2ème chambre du Conseil d’État, le 19 juin 2025, n°499481

Par une décision en date du 19 juin 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conséquences procédurales du dépôt de demandes de suspension successives dans le cadre d’un référé-liberté. En l’espèce, une procédure de réunification familiale avait été entravée par un refus de délivrance de visas d’entrée et de long séjour opposé par une autorité consulaire aux enfants d’une ressortissante étrangère. Le conjoint de cette dernière a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nantes d’une première demande de suspension de ces décisions sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, laquelle fut rejetée par une ordonnance du 5 novembre 2024. Le requérant a alors formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance, tout en introduisant une seconde demande de suspension devant le même juge des référés. Cette seconde requête a également été rejetée par une nouvelle ordonnance en date du 29 novembre 2024. Saisi du pourvoi dirigé contre la première ordonnance, le Conseil d’État était ainsi conduit à s’interroger sur la subsistance de l’intérêt à agir du requérant. Il s’agissait de déterminer si le pourvoi en cassation formé contre une première ordonnance de référé rejetant une demande de suspension est privé d’objet par l’intervention d’une seconde ordonnance statuant sur une nouvelle demande de même objet, alors même que cette dernière décision ne serait pas devenue définitive. La Haute Juridiction administrative répond par l’affirmative et prononce un non-lieu à statuer. Elle juge que « l’intervention, postérieurement à l’introduction de ce pourvoi, d’une nouvelle ordonnance rejetant la nouvelle demande rend, eu égard à la nature de la procédure de référé, sans objet les conclusions dirigées contre la première ordonnance, alors même que la seconde n’est pas devenue définitive ». Cette décision précise ainsi l’articulation procédurale propre aux référés-suspension successifs (I), consacrant une solution pragmatique qui renforce la nature provisoire de cette voie de droit (II).

I. L’articulation procédurale clarifiée des référés-suspension successifs

La solution retenue par le Conseil d’État repose sur la faculté reconnue au justiciable de réitérer sa demande de suspension (A), tout en tirant la conséquence de l’effet extinctif de la seconde ordonnance sur le premier pourvoi (B).

A. La réitération admise de la demande de suspension

La Haute Juridiction rappelle implicitement un principe fondamental des procédures de référé, tenant à leur caractère provisoire. En effet, les ordonnances rendues par le juge des référés sont dépourvues de l’autorité de la chose jugée au principal. Cette caractéristique essentielle permet à un requérant, dont la première tentative a échoué, de saisir à nouveau le juge d’une demande identique. Le Conseil d’État souligne que le rejet d’une première demande « ne fait pas obstacle à ce que le même requérant saisisse ce juge d’une nouvelle demande ayant le même objet, notamment en soulevant des moyens ou en faisant valoir des éléments nouveaux, alors même qu’ils auraient pu lui être soumis dès sa première saisine ». Cette possibilité ouverte au justiciable garantit la flexibilité de la procédure d’urgence et lui permet de s’adapter à une évolution de la situation de fait ou de droit, ou simplement de présenter une argumentation renouvelée. La souplesse de ce mécanisme est donc préservée, mais elle ne saurait pour autant conduire à un enchevêtrement des voies de recours.

B. L’effet extinctif de la seconde ordonnance sur le premier pourvoi

La principale clarification apportée par cet arrêt réside dans la conséquence attachée à l’intervention de la seconde ordonnance sur le pourvoi en cassation dirigé contre la première. Le Conseil d’État estime que l’existence d’une nouvelle décision du juge des référés, statuant sur le même objet, rend sans intérêt l’examen de la légalité de la décision antérieurement contestée. Le litige dont était saisi le juge de cassation, à savoir la régularité de l’ordonnance du 5 novembre 2024, perd sa pertinence dès lors qu’une décision plus récente, celle du 29 novembre 2024, s’y est substituée pour apprécier la condition d’urgence et le doute sérieux. L’instance de cassation se trouve donc privée d’objet, ce qui justifie le prononcé d’un non-lieu à statuer. Cette solution assure une gestion rationnelle des flux contentieux en évitant au juge de cassation de se prononcer sur une ordonnance qui n’est plus, en pratique, le dernier état du droit entre les parties dans le cadre de la procédure d’urgence.

II. La consécration du caractère provisoire du référé et ses conséquences procédurales

La décision commentée renforce la spécificité de l’office du juge des référés en faisant primer le caractère provisoire de ses décisions sur toute autre considération, notamment celle de leur caractère définitif (A), ce qui aboutit à une résolution pragmatique du litige par le non-lieu à statuer (B).

A. La prééminence du caractère provisoire sur le caractère définitif

L’un des apports les plus notables de l’arrêt est la précision selon laquelle la perte d’objet du pourvoi se produit « alors même que la seconde [ordonnance] n’est pas devenue définitive ». Le Conseil d’État n’exige donc pas que la seconde ordonnance soit purgée de toute voie de recours pour produire son effet extinctif sur le premier pourvoi. Cette affirmation est forte de sens : elle signifie que la simple existence d’une nouvelle appréciation par le premier juge suffit à rendre obsolète le recours contre l’appréciation précédente. C’est bien la nature fondamentalement provisoire et évolutive de la procédure de référé qui est ici mise en exergue. L’office du juge de l’urgence est de statuer au vu des circonstances présentes, et la décision la plus récente est celle qui reflète le mieux l’état actuel du litige. L’analyse du juge de cassation doit donc se concentrer sur la dernière ordonnance en date, si elle est contestée, car elle seule traduit la position actualisée du juge des référés.

B. Une résolution pragmatique conduisant au non-lieu à statuer

En déclarant le pourvoi sans objet, le Conseil d’État adopte une approche empreinte de pragmatisme et de bonne administration de la justice. Le non-lieu à statuer est l’outil procédural qui permet de clore une instance lorsque la solution qui pourrait y être apportée serait dépourvue de toute portée pratique. En l’espèce, annuler ou confirmer la première ordonnance de référé n’aurait eu aucune incidence sur la situation des requérants, celle-ci étant désormais régie par la seconde ordonnance. Cette solution évite ainsi l’encombrement des prétoires et prévient le risque de décisions contradictoires qui pourraient naître de l’examen parallèle d’ordonnances successives. Elle garantit une lisibilité et une cohérence dans l’enchaînement des procédures, en s’assurant que le débat contentieux porte toujours sur l’acte qui produit effectivement des effets juridiques au moment où le juge statue.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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