Par une décision en date du 14 avril 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur une demande de sursis à exécution d’un arrêt de cour administrative d’appel dans le cadre d’un litige relatif à l’imputabilité au service d’un accident subi par un agent public.
Un agent public territorial a été victime d’un accident le 1er avril 2019. Le maire de sa commune d’emploi a refusé de reconnaître l’imputabilité de cet accident au service par un arrêté du 7 octobre 2019, plaçant l’intéressé en congé de maladie ordinaire. Par des arrêtés ultérieurs, l’agent a ensuite été placé puis maintenu en disponibilité d’office pour raisons de santé.
Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Nîmes a, par un jugement du 18 juillet 2022, annulé l’ensemble de ces décisions. La commune a interjeté appel de ce jugement. Par un arrêt du 22 octobre 2024, la cour administrative d’appel de Toulouse a infirmé le jugement de première instance, annulant ses articles 1er et 2, et a rejeté les demandes initiales de l’agent. Ce dernier a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, assorti d’une demande de sursis à exécution de l’arrêt de la cour administrative d’appel.
Il revenait donc au Conseil d’État de déterminer si les conditions posées par l’article R. 821-5 du code de justice administrative pour ordonner le sursis à exécution d’une décision juridictionnelle étaient réunies.
Le Conseil d’État y répond par l’affirmative, en jugeant que l’exécution de l’arrêt attaqué risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables pour le requérant et que l’un des moyens soulevés paraît sérieux. Il ordonne par conséquent qu’il soit sursis à l’exécution de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Toulouse jusqu’à ce qu’il soit statué sur le pourvoi.
Cette décision illustre l’application des critères du sursis à exécution, justifiée par une appréciation concrète de la situation du requérant (I), et révèle la fonction protectrice de cette mesure conservatoire dans l’attente du jugement au fond (II).
I. Le bien-fondé du sursis à exécution prononcé
Le Conseil d’État fonde sa décision sur une analyse successive des deux conditions cumulatives exigées par le code de justice administrative. Il examine d’abord l’existence de conséquences difficilement réparables (A) avant de se pencher sur le caractère sérieux d’un des moyens du pourvoi (B).
A. La caractérisation de conséquences difficilement réparables
Le juge des référés retient une approche pragmatique pour apprécier la première condition. L’arrêt de la cour administrative d’appel, en annulant le jugement de première instance, a eu pour effet de remettre en vigueur les décisions du maire. Par conséquent, il mettait fin au placement de l’agent en congé pour invalidité temporaire imputable au service, qui avait été décidé à titre provisoire par l’administration.
Le Conseil d’État relève que cette situation « se traduit pour [l’agent] par la privation de l’intégralité de son traitement ». C’est cette conséquence financière drastique qui constitue le fondement de l’appréciation du juge. La perte de toute rémunération pour un agent public est considérée comme une situation qui, par sa nature même, engendre un préjudice grave et immédiat.
En se fondant sur les « éléments ainsi versés au dossier par le requérant », la haute juridiction conclut que « l’exécution de cet arrêt risque d’entraîner pour lui des conséquences difficilement réparables ». L’appréciation est donc concrète et s’attache à la situation personnelle et financière de l’individu, considérant que la simple continuité de l’existence matérielle de ce dernier est compromise par l’exécution de la décision contestée.
B. L’appréciation d’un moyen sérieux
La seconde condition du sursis à exécution réside dans l’existence d’un moyen paraissant, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier non seulement l’annulation de l’arrêt, mais aussi l’infirmation de la solution retenue. Le juge procède ici à un examen prima facie des arguments juridiques développés dans le pourvoi principal.
Le Conseil d’État identifie un moyen remplissant ce critère, à savoir celui « tiré de ce que la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que l’accident du 1er avril 2019 n’était pas imputable au service ». Ce faisant, il ne préjuge pas de la solution finale qui sera apportée au litige. Il constate simplement qu’il existe un doute suffisant sur le bien-fondé du raisonnement des juges du fond.
L’erreur dans la qualification juridique des faits est un cas d’ouverture à cassation. En estimant que ce moyen « paraît sérieux », le juge des référés reconnaît l’existence d’une contestation substantielle quant à l’analyse des circonstances de l’accident au regard des critères de l’imputabilité au service. Cette appréciation suffit, à ce stade de la procédure, à remplir la seconde condition légale, permettant ainsi de passer à l’analyse de la portée de la mesure.
II. La portée protectrice de la mesure de sursis
Au-delà de la stricte application des textes, la décision met en lumière le rôle du sursis à exécution comme un instrument essentiel à la garantie d’une justice effective. Il assure l’effet utile du pourvoi en cassation (A) tout en offrant une solution d’attente face à une divergence d’appréciation entre les juges du fond (B).
A. La garantie de l’effet utile du pourvoi
Le mécanisme du sursis à exécution vise à empêcher qu’une décision de justice, potentiellement erronée, ne produise des effets irréversibles avant que le juge de cassation ait pu se prononcer. Sans cette mesure, le pourvoi de l’agent aurait pu être privé de son effet utile. En effet, même si le Conseil d’État venait ultérieurement à lui donner raison sur le fond, l’agent aurait subi une longue période sans revenus, avec des conséquences matérielles et morales potentiellement dévastatrices.
En suspendant l’arrêt de la cour administrative d’appel, le juge des référés garantit la préservation des droits et de la situation du requérant. La victoire juridique future ne doit pas devenir une victoire théorique pour une personne dont la situation a été irrémédiablement compromise dans l’intervalle. Cette décision réaffirme donc que l’accès au juge et le droit à un recours effectif incluent la possibilité de neutraliser les effets les plus dommageables d’une décision contestée.
La protection ainsi accordée est temporaire et conditionnée à l’issue du pourvoi, mais elle est fondamentale pour maintenir l’équilibre entre l’exécution des décisions de justice et la sauvegarde des intérêts légitimes des justiciables. Le sursis agit comme un bouclier, protégeant le justiciable le temps que la justice achève son cours.
B. Une solution provisoire face à une divergence d’appréciation des faits
La présente affaire est marquée par une opposition frontale entre les analyses du tribunal administratif et de la cour administrative d’appel. Les premiers juges ont estimé que les décisions du maire étaient illégales, tandis que les seconds les ont validées en retenant une qualification différente des faits. C’est précisément cette divergence qui rend le moyen soulevé devant le Conseil d’État sérieux.
La décision de sursis à exécution prend acte de cette incertitude juridique née de l’opposition entre les juges du fond. En attendant de trancher définitivement la question de la qualification juridique de l’accident, le Conseil d’État choisit de faire prévaloir, à titre conservatoire, la protection de la partie la plus vulnérable. La suspension de l’arrêt d’appel a pour effet pratique de rétablir provisoirement la situation issue du jugement de première instance, plus favorable à l’agent.
Cette mesure ne tranche pas le débat de fond mais le met en suspens. Elle illustre le rôle d’arbitre du juge de cassation qui, même dans le cadre d’une procédure d’urgence, doit peser les intérêts en présence. Face à une situation financièrement préjudiciable et à un doute juridique sérieux, la décision de sursis apparaît comme une mesure de bonne administration de la justice, prévenant un dommage immédiat en attendant la clarification du droit.