2ème chambre du Conseil d’État, le 7 février 2025, n°494166

Par un arrêt en date du 7 février 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité du retrait d’un décret de naturalisation fondé sur une dissimulation d’informations par son bénéficiaire. En l’espèce, un ressortissant étranger avait déposé une demande de naturalisation en 2015, au cours de laquelle il s’était déclaré célibataire et sans enfant. Sa naturalisation fut prononcée par un décret en date du 22 septembre 2020. L’administration fut cependant informée ultérieurement qu’un enfant était né du requérant à l’étranger le 3 décembre 2018, soit avant la publication du décret de naturalisation. Constatant que cette information avait été dissimulée, l’autorité administrative a rapporté le décret de naturalisation par une nouvelle décision en date du 2 novembre 2023, en invoquant un mensonge de l’intéressé sur sa situation familiale. Le bénéficiaire de la naturalisation a alors formé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État, contestant la légalité de ce retrait. Il s’agissait donc pour la haute juridiction administrative de déterminer si l’omission de déclarer la naissance d’un enfant survenue avant l’octroi de la nationalité française constituait une fraude justifiant le retrait du décret de naturalisation au-delà du délai de droit commun. Le Conseil d’État a rejeté la requête, jugeant que la dissimulation volontaire par le postulant de sa nouvelle paternité caractérisait une fraude et que, par conséquent, l’administration était fondée à rapporter sa décision dans le délai spécial de deux ans courant à compter de la découverte des faits.

L’analyse de cette décision conduit à examiner la qualification de la fraude retenue par le juge administratif, qui repose sur un manquement délibéré à l’obligation de loyauté pesant sur le demandeur (I), avant d’étudier les conséquences de cette qualification sur le pouvoir de retrait dont dispose l’administration (II).

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I. La qualification de la fraude par dissimulation d’un élément de la situation familiale

La solution adoptée par le Conseil d’État repose sur une conception exigeante de la loyauté attendue de la part du candidat à la nationalité française (A), ce qui le conduit à considérer la rétention d’information comme une manœuvre frauduleuse (B).

A. L’obligation de loyauté renforcée du postulant à la nationalité française

La naturalisation n’est pas un droit mais une décision de l’autorité publique qui s’appuie sur la confiance accordée au postulant. La présente affaire illustre l’importance que le juge administratif attache à la sincérité et à l’exhaustivité des informations fournies lors de l’instruction d’une demande. Le Conseil d’État rappelle en effet que le changement de situation familiale, en l’occurrence la naissance d’un enfant, « aurait dû être portée à la connaissance des autorités chargées de l’instruction de sa demande ». Cette obligation ne se limite pas aux informations existantes au jour du dépôt du dossier, mais s’étend à tout fait nouveau pertinent survenant durant la phase d’instruction, jusqu’à la signature du décret.

En soulignant que le requérant s’était engagé à signaler toute modification de sa situation, le juge confère une portée juridique significative à cet engagement. Il ne s’agit pas d’une simple formalité administrative, mais d’un pacte de loyauté entre le postulant et l’État. La maîtrise de la langue française par l’intéressé est d’ailleurs relevée pour écarter toute méprise sur la portée de ses obligations, renforçant l’idée que le manquement ne saurait résulter d’une simple négligence ou d’une incompréhension. Cette position confirme une jurisprudence constante qui exige du demandeur une coopération active et continue, la qualité de la décision administrative dépendant directement de la véracité des éléments sur lesquels elle se fonde.

B. La dissimulation volontaire, élément constitutif du mensonge

Pour que la fraude soit constituée, l’élément matériel de l’omission doit être accompagné d’un élément intentionnel. C’est sur ce point que le raisonnement du Conseil d’État est particulièrement net. Le juge écarte l’argument du requérant selon lequel il ne disposait pas de la preuve de la naissance de son enfant avant la date de sa naturalisation, qualifiant cette défense de peu crédible. Par une analyse souveraine des faits, le juge déduit l’intention frauduleuse du comportement de l’intéressé.

Le Conseil d’État considère ainsi que l’individu « doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale ». L’emploi de ces termes montre que la rétention d’information n’est pas perçue comme un oubli passif mais comme un acte positif de dissimulation. Ce mensonge par omission a eu pour effet de vicier le consentement de l’administration, laquelle s’est prononcée sur la base d’une situation familiale présentée comme inchangée. En ne déclarant pas son enfant, le postulant a privé l’autorité administrative d’un élément essentiel d’appréciation, notamment au regard de la condition de résidence et de la localisation du centre de ses intérêts matériels et familiaux, rappelée par l’article 21-16 du code civil.

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II. La mise en œuvre du retrait de la nationalité pour fraude

La reconnaissance du caractère frauduleux de la démarche de l’intéressé a des conséquences directes sur les conditions de retrait du décret de naturalisation, en permettant l’application d’un régime dérogatoire quant au délai d’action (A), tout en confirmant la marge d’appréciation de l’administration sous le contrôle du juge (B).

A. L’application du délai spécial de retrait à compter de la découverte de la fraude

L’article 27-2 du code civil organise un double régime de retrait des décrets de naturalisation. Le premier permet un retrait dans un délai de deux ans à compter de la publication du décret si les conditions légales n’étaient pas remplies. Le second, applicable en cas de mensonge ou de fraude, autorise ce même retrait dans un délai de deux ans, non plus à compter de la publication, mais « à partir de la découverte de la fraude ». C’est cette seconde branche de l’alternative que la décision met en œuvre.

En l’espèce, la fraude ayant été découverte en novembre 2021, l’administration disposait d’un délai allant jusqu’en novembre 2023 pour agir. Le décret de retrait ayant été pris le 2 novembre 2023, il est intervenu dans le respect de ce délai spécial. Cette solution est protectrice des intérêts de l’État, car elle empêche qu’une fraude découverte tardivement ne puisse être sanctionnée. Elle réaffirme le principe selon lequel la fraude corrompt tout (« Fraus omnia corrumpit ») et fait échec à la stabilisation des situations juridiques acquises par des manœuvres déloyales. La décision illustre ainsi l’articulation rigoureuse entre la gravité du comportement et la rigueur de la sanction administrative qui peut en découler.

B. La confirmation d’un pouvoir d’appréciation de l’administration sous le contrôle du juge

En validant le décret de retrait, le Conseil d’État confirme que l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation pour décider de sanctionner ou non une fraude avérée. Le retrait n’est en effet pas automatique. L’autorité administrative aurait pu, au vu des circonstances, décider de ne pas rapporter le décret de naturalisation. Cependant, une fois sa décision prise, celle-ci est soumise au plein contrôle du juge de l’excès de pouvoir.

Le rôle du juge est alors de vérifier la matérialité des faits invoqués, leur qualification juridique en tant que fraude, et l’absence d’erreur manifeste d’appréciation. Dans cette affaire, le Conseil d’État exerce ce contrôle en validant point par point le raisonnement de l’administration. Il juge que les faits sont établis, que la qualification de fraude est correcte et que la décision de retrait n’est pas une application inexacte de la loi. Cette solution réaffirme l’équilibre du droit de la nationalité, entre la prérogative de la puissance publique de choisir ses nationaux et la garantie pour les individus que les décisions les plus graves, comme le retrait de la nationalité, sont prises dans le respect du droit et sous un contrôle juridictionnel effectif.

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