Par une décision rendue le 31 mars 2025, le Conseil d’État encadre strictement la qualification de maître de l’affaire permettant de présumer l’appréhension de revenus distribués. Une société exerçant une activité d’hôtellerie, détenue intégralement par une entreprise associée, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité révélant des recettes non déclarées. L’administration fiscale a alors assujetti le gérant de la société associée à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu au titre des années 2015 et 2016. Le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de décharge de ces impositions par un jugement rendu le 28 mars 2022. La cour administrative d’appel de Marseille a confirmé cette solution le 10 novembre 2023 en retenant la présomption de distribution attachée à la qualité de maître de l’affaire. Les contribuables ont alors formé un pourvoi en cassation afin d’obtenir l’annulation de cet arrêt et la décharge des rappels d’imposition litigieux. Le litige porte sur la question de savoir si la seule qualité de gérant d’une société associée suffit à caractériser la maîtrise de l’affaire d’une filiale. Le Conseil d’État censure le raisonnement des juges d’appel en jugeant que la preuve d’un contrôle effectif et sans partage de la gestion financière n’était pas rapportée. L’analyse de cette solution conduit à examiner la délimitation de la notion de maître de l’affaire avant d’étudier le contrôle de la preuve de l’appréhension des revenus.
I. La délimitation stricte de la notion de maître de l’affaire
A. L’insuffisance des critères organiques et techniques
La cour administrative d’appel de Marseille s’est fondée sur la qualité de gérant de l’associée unique et sur la connaissance précise du fonctionnement comptable de l’entreprise. Toutefois, le Conseil d’État considère que « ces éléments ne suffisent pas à eux seuls à établir » l’exercice d’une responsabilité effective sur l’ensemble de la gestion administrative. La simple détention d’un mandat social au sein de la structure mère ou une implication technique ne permettent pas de caractériser légalement la maîtrise de l’affaire. L’erreur de droit commise par les juges du fond souligne la nécessité d’une analyse globale dépassant les fonctions formelles exercées par le contribuable au sein du groupe. Cette exigence de matérialité de la gestion conduit naturellement à s’interroger sur l’étendue réelle des pouvoirs nécessaires pour déclencher la présomption d’appréhension des sommes distribuées.
B. L’exigence de la preuve d’un contrôle exclusif et sans partage
Pour être regardé comme le seul maître de l’affaire, le contribuable doit être en mesure d’user « sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres ». Cette définition jurisprudentielle classique impose à l’administration de démontrer que l’intéressé dispose seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société distributrice des revenus. Le juge de cassation rappelle que la présomption d’appréhension ne peut s’appliquer sans la preuve d’une autonomie totale dans la disposition des fonds de la personne morale. La décision rapportée renforce la protection du dirigeant minoritaire ou indirect en refusant l’extension automatique d’un concept qui déroge aux règles de preuve de droit commun. L’annulation de l’arrêt permet au Conseil d’État de régler l’affaire au fond pour exercer un contrôle rigoureux sur la réalité de l’appréhension des revenus litigieux.
II. Le contrôle rigoureux de la preuve de l’appréhension des revenus
A. L’échec de la substitution de base légale par l’administration
L’administration a sollicité le maintien des impositions sur le fondement de l’article 109 du code général des impôts en invoquant la qualité de maître de l’affaire. Il incombe normalement à l’autorité fiscale d’apporter la preuve que le bénéficiaire a « effectivement disposé » des sommes regardées comme distribuées par la société lors de la vérification. Le Conseil d’État constate que l’administration ne produit aucun élément suffisant pour établir que le requérant exerçait seul les prérogatives les plus étendues durant la période. La substitution de base légale ne peut prospérer si les faits invoqués ne permettent pas de caractériser la disposition réelle ou présumée des bénéfices non mis en réserve. L’absence de démonstration probante de la part des services fiscaux entraîne l’impossibilité de maintenir les rectifications initialement fondées sur les dispositions relatives aux rémunérations occultes.
B. La protection du contribuable contre les présomptions automatiques
Le requérant soutenait sans être contredit qu’il n’était propriétaire que d’une fraction minoritaire des parts de la société holding contrôlant la filiale opérationnelle de gestion hôtelière. Le juge souligne l’absence d’accord entre les associés de nature à conférer un pouvoir spécifique dans la gestion quotidienne des liquidités générées par l’activité exercée. L’administration ne peut se borner à arguer d’une délégation matérielle de responsabilité sans justifier de la réalité d’un pouvoir de disposition souverain sur les actifs sociaux. La décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu est ainsi prononcée en l’absence de preuve d’une appréhension effective des recettes réintégrées au résultat imposable. Cette solution confirme la volonté de la juridiction administrative de limiter les dérives d’une qualification de maître de l’affaire parfois utilisée comme un simple automatisme fiscal.