Par une décision en date du 13 juin 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité d’un décret présidentiel mettant fin aux fonctions d’une directrice académique des services de l’éducation nationale. En l’espèce, une agente appartenant au corps des inspecteurs d’académie avait été nommée sur un emploi de directrice académique. À la suite de signalements faisant état de dysfonctionnements managériaux, une enquête administrative fut diligentée, aboutissant à un rapport de l’inspection générale. Sur la base de ce rapport, un décret mit fin à ses fonctions et à son détachement dans l’intérêt du service. L’agente a alors saisi la juridiction administrative d’une requête en annulation pour excès de pouvoir de ce décret. Elle soulevait l’irrégularité de la procédure au motif qu’elle n’avait pas eu communication de l’intégralité de son dossier, l’illégalité de la décision prise après l’expiration de la période probatoire de six mois, l’inexactitude matérielle des faits et l’erreur manifeste d’appréciation, ainsi que l’existence d’une sanction disciplinaire déguisée.
Il était donc demandé au Conseil d’État de déterminer si l’expiration de la période probatoire applicable lors d’une nomination sur un emploi de direction faisait obstacle à ce que l’autorité administrative puisse, ultérieurement, prononcer un retrait d’emploi dans l’intérêt du service. En outre, la Haute Juridiction devait apprécier la régularité de la procédure suivie, notamment au regard du respect des droits de la défense et du caractère de la mesure prise. Le Conseil d’État a rejeté la requête, considérant que la procédure de retrait d’emploi dans l’intérêt du service est distincte de celle applicable durant la période probatoire et peut intervenir à tout moment. Il a également jugé que les garanties procédurales avaient été respectées et que la mesure n’était entachée ni d’erreur manifeste d’appréciation ni de détournement de pouvoir.
Cette décision offre une clarification notable sur l’articulation des dispositifs de cessation de fonctions pour les emplois de direction de l’État (I), tout en appliquant de manière rigoureuse les principes du contrôle juridictionnel sur les mesures prises en considération de la personne (II).
I. LA DISTINCTION AFFIRMÉE ENTRE FIN DE PÉRIODE PROBATOIRE ET RETRAIT DANS L’INTÉRÊT DU SERVICE
Le Conseil d’État établit une frontière nette entre la période probatoire, conçue comme un temps d’évaluation initiale, et le pouvoir permanent de l’administration de mettre fin à des fonctions pour des motifs liés à l’intérêt du service. Il affirme ainsi l’autonomie des deux régimes de cessation de fonctions (A) et consacre par là même une prérogative continue et discrétionnaire de l’administration (B).
A. L’autonomie des deux régimes de cessation de fonctions
La Haute Juridiction administrative écarte avec fermeté l’argument selon lequel la fin de la période probatoire cristalliserait le droit de l’agent à se maintenir dans son emploi. Le juge rappelle que les dispositions de l’article 13 du décret du 31 décembre 2019, qui organisent une procédure simplifiée de fin de détachement durant les six premiers mois, ont un objet spécifique. Elles visent à « permettre à l’autorité de recrutement, à l’occasion de la prise de poste, de s’assurer de l’adéquation de l’agent aux missions qu’il a à exercer ». Cette période constitue donc un instrument d’évaluation initial, offrant une souplesse à l’administration pour corriger rapidement une nomination qui se révélerait inadéquate.
Cependant, le Conseil d’État précise que ce mécanisme « n’a pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de faire obstacle à ce que, sur le fondement de l’article 16 du même décret (…), les agents nommés dans l’un des emplois régis par ce décret se voient retirer, postérieurement à l’expiration de la période probatoire, leur emploi dans l’intérêt du service ». La solution est logique : les deux procédures répondent à des finalités distinctes. La première sanctionne une inadéquation constatée *ab initio*, tandis que la seconde vise à remédier à des difficultés, telles que des dysfonctionnements durables, qui peuvent apparaître ou s’aggraver bien après la confirmation de l’agent dans ses fonctions.
B. La consécration d’une prérogative continue de l’administration
En dissociant les deux régimes, la décision confirme que l’administration dispose d’un pouvoir permanent pour gérer ses emplois de direction. Le retrait d’emploi dans l’intérêt du service n’est pas une alternative à la non-confirmation au terme de la période probatoire, mais un instrument de gestion autonome. Cette prérogative est essentielle pour garantir la continuité et le bon fonctionnement du service public. L’administration doit pouvoir prendre les mesures nécessaires lorsqu’un cadre supérieur, même compétent techniquement, ne parvient plus à assurer le pilotage de sa structure, créant une situation préjudiciable à l’intérêt général.
