Le Conseil d’État fonde la légalité du retrait sur l’obligation de loyauté du demandeur, dont la violation est caractérisée par la dissimulation intentionnelle de sa situation familiale.
A. L’obligation de loyauté du demandeur à la nationalité française
La naturalisation est subordonnée à plusieurs conditions légales, notamment celle de la résidence en France, qui doit être effective au moment de la signature du décret, comme le prévoit l’article 21-16 du code civil. Pour vérifier que le demandeur a bien fixé en France « de manière durable le centre de ses intérêts », l’administration s’appuie sur un faisceau d’indices. La situation familiale du demandeur est un élément central de cette appréciation. L’arrêt le rappelle explicitement en indiquant que, pour vérifier si la condition de résidence est remplie, « l’autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l’intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française ». Ainsi, le mariage, surtout lorsqu’il est contracté avec une personne résidant à l’étranger, est une information substantielle qui doit être portée à la connaissance des services instructeurs. Le demandeur s’engage d’ailleurs sur l’honneur à signaler tout changement de situation intervenant au cours de la procédure. Le manquement à cette obligation de transparence et de loyauté constitue la première étape du raisonnement du juge administratif pour qualifier le comportement du requérant.
B. La dissimulation intentionnelle de la situation familiale
L’omission ne suffit pas à elle seule ; l’administration doit prouver son caractère intentionnel pour qu’elle soit qualifiée de mensonge ou de fraude au sens de l’article 27-2 du code civil. Dans cette affaire, le Conseil d’État déduit l’intention de plusieurs éléments factuels. Il relève que l’intéressé résidait en France depuis 2012 et que sa maîtrise de la langue française était attestée, ce qui exclut toute méprise sur la portée de ses engagements. Le juge en conclut que l’individu « ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l’administration chargée d’instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l’honneur qu’il a signée ». Par cette analyse, la dissimulation de son mariage est requalifiée en acte volontaire. C’est pourquoi le Conseil d’État estime que l’intéressé « doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale », validant ainsi la qualification de fraude retenue par le ministre et l’application des dispositions spécifiques de l’article 27-2 du code civil.
Une fois la fraude établie, il revenait au Conseil d’État de s’assurer que les conditions de mise en œuvre de la procédure de retrait avaient été respectées.
II – Le contrôle des garanties encadrant la procédure de retrait
Le Conseil d’État vérifie avec précision le respect du délai de recours offert à l’administration en cas de fraude, avant d’opérer une balance entre l’intérêt général et le droit au respect de la vie privée du requérant.
A. La computation du délai de retrait en cas de fraude
L’article 27-2 du code civil distingue deux délais pour rapporter un décret de naturalisation. Le délai de droit commun est de deux ans à compter de la publication du décret, si les conditions légales n’étaient pas remplies. Toutefois, la loi prévoit un régime dérogatoire en cas de tromperie : « si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ». C’est cette seconde hypothèse qui s’appliquait en l’espèce. Le Conseil d’État procède à une application littérale et rigoureuse de ce texte. Il constate que l’administration a été informée du mariage le 5 janvier 2022 et que le décret de retrait a été pris le 5 janvier 2024. Le délai de deux ans, calculé à partir de la date de découverte de la fraude, a donc été respecté. Cette solution confirme la volonté du législateur de ne pas laisser une fraude faire bénéficier son auteur de la stabilité des situations juridiques au-delà d’un délai raisonnable après sa révélation.
B. L’appréciation de l’atteinte au droit au respect de la vie privée
Le requérant invoquait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Le Conseil d’État opère une distinction : il juge que le retrait de la nationalité est « dépourvu d’effet sur la présence sur le territoire français de celui qu’il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille », écartant ainsi une atteinte au droit à la vie familiale. En revanche, il admet que la nationalité est un élément constitutif de l’identité d’une personne, et qu’un tel décret est « susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée ». Le juge se livre alors à un contrôle de proportionnalité. Il met en balance la gravité de l’atteinte à la vie privée de l’individu et les motifs justifiant la décision administrative. En l’occurrence, le Conseil d’État conclut que, « eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent », le décret de retrait ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. La fraude initiale commise par le requérant vient ainsi légitimer l’ingérence de l’autorité publique dans son droit, la mesure de retrait n’étant que la conséquence de sa propre déloyauté.