3ème – 8ème chambres réunies du Conseil d’État, le 4 avril 2025, n°472245

Le Conseil d’État, par une décision du 4 avril 2025, précise le régime juridique des vœux émis par les organes délibérants des collectivités territoriales. En l’espèce, un conseil départemental a adopté une délibération formulant des souhaits relatifs aux moyens de la police nationale sur son territoire. Le préfet a alors déféré cet acte devant le tribunal administratif de Montreuil afin d’en obtenir l’annulation pour excès de pouvoir. Par un jugement rendu le 26 novembre 2021, la juridiction de premier ressort a rejeté la demande tendant à l’annulation de la délibération litigieuse. La cour administrative d’appel de Paris, saisie du litige, a toutefois annulé ce jugement et la délibération par un arrêt du 3 mars 2023. Les juges d’appel considéraient que la sécurité publique n’était pas un domaine de compétence que la loi avait expressément attribué au département. La collectivité territoriale a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la haute juridiction administrative pour erreur de droit.

Le litige porte sur la question de savoir si l’exercice du pouvoir de vœu est strictement subordonné à l’existence d’une compétence législative spécifique. Le Conseil d’État répond par la négative, affirmant que seul l’intérêt public local justifie une telle prise de position par les élus. Il précise également que le vœu ne constitue pas un acte faisant grief sauf lorsqu’il fait l’objet d’un déféré préfectoral. La haute juridiction souligne enfin que la nature politique de ces actes consultatifs interdit de leur opposer le respect du principe de neutralité. Cette décision consacre l’indépendance du pouvoir de vœu par rapport aux compétences législatives et affirme son caractère politique face au principe de neutralité.

I. La consécration d’un pouvoir de vœu indépendant des compétences législatives

A. Le primat de l’intérêt public local sur la spécialité fonctionnelle

Le juge rappelle que la loi du 2 mars 1982 a abrogé les textes interdisant aux conseils locaux d’émettre des vœux politiques. Il estime que le législateur a ainsi reconnu la faculté pour les organes délibérants de formuler des prises de position sans restriction. La décision souligne que cette liberté s’exerce « sans la restreindre aux domaines de compétence que la loi leur attribue » par ailleurs. Dès lors, la suppression de la clause générale de compétence par la loi du 7 août 2015 demeure sans incidence sur cette faculté. Cette autonomie juridique permet aux assemblées locales de s’exprimer sur des sujets dépassant leurs strictes attributions de gestion courante définies par la loi.

B. L’interprétation libérale de l’intérêt local en matière de sécurité publique

La validité du vœu reste conditionnée par l’existence d’un objet présentant un intérêt public local pour la collectivité qui s’exprime souverainement. Le Conseil d’État affirme ici que « les questions relatives à l’organisation et au fonctionnement de la police nationale » répondent à cette exigence. Il écarte ainsi l’argumentation du préfet qui soutenait que la sécurité publique était une mission régalienne étrangère aux préoccupations du département. Cette solution consacre une vision territoriale de l’intérêt public dépassant le cadre des compétences de gestion directe transférées par l’État central. La reconnaissance de cet intérêt local permet d’envisager la protection particulière dont bénéficient ces actes au regard de leur contenu politique.

II. L’affirmation du caractère politique du vœu face au principe de neutralité

A. La reconnaissance législative de la nature politique des délibérations consultatives

Le juge administratif confirme que les délibérations par lesquelles une collectivité émet un vœu peuvent légitimement revêtir un caractère politique affirmé. Cette nature découle de la volonté du législateur qui a entendu que le vœu « puisse revêtir un caractère politique » au sein des assemblées. Le vœu ne constitue pas une décision créatrice de droits mais une simple déclaration d’intention dépourvue d’effet juridique direct sur les tiers. En raison de cette absence de portée décisoire, le juge administratif refuse de soumettre ces actes à la rigueur du contrôle de légalité.

B. L’inopérance du grief tiré de la méconnaissance de l’obligation de neutralité

La décision précise que « la méconnaissance du principe de neutralité ne saurait être utilement invoquée » à l’encontre d’un vœu politique local. Cette exclusion s’explique par la nature même de l’acte dont le législateur a autorisé l’expression de convictions au sein de l’assemblée. Le principe de neutralité s’applique aux services publics mais ne saurait brider le débat démocratique au sein des organes délibérants des collectivités. Le contrôle juridictionnel se limite donc à vérifier l’intérêt local et le respect de l’ordre public sans s’immiscer dans le message politique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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