Le Conseil d’État, par une décision du 19 septembre 2025, précise le régime de responsabilité de la puissance publique en matière d’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi. Une société a sollicité l’indemnisation des préjudices résultant d’un refus d’homologation illégal prononcé le 11 février 2015 par le représentant de l’administration régionale du travail. Le Tribunal administratif de Bordeaux a initialement condamné l’État par un jugement du 30 juillet 2020. La Cour administrative d’appel de Bordeaux a ensuite annulé cette décision par un arrêt rendu le 30 novembre 2022.
La société requérante soutient que les erreurs commises par l’administration lors de l’examen du document sont constitutives d’une faute de nature à engager la responsabilité étatique. Le juge doit alors déterminer si la responsabilité de l’État peut être engagée sans faute lourde. Il convient aussi de vérifier si les illégalités relevées présentent une gravité suffisante pour justifier une indemnisation. Le Conseil d’État affirme que seule une faute lourde peut engager la responsabilité de la puissance publique dans ce domaine. Il annule l’arrêt d’appel pour une mauvaise appréciation de la gravité de l’excès de pouvoir constaté. L’examen du régime de la faute lourde précédera l’étude de l’appréciation concrète des illégalités par le juge.
I. L’exigence d’une faute lourde pour engager la responsabilité de l’État
A. Un régime de responsabilité justifié par la nature du contrôle administratif
Le juge affirme que la responsabilité de l’État ne peut être recherchée qu’en cas de faute lourde concernant les décisions relatives aux plans de sauvegarde. Cette solution découle de « l’objet et de la finalité du contrôle opéré par l’administration et au rôle qui lui est conféré » dans ce processus législatif. L’administration doit vérifier la conformité du plan aux dispositions légales ainsi que la régularité de la procédure de consultation des représentants du personnel. Elle exerce ainsi une mission d’intérêt général visant à concilier la liberté d’entreprendre avec la protection nécessaire des salariés. Le Conseil d’État considère que la complexité de ces missions impose le maintien d’un régime de responsabilité pour faute lourde.
B. La confirmation d’une protection juridique contre les aléas décisionnels
L’instauration de ce régime protège la puissance publique contre une indemnisation systématique en cas d’annulation pour simple erreur de droit lors de l’homologation. Le représentant de l’État doit formuler des observations pour éclairer l’employeur durant toute la phase d’élaboration du plan social. Cette implication constante dans la gestion sociale des entreprises rend l’action administrative délicate et sujette à d’importantes difficultés d’appréciation. Dès lors, l’exigence d’une gravité particulière apparaît comme une garantie nécessaire à la sérénité de l’exercice de ce pouvoir de police spéciale.
II. L’appréciation nuancée de la gravité des illégalités commises
A. L’exclusion de la faute lourde face aux incertitudes jurisprudentielles
La haute juridiction valide l’analyse de la Cour administrative d’appel de Bordeaux concernant le motif de refus tiré de l’irrégularité de la recherche de repreneurs. Elle souligne « l’absence, à la date de la décision administrative illégale, de détermination jurisprudentielle de l’étendue du contrôle de la régularité » par les services administratifs. L’administration ne saurait se voir reprocher une faute grave lorsqu’elle statue dans un contexte juridique encore flou et dépourvu de repères clairs. La prévisibilité du droit constitue donc un critère essentiel pour qualifier l’intensité de la défaillance de la puissance publique.
B. La caractérisation de la faute lourde par l’excès de pouvoir manifeste
Le Conseil d’État censure toutefois l’arrêt d’appel pour avoir écarté toute faute lourde s’agissant du second motif de refus relatif aux mesures d’accompagnement social. Certaines exigences formulées par l’administration « excédaient celles dont il appartient à l’administration, saisie d’une demande d’homologation, de contrôler la présence » au dossier. En imposant des mesures non prévues par le Code du travail, les services administratifs ont outrepassé les limites de leur compétence légale. Cette intrusion indue dans la gestion économique constitue une erreur grossière qui est de nature à engager la responsabilité pécuniaire de l’État.