Par un arrêt en date du 21 mars 2025, le Conseil d’État a apporté des précisions sur les conditions d’exercice du droit de retrait d’un agent public et a rappelé les règles de compétence contentieuse applicables aux litiges relatifs à l’allocation d’aide au retour à l’emploi. En l’espèce, un maître contractuel de l’enseignement privé, reconnu travailleur handicapé en raison d’une grave déficience visuelle, a vu son état de santé se dégrader. Le médecin de prévention a alors préconisé d’importants aménagements de son poste de travail. L’agent, estimant que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa santé, a exercé son droit de retrait. Il a par la suite démissionné.
L’agent a saisi le tribunal administratif de Melun d’une demande d’indemnisation pour les rémunérations non perçues durant l’exercice de son droit de retrait, ainsi que d’une demande d’annulation du refus de l’administration de lui verser les allocations d’aide au retour à l’emploi. Par deux jugements du 12 mai 2021, le tribunal a rejeté ses demandes sur ces deux points. La cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt du 28 octobre 2022, a confirmé le rejet des appels formés par l’agent. Celui-ci a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.
Il était donc demandé au Conseil d’État de déterminer si un agent public pouvait raisonnablement estimer que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent justifiant un retrait, notamment lorsque les aménagements de poste préconisés par la médecine préventive n’ont pas été immédiatement mis en œuvre. La Haute Juridiction devait également se prononcer sur la compétence de la cour administrative d’appel pour connaître d’un litige relatif à l’attribution de l’allocation d’aide au retour à l’emploi.
Le Conseil d’État a partiellement annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel. Il a jugé que le droit de retrait était justifié pour la période durant laquelle l’administration n’avait pas encore proposé de mesures substantielles pour aménager le poste de l’agent, mais qu’il ne l’était plus après que ces propositions ont été formulées. Par ailleurs, il a déclaré la cour administrative d’appel incompétente pour statuer sur la demande relative aux allocations chômage, avant de rejeter, après requalification, le pourvoi sur ce point comme n’étant fondé sur aucun moyen sérieux.
Cette décision permet de clarifier l’appréciation temporelle du motif raisonnable justifiant le droit de retrait (I), tout en opérant un rappel procédural strict quant au contentieux des allocations chômage (II).
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I. Une appréciation circonstanciée de la légitimité du droit de retrait
Le Conseil d’État module son analyse de la légitimité du droit de retrait en fonction des diligences accomplies par l’administration. Il reconnaît la validité du retrait lorsque les aménagements nécessaires font défaut (A), mais la refuse dès lors que des mesures substantielles sont proposées à l’agent (B).
A. La justification du retrait face à l’inertie initiale de l’administration
L’exercice du droit de retrait par un agent public est subordonné à l’existence d’un « motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé », comme le prévoient les dispositions de l’article 5-6 du décret du 28 mai 1982. La Haute Juridiction examine ici si la carence de l’employeur à adapter le poste de travail d’un agent en situation de handicap constitue un tel motif. Le Conseil d’État constate que l’agent avait subi « une nette dégradation de sa santé visuelle » et que le médecin de prévention avait conditionné la reprise de ses fonctions à la mise en place d’aménagements importants.
En l’absence de proposition concrète de l’administration à la suite de l’arrêt de travail de l’agent, le Conseil d’État considère que ce dernier disposait bien d’un motif raisonnable justifiant son retrait. En jugeant le contraire, la cour administrative d’appel a commis une dénaturation des pièces du dossier. La décision souligne ainsi que l’inaction de l’administration face à un risque avéré et documenté pour la santé d’un agent suffit à caractériser la situation de danger grave et imminent. La légitimité du retrait est donc reconnue pour toute la période courant du début de celui-ci jusqu’à la formulation de propositions concrètes par l’employeur.
B. La cessation du danger par la proposition d’aménagements substantiels
La protection conférée par le droit de retrait n’est cependant pas absolue et trouve sa limite dans les actions correctives mises en œuvre par l’administration. Le Conseil d’État relève qu’à compter du 3 novembre 2014, l’administration a proposé à l’agent « une partie substantielle des aménagements requis pour permettre l’exercice par [l’agent] de ses fonctions dans le respect de sa santé visuelle ». Ces mesures comprenaient des aménagements d’emploi du temps, l’identification d’une aide humaine et la mise à disposition de matériels spécifiques.
Dès lors que ces propositions sont de nature à faire cesser le danger grave et imminent, l’agent ne peut plus légitimement maintenir son retrait. Le fait que ces aménagements ne correspondent pas à « l’intégralité des propositions du médecin de prévention » est jugé sans incidence. La Haute Juridiction valide ainsi le raisonnement de la cour d’appel pour la période postérieure au 3 novembre 2014, considérant que les mesures prises, bien que partielles, étaient suffisantes pour écarter le péril. L’agent a alors l’obligation de reprendre son service, son refus pouvant être considéré comme injustifié. Cette solution équilibre la protection de la santé de l’agent et la nécessité de continuité du service public.
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II. Un rappel formel des règles de compétence et de procédure
Au-delà de la question du droit de retrait, la décision se distingue par sa portée procédurale. Le Conseil d’État censure l’arrêt d’appel pour incompétence sur le volet du litige relatif aux allocations chômage (A), avant de rejeter lui-même le pourvoi par le biais de la procédure d’admission (B).
A. L’incompétence de la cour administrative d’appel en matière d’allocations de retour à l’emploi
La seconde branche du litige concernait le refus d’octroyer à l’agent l’allocation d’aide au retour à l’emploi à la suite de sa démission. Le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel en ce qu’il a statué sur ce point, au motif de son incompétence. Il rappelle que, selon l’article R. 811-1 du code de justice administrative, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux prestations et allocations en faveur des travailleurs privés d’emploi.
L’allocation d’aide au retour à l’emploi constitue une telle allocation. Par conséquent, les jugements des tribunaux administratifs rendus en la matière ne sont pas susceptibles d’appel, mais peuvent uniquement faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. En se prononçant sur l’appel de l’agent, la cour administrative d’appel de Paris a méconnu l’étendue de sa compétence. Cette cassation pour un motif de pur droit illustre la rigueur du contrôle exercé par la Haute Juridiction sur le respect des règles de compétence d’attribution, qui sont d’ordre public.
B. Le rejet des conclusions par le filtre de la procédure d’admission
Ayant annulé l’arrêt d’appel pour incompétence, le Conseil d’État se trouve directement saisi des conclusions de l’agent, qu’il requalifie en pourvoi en cassation contre les jugements du tribunal administratif. Il examine alors ces conclusions au regard des exigences de l’article L. 822-1 du code de justice administrative, qui subordonne le pourvoi à une procédure préalable d’admission. L’admission est refusée si le pourvoi est irrecevable ou « n’est fondé sur aucun moyen sérieux ».
L’agent soutenait que le tribunal avait dénaturé les faits et commis une erreur de qualification juridique en ne considérant pas sa démission comme légitime. Le Conseil d’État estime qu’« aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission de ces conclusions ». Par cette décision de non-admission, il met un terme définitif au litige sur ce point, sans se prononcer sur le fond. Cette technique procédurale lui permet de filtrer efficacement les pourvois et de ne juger au fond que les affaires soulevant une question de droit sérieuse. La solution confirme implicitement que les conditions de la démission, intervenue bien après la proposition d’aménagements, ne permettaient pas de la regarder comme involontaire.