Cette solution réaffirme que la nomination à un emploi fonctionnel de direction est par nature révocable. Si la stabilité est souhaitable, elle ne saurait paralyser l’action administrative lorsque l’intérêt du service est compromis. Le juge administratif encadre toutefois cette prérogative en la soumettant à une motivation et à une procédure contradictoire, incluant un entretien préalable. La confirmation de ce pouvoir continu s’accompagne donc nécessairement d’un contrôle juridictionnel vigilant sur les conditions de sa mise en œuvre.
Après avoir ainsi consolidé le fondement juridique de la mesure, le Conseil d’État s’est attaché à vérifier la régularité de sa mise en œuvre, tant sur le plan procédural que sur le fond, appliquant un contrôle devenu classique en la matière.
II. LE CONTRÔLE CLASSIQUE DES VICES PROCÉDURAUX ET SUBSTANTIELS
Le Conseil d’État examine ensuite les moyens tirés d’un vice de procédure et d’une erreur d’appréciation. Il adopte une vision pragmatique du droit à communication du dossier (A) et opère une vérification traditionnelle de l’absence d’erreur manifeste et de détournement de pouvoir (B).
A. Une conception pragmatique du droit à communication du dossier
La requérante soutenait ne pas avoir eu accès à l’intégralité de son dossier, en violation de l’article L. 137-4 du code général de la fonction publique. Le Conseil d’État rejette cette argumentation en deux temps. D’une part, concernant des documents favorables à l’agente qui n’étaient pas au dossier communiqué, il relève que l’intéressée, qui « avait connaissance de l’existence de ces documents, n’en a pas demandé la communication ». Il en déduit que l’administration n’a pas manqué à son obligation, faisant ainsi peser sur l’agent une part d’initiative dans l’exercice de son droit d’accès. D’autre part, s’agissant des procès-verbaux d’audition, il constate que ceux-ci ont été transmis sans occultation et que l’absence de retranscription des questions posées par les inspecteurs ne constitue pas une irrégularité.
Cette approche pragmatique confirme que le droit à communication du dossier vise à garantir un débat contradictoire effectif sur les éléments à charge. L’administration doit fournir tous les éléments sur lesquels elle fonde sa décision, mais l’agent ne saurait se prévaloir de l’absence de pièces dont il connaît l’existence mais qu’il n’a pas réclamées, surtout lorsqu’elles sont à son avantage. Le respect des droits de la défense est ainsi apprécié de manière concrète, en fonction de l’incidence réelle de l’omission sur la capacité de l’agent à se défendre.
B. Le rejet traditionnel de l’erreur manifeste d’appréciation et du détournement de pouvoir
Face aux moyens contestant la matérialité des faits et leur appréciation, le juge administratif exerce son contrôle restreint à l’erreur manifeste. Il reconnaît que le rapport d’enquête, bien que tenant compte de difficultés préexistantes, décrit de manière « circonstanciée, et par ailleurs impartiale, les agissements de l’intéressée caractérisant un pilotage défaillant ». Dès lors que la décision s’appuie sur des faits matériellement exacts et suffisamment établis, et que l’appréciation qui en est faite par l’administration n’est pas manifestement disproportionnée, le juge ne substitue pas sa propre évaluation à celle de l’autorité compétente.
Enfin, le Conseil d’État écarte le moyen tiré du détournement de pouvoir. La requérante arguait que la mesure constituait une sanction déguisée pour des faits de harcèlement moral évoqués dans le rapport. Le juge se livre à une recherche du but réel de la décision. Il constate que celle-ci a été prise « en vue de rétablir le bon fonctionnement de la direction » et non dans une intention répressive. En se fondant sur la motivation de l’acte et les pièces du dossier, il conclut que le but affiché, tiré de l’intérêt du service, correspondait à l’intention véritable de l’administration. Cette analyse illustre le contrôle classique opéré par le juge pour distinguer ce qui relève de la mesure de gestion, même si elle est défavorable, de ce qui ressort du pouvoir disciplinaire.