3ème chambre du Conseil d’État, le 20 juin 2025, n°494246

Par un arrêt en date du 20 juin 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conséquences procédurales attachées à l’omission, par une cour administrative d’appel, de viser une note en délibéré régulièrement produite par une partie. Cette décision, rendue en matière de protection fonctionnelle, illustre la rigueur avec laquelle le juge de cassation veille au respect des formes qui garantissent le caractère contradictoire de la procédure et les droits des justiciables.

En l’espèce, une agente d’une collectivité territoriale avait sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle en raison de faits de harcèlement moral qu’elle estimait avoir subis. Face au refus de l’autorité territoriale, l’agente a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a annulé cette décision. La commune a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Versailles, laquelle a confirmé l’annulation du refus de protection par un arrêt du 2 mai 2024. C’est dans ce contexte que la commune a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. L’un de ses moyens portait sur le fait que la cour administrative d’appel n’avait pas visé une note en délibéré qu’elle avait adressée après la clôture de l’audience mais avant le prononcé de la décision.

Il revenait donc au Conseil d’État de déterminer si l’absence de visa d’une note en délibéré, régulièrement produite avant le prononcé de la décision, constitue une irrégularité de procédure de nature à justifier l’annulation de l’arrêt.

À cette question, la Haute Juridiction administrative répond par l’affirmative. Elle juge que l’arrêt attaqué est intervenu au terme d’une procédure irrégulière au motif qu’il n’a pas visé la note en délibéré produite par la commune, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 741-2 du code de justice administrative. En conséquence, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles et lui renvoie l’affaire.

Cette solution, qui rappelle l’attachement du juge au respect scrupuleux des règles procédurales, consacre l’obligation formelle de prise en compte de la note en délibéré (I), dont le non-respect entraîne une sanction automatique et rigoureuse (II).

I. La portée réaffirmée de l’obligation de prise en compte de la note en délibéré

Le Conseil d’État rappelle avec clarté les obligations qui pèsent sur le juge administratif lorsqu’une note en délibéré lui est soumise. Il souligne l’impératif de prise de connaissance de cette note (A) et l’exigence formelle de son visa dans la décision (B).

A. L’obligation de prise de connaissance de la note par le juge

La décision commentée réaffirme un principe essentiel du procès administratif, celui du caractère contradictoire qui se prolonge au-delà de l’audience. Le Conseil d’État précise qu’« il appartient dans tous les cas au juge administratif d’en prendre connaissance avant de rendre sa décision ». Cette formule souligne le caractère impératif et systématique de cette obligation pour la formation de jugement. Peu importe le contenu de la note, sa pertinence ou sa nouveauté ; dès lors qu’elle est enregistrée avant que la décision ne soit prononcée, elle doit être examinée.

Le juge n’est toutefois pas tenu de rouvrir l’instruction pour soumettre cette note au débat contradictoire, à moins qu’elle ne contienne des éléments nouveaux d’une importance capitale. L’obligation première est donc bien celle d’une lecture attentive par les magistrats en charge du délibéré. La Haute Juridiction s’assure ainsi que toute pièce produite en temps utile par un justiciable soit effectivement portée à la connaissance de son juge, garantissant par là même une écoute jusqu’au terme du processus décisionnel.

B. La formalisation de cette prise en compte par le visa de la décision

Au-delà de la simple prise de connaissance, le Conseil d’État insiste sur sa nécessaire matérialisation dans le corps de l’arrêt. En se fondant sur l’article R. 741-2 du code de justice administrative, qui liste les mentions que doivent obligatoirement comporter les décisions, la juridiction fait du visa de la note en délibéré une formalité substantielle. L’acte de viser la note constitue la preuve objective et irréfutable que celle-ci a bien été reçue et intégrée au dossier soumis au délibéré.

Dans le cas d’espèce, la Haute Juridiction relève que « l’arrêt attaqué (…) ne fait aucune mention de cette note en délibéré ». Elle écarte par ailleurs l’argument selon lequel la formation de jugement en aurait tout de même pris connaissance, en précisant qu’« aucun élément du dossier ne l’établit ». Ainsi, en l’absence de visa, la prise de connaissance est présumée de manière irréfragable ne pas avoir eu lieu. Cette exigence formaliste est la traduction procédurale du droit à un procès équitable, car elle assure aux parties la traçabilité de leurs écritures et la certitude de leur examen par le juge.

II. La sanction rigoureuse d’un formalisme protecteur

Le manquement à l’obligation de viser la note en délibéré n’est pas considéré comme une simple erreur matérielle, mais comme un vice de procédure entraînant l’annulation de la décision (A). Cette sanction témoigne de la primauté que le juge de cassation accorde à la régularité de la procédure sur l’examen du fond du droit (B).

A. La qualification d’une irrégularité substantielle

Le Conseil d’État ne s’engage dans aucune appréciation de l’utilité ou de l’influence qu’aurait pu avoir la note en délibéré sur la solution du litige. Le seul constat de l’omission du visa suffit à vicier la procédure. Il en résulte que « la commune d’Auvers-sur-Oise est fondée à soutenir que l’arrêt qu’elle attaque est intervenu à la suite d’une procédure irrégulière ». Le manquement à l’article R. 741-2 du code de justice administrative est donc analysé comme une cause de nullité d’ordre public.

La portée de cette solution est renforcée par le fait que le Conseil d’État n’examine aucun des autres moyens soulevés par la commune, qui portaient vraisemblablement sur le fond du litige. L’annulation est prononcée « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi », ce qui démontre le caractère dirimant de cette seule irrégularité formelle. La sanction est donc automatique et ne laisse aucune place à une éventuelle régularisation ou à une appréciation *in concreto* de la part du juge de cassation.

B. La primauté de la régularité procédurale sur le fond du litige

Cette décision illustre parfaitement le rôle du juge de cassation en tant que gardien de la stricte application des règles de droit, y compris celles de procédure. En faisant prévaloir le respect du formalisme sur la discussion des questions de fond, le Conseil d’État envoie un signal fort aux juridictions inférieures sur l’importance de la rigueur procédurale. La solution ne préjuge en rien de l’issue de l’affaire lorsque celle-ci sera à nouveau jugée par la cour administrative d’appel de renvoi.

La portée de cet arrêt est donc avant tout pédagogique. Il rappelle que les formes de la justice ne sont pas de vaines contraintes, mais des garanties fondamentales pour les justiciables. En assurant une application stricte de ces règles, le Conseil d’État renforce la sécurité juridique et la confiance dans l’institution judiciaire. Le formalisme, loin d’être excessif, apparaît ici comme le rempart des droits de la défense et l’instrument d’une bonne administration de la justice.

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Hassan KOHEN
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