Le Conseil d’État a rendu le 5 mars 2025 une décision relative à la légalité d’un décret rapportant une naturalisation pour cause de fraude. Une ressortissante étrangère avait sollicité l’acquisition de la nationalité française en déclarant être divorcée et sans enfant à charge lors de son dépôt de demande. Elle a contracté un mariage en Algérie avec un compatriote résidant à l’étranger quelques mois seulement avant l’intervention du décret lui accordant la nationalité. L’administration n’ayant pas été informée de ce changement de situation matrimoniale a décidé de rapporter l’acte initial par un décret en date du 20 mars 2024.
L’intéressée soutient qu’elle avait tenté de prévenir les services préfectoraux et que sa résidence effective en France n’était pas contestable à la date de sa naturalisation. Le juge administratif doit déterminer si la dissimulation volontaire d’un mariage constitue une manœuvre frauduleuse justifiant le retrait de la nationalité, malgré le respect des conditions légales. Le juge rejette la requête en validant le caractère intentionnel du mensonge avant d’examiner la proportionnalité de la mesure au regard du droit européen et conventionnel. L’analyse portera d’abord sur la caractérisation de la fraude dans l’accès à la nationalité, puis sur le contrôle de proportionnalité exercé par le juge administratif.
I. La caractérisation de la fraude dans l’acquisition de la nationalité française
A. Le manquement à l’obligation de sincérité du requérant
L’article 27-2 du code civil dispose que les décrets de naturalisation peuvent être rapportés si la décision a été obtenue par un mensonge ou une fraude caractérisée. En l’espèce, le mariage intervenu au cours de l’instruction aurait dû être porté à la connaissance des services, conformément aux engagements souscrits par la requérante. Le Conseil d’État souligne que l’intéressée « ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l’administration » chargée d’instruire sa demande. La preuve de l’envoi d’un courrier d’information n’étant pas rapportée, le silence gardé sur ce changement matrimonial révèle une volonté manifeste de tromper les services compétents. Cette dissimulation volontaire de la situation familiale permet de fonder légalement le décret de retrait sans que l’administration n’ait commis d’erreur manifeste dans son appréciation.
B. L’indifférence du respect des conditions légales de fond
La requérante faisait valoir qu’elle remplissait néanmoins la condition de résidence en France au sens de l’article 21-16 du code civil au moment de sa naturalisation. Toutefois, le juge précise que la réalité de la situation familiale aurait été de nature à modifier l’appréciation globale portée par les services instructeurs sur la demande. Le Conseil d’État écarte ce moyen en affirmant que « la circonstance selon laquelle elle remplissait la condition de résidence est sans incidence sur la légalité du décret attaqué ». La fraude corrompt tout et l’existence d’un droit théorique ne saurait couvrir l’usage de manœuvres déloyales pour obtenir une décision administrative créatrice de droits indus. La validation de la fraude permet alors au juge d’examiner la validité de la mesure de retrait au regard des engagements internationaux de la France.
II. La conformité du retrait de nationalité aux standards supérieurs
A. La préservation de la citoyenneté européenne par le contrôle de proportionnalité
La perte de la nationalité d’un État membre entraîne celle de la citoyenneté de l’Union, imposant un contrôle de proportionnalité strict des motifs d’intérêt général invoqués. Le juge rappelle que les dispositions nationales permettant de rapporter un décret obtenu par fraude ne sont pas incompatibles avec les exigences fondamentales du droit européen. L’autorité administrative doit vérifier si la mesure est proportionnée à la gravité des faits et au délai écoulé depuis l’acquisition initiale de la nationalité française. Le Conseil d’État valide le contrôle opéré, notant que la décision intervient rapidement après la découverte de la fraude sans rendre la personne concernée totalement apatride. La protection de l’intérêt général attaché à la sincérité des procédures administratives justifie ici l’atteinte portée au statut de citoyen de l’Union européenne de la requérante.
B. La protection limitée du droit au respect de la vie privée
L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme garantit le droit au respect de la vie privée contre les ingérences étatiques injustifiées. Le décret de retrait affecte certes l’identité, mais il est « dépourvu d’effet sur la présence sur le territoire » de la personne visée par la mesure contestée. Le juge estime que les motifs fondés sur la fraude excluent toute violation disproportionnée des droits fondamentaux garantis par les textes internationaux relatifs aux droits humains. La requérante conserve ses liens familiaux et sa nationalité d’origine, ce qui limite les conséquences concrètes de la perte de la qualité de française sur son quotidien. Par cette décision, le Conseil d’État confirme sa jurisprudence constante privilégiant la sanction de la déloyauté dès lors que les garanties essentielles des personnes restent respectées.