3ème chambre du Conseil d’État, le 12 mars 2025, n°474260

Par un arrêt en date du 12 mars 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conséquences des irrégularités susceptibles d’affecter une procédure de vérification de comptabilité qui n’a pas été matériellement conduite, au regard de la validité des impositions supplémentaires qui en sont issues.

En l’espèce, un contribuable exerçant une activité commerciale à titre individuel a fait l’objet d’un avis de vérification de comptabilité pour les exercices clos en 2012 et 2013. L’administration fiscale, après deux tentatives de prise de contact par courriers retournés avec la mention « avisé et non réclamé », a procédé à des rehaussements en matière d’impôt sur le revenu selon la procédure de rectification contradictoire, et à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée par la voie de la taxation d’office. Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Nîmes afin d’obtenir la décharge de ces impositions, mais sa demande a été rejetée par un jugement du 29 juin 2021. Sur appel de l’intéressé, la cour administrative d’appel de Toulouse, par un arrêt du 16 mars 2023, a annulé ce jugement tout en rejetant au fond la demande du requérant. Ce dernier a alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que la procédure d’imposition était irrégulière en raison de l’absence d’examen effectif de sa comptabilité sur place.

La question de droit soumise au Conseil d’État était de déterminer si l’irrégularité entachant une vérification de comptabilité, qui n’a pu être menée à bien, vicie la procédure de redressement lorsque les impositions contestées sont fondées, d’une part, sur des éléments dont disposait l’administration antérieurement à l’engagement de la vérification et, d’autre part, sur le constat d’un défaut de souscription des déclarations légalement requises.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi. S’agissant de l’impôt sur le revenu, il censure l’erreur de droit de la cour administrative d’appel qui avait imputé au contribuable l’échec de la vérification sur place, mais il substitue un nouveau motif en jugeant que l’irrégularité de cette vérification est sans effet dès lors que les redressements ne procèdent pas de celle-ci. Concernant la taxe sur la valeur ajoutée, il confirme que le contribuable ne peut utilement se prévaloir d’éventuelles irrégularités de la vérification dès lors que sa situation de taxation d’office résultait de son manquement à ses obligations déclaratives, établi par des éléments indépendants.

Cette décision conduit à distinguer la portée de l’irrégularité formelle d’une vérification de comptabilité selon la nature des impositions en cause. Ainsi, si le Conseil d’État valide l’imposition sur le revenu par une neutralisation de l’irrégularité (I), il confirme plus directement la procédure de taxation d’office pour la taxe sur la valeur ajoutée en la jugeant autonome (II).

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I. L’immunisation de l’imposition sur le revenu par la substitution de motif

Le Conseil d’État, tout en reconnaissant une erreur dans l’analyse des juges du fond, préserve la validité des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu. Il censure d’abord l’appréciation erronée de la cour administrative d’appel (A) avant de rendre cette censure sans conséquence pratique par le mécanisme de la substitution de motif (B).

A. La censure de l’erreur de droit commise par les juges du fond

La Haute Juridiction administrative rappelle les exigences qui pèsent sur l’administration lorsqu’elle engage une vérification de comptabilité. Pour écarter le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure, la cour administrative d’appel avait estimé que l’absence d’examen des pièces comptables sur place était imputable au seul comportement du contribuable. Ce dernier n’ayant pas réclamé les courriers l’informant de la venue du vérificateur, les juges d’appel en avaient déduit que l’administration était déliée de son obligation de débat oral et contradictoire au sein de l’entreprise.

Le Conseil d’État censure ce raisonnement en retenant une erreur de droit. Il juge qu’il ne suffisait pas de constater que les courriers n’avaient pas été réclamés pour en déduire une obstruction de la part du contribuable. La cour aurait dû vérifier si le vérificateur s’était effectivement « rendu sur place et aurait été empêché, par le fait de M. B…, d’accéder à la comptabilité de l’entreprise ». En l’absence d’une telle constatation factuelle, la seule absence de retrait des lettres recommandées ne caractérise pas une opposition à contrôle fiscal et ne peut justifier l’absence d’investigations sur place. Cette cassation partielle réaffirme la nécessité pour le juge de l’impôt de contrôler la matérialité des diligences de l’administration et de ne pas se contenter de simples présomptions pour justifier une dérogation aux garanties du contribuable.

