Par une décision en date du 7 février 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur l’étendue de l’obligation de motivation qui incombe à la Cour nationale du droit d’asile lorsqu’elle fonde sa décision sur des éléments nouveaux apparus lors de l’audience. En l’espèce, un ressortissant afghan avait sollicité la reconnaissance du statut de réfugié, invoquant des craintes de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine en raison des anciennes fonctions exercées par des membres de sa famille sous le gouvernement précédent.
La demande d’asile fut initialement rejetée par l’organisme compétent au motif que la réalité des craintes n’était pas établie. Le demandeur a alors formé un recours devant la Cour nationale du droit d’asile. Par une décision du 4 juillet 2023, cette dernière a annulé le rejet et reconnu à l’intéressé la qualité de réfugié. Pour ce faire, la Cour s’est exclusivement fondée sur les déclarations orales de l’intéressé à l’audience, jugées « circonstanciées et cohérentes ». Saisi d’un pourvoi par l’organisme de protection, le Conseil d’État était conduit à se demander si la seule référence générale aux déclarations orales d’un demandeur, sans en expliciter la teneur, constituait une motivation suffisante pour une décision de la Cour nationale du droit d’asile.
À cette question, la haute juridiction administrative a répondu par la négative. Elle a jugé qu’« en se bornant à renvoyer aux seules déclarations orales inédites de l’intéressé à l’audience, sans préciser ni les circonstances révélées par l’intéressé, ni celles qui permettaient de d’estimer qu’il serait regardé comme hostile aux autorités talibanes en cas de retour en Afghanistan, la Cour nationale du droit d’asile a insuffisamment motivé sa décision ». Par conséquent, le Conseil d’État a annulé la décision de la Cour et lui a renvoyé l’affaire. Cette cassation pour vice de forme rappelle les exigences qui encadrent l’office du juge de l’asile (I), tout en précisant la portée des débats oraux dans le contentieux spécifique de la protection internationale (II).
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I. Le contrôle de la motivation, garantie d’une justice intelligible
La décision du Conseil d’État réaffirme avec force le principe de l’obligation de motivation des décisions de justice, en l’appliquant aux spécificités du contentieux de l’asile. Elle censure ainsi une pratique qui priverait les parties et le juge de cassation des clés de compréhension du raisonnement du juge du fond.
A. La prohibition d’une motivation par simple référence
Le Conseil d’État sanctionne la méthode retenue par la Cour nationale du droit d’asile, qui consistait à s’appuyer sur des éléments probants apparus à l’oral sans les intégrer, même de manière succincte, dans le corps de sa décision. La formule selon laquelle les déclarations étaient « circonstanciées et cohérentes », bien que courante, est jugée ici insuffisante car elle ne permet pas de comprendre quels faits nouveaux ont été révélés et en quoi ceux-ci ont emporté la conviction du juge. Une telle motivation s’apparente à une clause de style qui, en l’absence de tout élément factuel la corroborant dans la décision écrite, devient opaque.
En agissant de la sorte, le juge du fond a privé sa décision de la substance même du raisonnement qui a conduit à l’annulation du refus de protection. Le juge de cassation, dont le contrôle se limite à l’erreur de droit et à la dénaturation des pièces du dossier, se trouve alors dans l’incapacité d’exercer son office. Il ne peut en effet vérifier si la Cour a correctement qualifié les faits et appliqué les dispositions de la Convention de Genève si les faits déterminants sur lesquels elle s’est fondée ne figurent pas dans la décision attaquée.
B. La réaffirmation de l’exigence d’une motivation effective
Au-delà de la seule technique de cassation, cette décision est un rappel pédagogique de la fonction même de la motivation. Celle-ci doit permettre aux parties de comprendre le sens de la décision qui leur est appliquée et, le cas échéant, de la contester à bon droit. Pour le demandeur, elle est la garantie que son récit a été entendu et analysé. Pour l’administration, elle est indispensable pour comprendre les raisons pour lesquelles sa propre analyse a été invalidée. Le Conseil d’État veille ainsi à ce que la décision de justice ne soit pas seulement une conclusion, mais la démonstration d’un raisonnement juridique appliqué à des faits précis.
L’exigence de motivation est d’autant plus cruciale dans le contentieux de l’asile, où la crédibilité du récit du demandeur est souvent au cœur de l’appréciation du juge. La présente décision souligne que l’intime conviction du juge, si elle est souveraine, doit pouvoir s’ancrer dans des éléments objectifs et vérifiables, retranscrits dans la décision. Le juge doit mettre en lumière le cheminement intellectuel qui le mène de l’audition du récit à la reconnaissance d’une crainte fondée de persécution.
II. L’articulation entre la procédure écrite et les débats oraux
Cette décision ne remet nullement en cause l’importance capitale de l’oralité dans la procédure d’asile, mais elle vient en préciser les contours en exigeant que les éléments déterminants issus des débats oraux soient formalisés dans la décision écrite.
A. Le rôle essentiel et préservé de l’audience
La procédure devant la Cour nationale du droit d’asile accorde une place prépondérante à l’audience. C’est à cette occasion que le demandeur peut exposer directement et personnellement son parcours et ses craintes, et que le juge peut, par un jeu de questions, se forger une conviction sur la crédibilité du récit. Les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, rappelées par le Conseil d’État, prévoient d’ailleurs que le demandeur peut être cru sur ses seules déclarations si celles-ci sont cohérentes et crédibles, palliant ainsi une fréquente absence de preuves matérielles.
La présente décision ne contredit pas ce principe. Elle ne signifie pas que des éléments nouveaux ne peuvent pas être utilement présentés à l’audience, ni que ceux-ci ne peuvent pas être décisifs. Au contraire, elle reconnaît implicitement que l’audience est le lieu où peuvent émerger des détails qui éclairent d’un jour nouveau le dossier. Le Conseil d’État ne critique pas le fait que la Cour se soit fondée sur des éléments oraux, mais uniquement l’absence de leur retranscription dans les motifs de la décision.
B. L’obligation de faire de la décision le reflet des débats
La portée de cet arrêt est avant tout pratique. Il impose à la Cour nationale du droit d’asile une discipline rédactionnelle accrue. Lorsque des déclarations orales se révèlent déterminantes pour l’issue du litige, et particulièrement lorsqu’elles apportent des faits nouveaux ou des précisions essentielles par rapport aux écritures, le juge a l’obligation d’en restituer la substance dans sa décision. Il doit expliquer quels sont ces nouveaux éléments et en quoi ils permettent d’établir l’existence de craintes personnelles, actuelles et fondées de persécution.
Cette exigence de formalisation assure la traçabilité du raisonnement et renforce la sécurité juridique. Elle garantit que la solution ne repose pas sur une conviction subjective et insondable, mais sur une analyse structurée de faits identifiés. En définitive, le Conseil d’État rappelle que si la procédure orale est le cœur vivant de la justice de l’asile, la décision écrite en est la mémoire et la garantie, et que l’une ne saurait prospérer sans refléter fidèlement la substance de l’autre.