4ème – 1ère chambres réunies du Conseil d’État, le 13 juin 2025, n°497325

Par une décision rendue le 13 juin 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité du refus d’un ministre d’étendre un avenant à une convention collective. En l’espèce, plusieurs organisations syndicales de salariés et d’employeurs avaient conclu un avenant visant à modifier la classification et la rémunération des emplois dans le secteur de l’hospitalisation privée. Cet accord subordonnait toutefois son entrée en vigueur à l’obtention de financements publics intégraux, sans en préciser ni le montant ni les modalités d’obtention. Face au silence prolongé du ministre compétent sur sa demande d’extension de cet avenant, une fédération syndicale a saisi la Haute Juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir. Elle soutenait que le refus implicite qui lui était opposé était entaché d’une erreur d’appréciation. Il était donc demandé au Conseil d’État de déterminer si le ministre chargé du travail peut légalement refuser d’étendre un avenant à une convention collective pour un motif d’intérêt général tiré de l’ambiguïté d’une clause qui en conditionne l’entrée en vigueur. À cette question, la juridiction administrative suprême répond par l’affirmative, jugeant que le ministre n’a pas commis d’erreur d’appréciation en refusant l’extension. Le Conseil d’État fonde sa solution sur le fait que l’équivocité des stipulations conditionnant l’application de l’avenant créait une insécurité juridique, constituant ainsi un motif d’intérêt général justifiant le refus. La Haute Juridiction administrative réaffirme ainsi l’étendue du pouvoir d’appréciation ministériel en matière d’extension des accords collectifs (I), tout en consacrant l’exigence de sécurité juridique comme un motif d’intérêt général justifiant un tel refus (II).

I. La confirmation du pouvoir d’appréciation ministériel en matière d’extension

Le Conseil d’État rappelle d’abord la nature du pouvoir que le ministre du travail détient en matière d’extension des conventions et accords collectifs, un pouvoir encadré mais qui demeure discrétionnaire (A), avant de contrôler que son exercice n’a pas été entaché, en l’espèce, d’une erreur manifeste d’appréciation (B).

A. Un pouvoir encadré mais discrétionnaire

La procédure d’extension, régie par les articles L. 2261-15 et suivants du code du travail, permet de rendre obligatoires les stipulations d’un accord collectif à tous les employeurs et salariés compris dans son champ d’application. Le ministre chargé du travail, lorsqu’il est saisi d’une demande, doit engager la procédure et recueillir l’avis de la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle. Son rôle ne se limite cependant pas à une simple validation formelle. Il doit s’assurer que l’accord ne contrevient à aucune disposition légale ou réglementaire. La décision commentée rappelle que, même lorsque l’accord satisfait à ces exigences de légalité, « le ministre n’est pas pour autant tenu de procéder à l’extension qui lui est demandée ». Il dispose d’un pouvoir d’appréciation qui lui permet de s’opposer à l’extension pour des motifs d’intérêt général, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir.

B. Le contrôle de l’erreur d’appréciation face à un motif d’intérêt général

Dans le cadre de son contrôle, le juge administratif examine si la décision du ministre n’est pas entachée d’une erreur d’appréciation au regard des motifs qui la fondent. En l’espèce, le ministre a opposé un refus implicite à la demande d’extension. Le Conseil d’État, pour valider cette position, examine la substance de l’avenant et identifie un motif d’intérêt général légitimant le refus. Il juge que le ministre a pu légalement considérer que l’ambiguïté des stipulations relatives à l’entrée en vigueur de l’avenant était de nature à justifier sa décision. En effet, en retenant que les stipulations litigieuses « étaient dépourvues de la clarté nécessaire pour garantir la sécurité juridique de l’entrée en vigueur de l’avenant », le Conseil d’État confirme que la préservation de la sécurité juridique constitue un motif d’intérêt général recevable. Le ministre a donc fait une exacte application du pouvoir qu’il tient du premier alinéa de l’article L. 2261-25 du code du travail sans commettre d’erreur dans son appréciation.

II. La consécration de la sécurité juridique comme condition implicite de l’extension

La solution retenue par le Conseil d’État repose entièrement sur l’analyse de la clause conditionnelle de l’avenant, dont le caractère équivoque est sanctionné (A), ce qui confère une portée notable à la décision en érigeant la clarté et la normativité des accords comme une condition de leur extension (B).

A. La sanction d’une clause conditionnelle équivoque

Le Conseil d’État procède à une analyse précise de l’article 7 de l’avenant, qui conditionnait son application à « l’obtention ou l’octroi de l’intégralité des financements par les pouvoirs publics ». Les juges relèvent que ces stipulations « ne déterminent pas clairement le niveau de financement nécessaire et la clef de répartition entre les différents financeurs ». Cette indétermination, aggravée par les interprétations divergentes des propres signataires de l’accord, rendait la condition suspensive particulièrement floue. Il en résultait une incertitude fondamentale sur le point de savoir si l’avenant entrerait un jour en vigueur, et à quelle date. Le Conseil d’État en déduit que cette « équivocité » fait « naître une ambiguïté quant à son applicabilité aux salariés et aux employeurs compris dans son champ d’application ». Une telle clause, qui ne pouvait être séparée de l’accord sans en modifier l’économie générale, viciait donc l’ensemble du texte en le privant de la prévisibilité nécessaire à toute norme juridique.

B. La portée de l’exigence de normativité pour les partenaires sociaux

Au-delà du cas d’espèce, la décision du Conseil d’État adresse un message clair aux partenaires sociaux. Pour qu’une convention ou un accord collectif puisse être étendu, et ainsi acquérir une portée générale et obligatoire, ses stipulations doivent présenter un degré suffisant de clarté et de précision. L’extension vise à créer du droit applicable à l’ensemble d’une branche professionnelle ; elle ne peut donc porter sur des dispositions dont l’applicabilité est elle-même incertaine. En validant le refus du ministre de donner force obligatoire à un accord dont l’entrée en vigueur dépend d’une condition externe et indéfinie, la Haute Juridiction pose une exigence de normativité. Les partenaires sociaux qui souhaitent voir leurs accords étendus sont ainsi incités à rédiger des clauses auto-exécutoires ou, à tout le moins, des conditions dont la réalisation puisse être objectivement et clairement constatée par tous les acteurs concernés. La sécurité juridique des salariés et des employeurs de la branche est à ce prix.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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