B. La neutralisation de l’irrégularité par l’origine des éléments de redressement

Malgré la cassation prononcée sur le principe, le Conseil d’État use de son pouvoir de substitution de motif pour valider le dispositif de l’arrêt d’appel. Cette technique lui permet de remplacer le raisonnement erroné des juges du fond par une motivation juridiquement correcte, à la condition que l’examen de celle-ci n’implique l’appréciation d’aucune circonstance de fait nouvelle. En l’occurrence, le juge de cassation constate que les redressements en matière d’impôt sur le revenu n’ont pas été établis sur la base de la vérification de comptabilité litigieuse.

En effet, l’administration fiscale s’est fondée « exclusivement sur les déclarations de bénéfices industriels et commerciaux de M. B…, d’une part, et ses déclarations lors de ses auditions par la gendarmerie, transmises à l’administration fiscale par l’autorité judiciaire, d’autre part ». Or, ces documents ne constituent pas la comptabilité de l’entreprise et l’administration en disposait avant même d’engager la procédure de vérification. Par conséquent, le Conseil d’État juge que « les redressements litigieux ne procédant pas de la vérification de comptabilité contestée, qui en pratique n’a pas été effectuée, les irrégularités ayant le cas échéant entaché cette vérification demeurent, en tout état de cause, sans effet sur la régularité de la procédure ». La source du redressement étant extérieure à la procédure viciée, le vice lui-même devient inopérant.

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Si la procédure d’imposition sur le revenu est ainsi validée par un raisonnement substitué, la solution retenue pour les rappels de taxe sur la valeur ajoutée repose sur une logique distincte, fondée sur l’autonomie de la procédure de taxation d’office.

II. La confirmation du bien-fondé de la taxation d’office en matière de taxe sur la valeur ajoutée

Concernant la taxe sur la valeur ajoutée, le Conseil d’État écarte également les arguments du contribuable en s’appuyant sur les conditions propres à la mise en œuvre de la taxation d’office. Il s’attache d’abord au fait générateur de l’obligation fiscale (A) pour ensuite consacrer l’indifférence de l’irrégularité de la vérification de comptabilité sur cette procédure spécifique (B).

A. Le dépassement des seuils de franchise en base comme fait générateur de l’obligation déclarative

La procédure de taxation d’office prévue au 3° de l’article L. 66 du livre des procédures fiscales est applicable aux redevables qui n’ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu’ils sont tenus de souscrire. Pour déterminer si le contribuable était soumis à cette obligation, la cour administrative d’appel a souverainement apprécié les faits, sans les dénaturer. Elle a jugé que les éléments issus des propres déclarations de bénéfices du contribuable, corroborés par ses déclarations en gendarmerie, établissaient qu’il avait dépassé les seuils de la franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée prévus à l’article 293 B du code général des impôts.

Le Conseil d’État confirme cette approche. Dès lors que le franchissement des seuils était démontré par des pièces non contestées, le contribuable devenait redevable de la taxe et était astreint à souscrire les déclarations correspondantes. Son manquement à cette obligation suffisait à justifier le recours par l’administration à la procédure de taxation d’office. La cause de l’imposition ne réside donc pas dans les découvertes d’une vérification de comptabilité, mais dans la défaillance déclarative du contribuable, dont la preuve est rapportée par d’autres moyens.

B. L’indifférence de l’irrégularité de la vérification de comptabilité sur la procédure de taxation d’office

Fort de ce constat, le Conseil d’État applique une solution de principe bien établie. Il rappelle que « les irrégularités qui ont pu entacher la vérification de comptabilité demeurent sans incidence sur la régularité de la procédure d’imposition alors même que l’administration, pour déterminer les bases d’imposition, a utilisé des éléments recueillis au cours de ladite vérification ». Ce principe trouve une application d’autant plus évidente en l’espèce que non seulement la situation de taxation d’office n’a pas été révélée par la vérification, mais de surcroît les bases d’imposition elles-mêmes ont été établies à partir d’éléments extérieurs à celle-ci.

Le raisonnement est donc doublement sécurisé : la taxation d’office est justifiée par une cause autonome, le défaut déclaratif, et les éventuels vices de la vérification de comptabilité sont sans lien avec cette procédure. Le contribuable ne pouvait donc utilement invoquer l’irrégularité de la vérification pour contester les rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Cet arrêt illustre la portée limitée des garanties liées à la vérification de comptabilité lorsque le contribuable est par ailleurs en situation de défaillance déclarative justifiant une taxation d’office.

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Hassan KOHEN
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