Par une décision en date du 26 juin 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité du retrait d’un décret de naturalisation obtenu par mensonge.
En l’espèce, une ressortissante étrangère a sollicité et obtenu sa naturalisation par un décret du 6 janvier 2022, après avoir attesté de son célibat dans son dossier de demande déposé en 2017. Il est apparu ultérieurement que l’intéressée s’était mariée quelques semaines seulement avant le dépôt de sa demande, dissimulant ainsi sa situation maritale réelle. Informé de ce mensonge, le Premier ministre a rapporté le décret de naturalisation par une décision du 22 février 2024. La requérante a alors saisi le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de ce décret de retrait, arguant notamment d’une irrégularité procédurale et d’une atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale.
La question de droit soumise au Conseil d’État était de savoir si le retrait d’un décret de naturalisation, fondé sur le mensonge de l’intéressée quant à sa situation familiale, constitue une sanction légale et proportionnée au regard du droit au respect de la vie privée.
Le Conseil d’État rejette la requête, considérant que la procédure de retrait a été régulièrement menée et que la décision de retrait, motivée par la fraude de la requérante, ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée. La Haute Juridiction administrative estime en effet que si le retrait d’une nationalité « affecte un élément constitutif de l’identité de la personne concernée », la gravité du manquement initial justifie la sanction prise par l’administration, conformément aux dispositions de l’article 27-2 du code civil.
L’arrêt confirme ainsi la faculté pour l’administration de sanctionner un comportement frauduleux dans l’acquisition de la nationalité (I), tout en soumettant cette prérogative à un contrôle de proportionnalité restreint face à la mauvaise foi de l’administré (II).
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I. La légitimation du retrait de la nationalité face au mensonge avéré
La décision du Conseil d’État repose sur une application rigoureuse des textes régissant le retrait de la nationalité pour fraude, validant ainsi la démarche de l’administration (A), tout en écartant les moyens procéduraux soulevés par la requérante (B).
A. La consécration du mensonge comme fondement du retrait
Le Conseil d’État fonde son raisonnement sur l’article 27-2 du code civil, lequel dispose que les décrets de naturalisation « peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude » si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude. En l’espèce, la dissimulation par la requérante de son mariage, contracté juste avant sa demande, caractérise sans équivoque le mensonge exigé par le texte. Le juge administratif rappelle que la sincérité des déclarations constitue une condition substantielle de l’octroi de la nationalité française. En validant le retrait, il réaffirme que la nationalité n’est pas seulement un acte administratif, mais un lien fondé sur une confiance réciproque, que le mensonge vient rompre. La décision illustre ainsi le principe selon lequel la fraude corrompt tout, permettant à l’administration de revenir sur une décision qu’elle n’aurait pas prise si elle avait eu connaissance de la situation réelle. La Haute Juridiction considère que la fausse déclaration sur un élément aussi essentiel que la situation familiale suffit à vicier le consentement de l’administration et à justifier le rapport du décret.
B. La validation de la régularité de la procédure contradictoire
La requérante tentait de contester la légalité du décret de retrait en invoquant une irrégularité dans la procédure. Le Conseil d’État écarte ce moyen avec fermeté, en procédant à une vérification factuelle. Il relève que, conformément aux articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993, l’intéressée a bien été mise en mesure de présenter ses observations en défense avant que l’avis conforme du Conseil d’État ne soit sollicité par le ministre. Le juge constate que « les visas du décret attaqué font mention des observations en défense de Mme A…, produites les 26 octobre et 19 décembre 2023, soit antérieurement à l’avis du Conseil d’Etat ». Cette analyse pragmatique démontre que le respect du principe du contradictoire a été formellement assuré. En se bornant à vérifier la chronologie des actes, le Conseil d’État refuse de voir dans la procédure un formalisme excessif et confirme que l’essentiel demeure la capacité effective pour l’administré de faire valoir ses arguments avant la prise de décision définitive. La légalité externe de l’acte étant ainsi établie, le juge a pu se concentrer sur l’appréciation de sa légalité interne.
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II. Une appréciation limitée du droit à la vie privée face à la fraude
Le Conseil d’État, s’il admet que le retrait de la nationalité affecte la vie privée, juge cette atteinte justifiée par la gravité de la faute commise (A), consacrant ainsi la précarité d’un statut obtenu par des moyens déloyaux (B).
A. L’application d’un contrôle de proportionnalité restreint
Le point le plus notable de la décision réside dans l’analyse de la conventionalité du retrait au regard de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le juge opère une distinction claire : le décret de retrait est « dépourvu d’effet sur la présence sur le territoire français de celui qu’il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille », ce qui exclut une atteinte au droit au respect de la vie familiale. En revanche, il admet qu’un tel décret « affecte un élément constitutif de l’identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée ». Toutefois, le Conseil d’État conclut immédiatement que, « eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent », le décret ne porte pas une atteinte disproportionnée à ce droit. Ce raisonnement révèle un contrôle de proportionnalité dont l’intensité est manifestement réduite par la mauvaise foi de la requérante. Le mensonge originel semble priver l’atteinte à la vie privée de son caractère disproportionné, le comportement de l’administrée devenant l’élément déterminant de l’appréciation du juge.
B. La portée dissuasive de la précarité du statut frauduleux
En rejetant la requête, le Conseil d’État envoie un signal clair sur la précarité de tout droit acquis par la fraude. La solution réaffirme que la nationalité, bien que constitutive de l’identité, demeure conditionnée à la loyauté de celui qui la sollicite. La décision a une portée dissuasive, rappelant aux postulants l’importance de la sincérité de leurs déclarations et les conséquences sévères qui s’attachent à tout manquement. Le délai de retrait de deux ans, qui court non pas à compter de l’édiction du décret mais « à partir de la découverte de la fraude », confère à l’administration un pouvoir de contrôle étendu dans le temps et renforce l’insécurité juridique de celui qui a sciemment trompé les autorités. Cet arrêt s’inscrit ainsi dans une jurisprudence constante qui fait prévaloir la nécessité de protéger l’intégrité du processus de naturalisation sur la stabilité de la situation individuelle de la personne dont la mauvaise foi est établie. La protection de la vie privée ne saurait dès lors constituer un sanctuaire pour un statut obtenu par un vice originel.