3ème chambre du Conseil d’État, le 20 décembre 2024, n°464342

Par une décision en date du 20 décembre 2024, le Conseil d’État se prononce sur les conditions de retrait d’une subvention publique en cas de non-respect par le bénéficiaire des obligations qui y sont attachées. Une société d’exploitation viticole avait bénéficié d’une aide aux investissements accordée par un établissement public chargé des produits de l’agriculture. Après achèvement des travaux, l’établissement a réduit le montant de l’aide, estimant que toutes les conditions n’avaient pas été respectées dans les délais impartis, avant d’engager une procédure pour récupérer l’intégralité des sommes déjà versées. Saisi par la société, le tribunal administratif de Nantes, par un jugement du 25 février 2021, a annulé les décisions de l’établissement public et l’a condamné à verser le solde de l’aide initialement promise. L’établissement public a interjeté appel de cette décision. Par un arrêt du 25 mars 2022, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté son recours, confirmant le jugement de première instance. Les juges du fond ont considéré que l’administration ne pouvait légalement retirer l’aide, au motif que les textes régissant la subvention ne prévoyaient pas explicitement une telle sanction en cas de méconnaissance des délais relatifs à l’émission et au paiement des factures. L’établissement public a alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que la cour avait commis une erreur de droit. Il était donc demandé au Conseil d’État de déterminer si le non-respect par le bénéficiaire d’une subvention d’une condition fixée pour son octroi autorise l’administration à procéder à son retrait, alors même que les textes régissant l’aide n’assortiraient pas explicitement cette méconnaissance d’une telle sanction. À cette question, la Haute Juridiction administrative répond par l’affirmative. Elle casse l’arrêt de la cour administrative d’appel en rappelant qu’une subvention crée des droits « que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi ». Par conséquent, la méconnaissance d’une de ces conditions, qu’elle soit ou non assortie d’une sanction spécifique, justifie le retrait ou la réduction de l’aide par l’autorité administrative.

La solution retenue par le Conseil d’État réaffirme avec force le caractère conditionnel du droit à une subvention, en le liant strictement au respect des obligations par son bénéficiaire (I). Cette approche pragmatique se manifeste ensuite dans l’application concrète du principe au cas d’espèce, où la Haute Juridiction utilise la technique de la substitution de motifs pour valider la décision de l’administration (II).

I. La réaffirmation du caractère conditionnel du droit à subvention

Le Conseil d’État censure le raisonnement des juges du fond en rappelant que le droit à une subvention est subordonné au respect des conditions posées lors de son octroi (A), rendant ainsi sans importance l’absence de sanction explicitement prévue par les textes en cas de manquement (B).

A. Le respect des conditions d’octroi comme fondement du droit

La décision commentée s’articule autour d’un principe fondamental du droit des aides publiques. En énonçant qu’une subvention « constitue un acte unilatéral qui crée des droits au profit de son bénéficiaire » mais que « de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi », le Conseil d’État ancre fermement le bénéfice de l’aide dans une logique de contrepartie. Le droit n’est pas acquis de manière définitive et absolue au seul moment de la décision d’attribution ; il est, par nature, précaire et sa consolidation dépend de l’exécution complète des obligations définies par l’administration. En jugeant que la cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit, la Haute Juridiction censure une approche jugée trop formaliste, qui consistait à rechercher une disposition textuelle prévoyant spécifiquement la sanction du retrait pour le manquement constaté. Le Conseil d’État privilégie une analyse substantielle : la défaillance du bénéficiaire dans le respect d’une condition d’octroi rompt le pacte qui le lie à l’administration et prive, par conséquent, la décision d’attribution de son fondement.

B. L’indifférence de l’absence de sanction explicitement prévue

Le Conseil d’État tire une conséquence logique de ce principe en précisant le régime de la sanction. Il juge ainsi qu’est « sans incidence, à cet égard, la circonstance que ni l’article 8 de cette décision du 19 février 2013 (…) ni aucune autre disposition de cette décision n’auraient explicité les conséquences encourues en cas de méconnaissance des conditions posées ». Cette affirmation clarifie la portée des pouvoirs de l’administration gestionnaire d’aides publiques. La faculté de retirer une subvention en cas de non-respect des conditions n’est pas une mesure de police ou une sanction punitive qui nécessiterait un texte d’habilitation spécifique, mais la simple conséquence de la défaillance des conditions de formation du droit lui-même. La possibilité de retrait est donc inhérente à la nature même de la subvention conditionnelle et n’a pas besoin d’être expressément prévue. Cette solution confère une marge de manœuvre et une sécurité juridique importantes à l’administration, qui peut s’assurer que les deniers publics financent uniquement des projets qui respectent intégralement le cahier des charges initial.

II. Les modalités d’application du principe au cas d’espèce

Après avoir cassé l’arrêt d’appel, le Conseil d’État, réglant l’affaire au fond, examine les autres arguments soulevés par la société. Il écarte d’abord les moyens relatifs à une prétendue violation des garanties procédurales (A), avant de valider la décision administrative par le jeu de la substitution de motifs (B).

A. Le rejet des garanties procédurales invoquées par le bénéficiaire

La société bénéficiaire soutenait que la décision de réduction de l’aide aurait dû être précédée d’une procédure contradictoire, conformément aux articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration. Le Conseil d’État rejette cette argumentation en opérant une distinction subtile. Il relève que la décision contestée, qui refuse le versement d’une fraction de l’aide, a été prise en réponse à une demande de paiement formulée par la société elle-même. Dès lors, elle entre dans l’exception prévue à l’article L. 121-1, selon laquelle la procédure contradictoire ne s’applique pas lorsqu’il est « statué sur une demande ». La décision n’est pas considérée comme une mesure de retrait d’office prise à la seule initiative de l’administration, mais comme l’aboutissement d’un processus initié par le demandeur. En se bornant à vérifier si les conditions étaient remplies pour liquider le solde, l’administration n’était pas tenue de recueillir au préalable les observations du bénéficiaire. Cette interprétation limite le champ d’application du principe du contradictoire dans le cadre du contrôle des aides publiques sur demande.

B. La consécration du retrait par la technique de la substitution de motifs

L’aspect le plus notable du règlement au fond réside dans le recours à la substitution de motifs. Le Conseil d’État reconnaît d’abord que le motif initialement avancé par l’administration pour refuser une partie de l’aide, tiré de la date d’émission de la dernière facture, était illégal. Cependant, l’établissement public a présenté en cours d’instance un nouveau motif : le paiement tardif d’une partie des dépenses par la société, en méconnaissance des règlements applicables. Le juge constate que ce paiement tardif n’est pas contesté et qu’il justifiait légalement la décision de réduction de l’aide. Il procède alors à la substitution de ce motif valable à celui, erroné, qui figurait dans la décision initiale. Cette technique permet de valider un acte administratif qui, bien que fondé sur des raisons illégales, aurait pu être légalement pris pour d’autres motifs de fait et de droit existant à la date de son édiction. Son application en l’espèce démontre la volonté du juge de faire prévaloir la légalité substantielle sur les erreurs formelles ou de raisonnement de l’administration, et aboutit à rejeter définitivement la demande de la société.

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Hassan KOHEN
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