4ème – 1ère chambres réunies du Conseil d’État, le 4 avril 2025, n°474714

Par un arrêt en date du 4 avril 2025, le Conseil d’État a précisé les conditions d’application des règles de transfert d’audience et d’ancienneté lors de la création d’une nouvelle organisation professionnelle d’employeurs. En l’espèce, une fédération patronale avait été constituée au début de l’année 2021 par le regroupement de trois chambres syndicales territoriales, lesquelles étaient auparavant des composantes d’une autre organisation d’envergure nationale. Souhaitant voir sa représentativité reconnue dans le champ de la convention collective du commerce de détail de l’habillement, cette nouvelle structure s’est heurtée à un refus.

Saisie d’un recours contre la décision ministérielle qui ne l’incluait pas dans la liste des organisations représentatives, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté la requête par un arrêt du 13 avril 2023. La fédération évincée a alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que le juge du fond avait commis une erreur de droit en ne lui permettant pas de bénéficier de l’audience de ses structures fondatrices. Le débat se concentrait sur l’interprétation des dispositions réglementaires permettant à une organisation issue d’un « regroupement » de se prévaloir de l’audience et de l’influence de ses membres préexistants.

Il était donc demandé au Conseil d’État de déterminer si une organisation professionnelle née de la scission de plusieurs structures territoriales affiliées à une fédération existante peut, pour l’établissement de sa représentativité, invoquer l’audience acquise par ces structures au sein de leur organisation d’origine.

Le Conseil d’État a rejeté le pourvoi, considérant que le mécanisme de transfert d’audience et d’ancienneté prévu par le code du travail ne s’applique pas dans une telle configuration. Il juge que ces dispositions visent le regroupement d’organisations professionnelles préexistantes et non la création d’une nouvelle organisation concurrente par des entités qui se sont détachées d’une structure nationale. La haute juridiction a ainsi estimé que la cour administrative d’appel n’avait pas commis d’erreur de droit en jugeant que la fédération requérante « n’est issue du regroupement que de certaines structures qui étaient précédemment membres d’une organisation professionnelle nationale d’employeurs et qui s’en sont détachées en vue de la création d’une nouvelle organisation professionnelle nationale d’employeurs concurrente ».

Cette solution, fondée sur une interprétation stricte des textes régissant la transmission des critères de représentativité (I), conduit à distinguer nettement le regroupement de la scission, emportant des conséquences notables pour la structuration du paysage syndical patronal (II).

I. Une interprétation stricte des conditions de transfert de la représentativité

Le Conseil d’État valide l’analyse de la cour administrative d’appel en s’appuyant sur une lecture littérale des conditions d’établissement de l’audience, refusant d’appliquer les règles de transfert à une situation de dissociation (A). Ce faisant, il consacre une distinction juridique claire entre la notion de regroupement et celle de scission (B).

A. Le refus d’une transmission de l’audience en cas de dissociation

La Haute Juridiction confirme d’abord le raisonnement temporel adopté par les juges du fond. Pour l’établissement de la représentativité, l’audience des organisations candidates était mesurée à une date fixée au 31 décembre 2019. Or, la fédération requérante n’a été juridiquement constituée que le 2 février 2021. De ce constat factuel, la cour avait logiquement déduit qu’aucune entreprise ne pouvait être adhérente à la nouvelle fédération à la date de référence, rendant son audience nulle.

Cette approche formaliste est directement issue des articles R. 2152-3 et R. 2152-8 du code du travail. Le Conseil d’État entérine cette position en relevant qu’à la date d’appréciation de l’audience, la fédération requérante n’ayant pas d’existence légale, elle ne pouvait se prévaloir d’aucune adhésion directe ou indirecte. Le mécanisme de prise en compte des adhésions à des organisations affiliées ne pouvait davantage jouer, puisqu’il suppose que l’organisation affiliée ait rendu publique son adhésion à l’organisation candidate avant la date butoir, ce qui était matériellement impossible. L’argumentation chronologique se suffisait donc à elle-même pour écarter la prétention de la requérante à une audience mesurable.

B. La distinction consacrée entre regroupement et scission

Le cœur du raisonnement du Conseil d’État réside dans l’interprétation de l’article R. 2151-1 du code du travail. Ce texte prévoit qu’une « organisation professionnelle d’employeurs issue du regroupement d’organisations professionnelles d’employeurs préexistantes » peut hériter de l’audience, de l’influence et de l’ancienneté de ses composantes. La fédération requérante estimait relever de ce cas de figure.

Toutefois, la haute juridiction administrative refuse d’appliquer ce dispositif favorable. Elle juge que ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque la nouvelle entité est issue de la seule dissociation de certaines structures qui étaient auparavant membres d’une même organisation nationale. La décision souligne que l’intention du législateur était de faciliter la consolidation d’organisations autonomes, et non d’organiser les conséquences d’une scission interne en vue de créer une structure « concurrente ». En d’autres termes, le « regroupement » suppose une union d’entités distinctes et indépendantes, tandis que la scission relève d’une logique de fragmentation d’un ensemble préexistant. En écartant l’application de ce texte, le juge administratif opère une distinction conceptuelle fondamentale, riche de conséquences.

II. La portée de la décision sur la dynamique du syndicalisme patronal

En définissant restrictivement le champ d’application du transfert de représentativité, cette décision tend à renforcer la position des organisations établies (A) tout en limitant les voies de création de nouveaux acteurs représentatifs issus de divisions internes (B).

A. La consolidation de la position des organisations établies

La solution retenue a pour effet direct de protéger les fédérations patronales existantes contre les risques de fragmentation. En refusant aux structures dissidentes la possibilité d’emporter avec elles l’audience qu’elles représentaient au sein de leur ancienne organisation, le Conseil d’État érige une barrière significative à la création de nouvelles entités concurrentes issues de scissions. Une telle démarche impose aux fondateurs de la nouvelle organisation de repartir de zéro pour construire leur représentativité sur un cycle de mesure complet.

Cette jurisprudence favorise la stabilité du dialogue social en décourageant les divisions internes qui pourraient conduire à une multiplication des interlocuteurs patronaux. Elle incite à résoudre les différends au sein des structures existantes plutôt que par la création de nouvelles entités. La valeur attachée à la décision est donc celle de la pérennité et de la solidité des corps intermédiaires. La critique pourrait porter sur une potentielle rigidité du paysage syndical, rendant plus difficile l’émergence de nouvelles sensibilités ou la contestation des lignes portées par les fédérations en place.

B. Des voies limitées pour la création de nouvelles entités représentatives

La portée de cet arrêt est également de clarifier les chemins possibles pour l’évolution du paysage syndical. Il en ressort que la création d’une organisation représentative ne peut se faire que par deux voies principales. La première est la création *ex nihilo*, qui impose de bâtir patiemment une base d’adhérents suffisante pour atteindre le seuil légal d’audience lors d’un futur cycle de mesure. La seconde est le regroupement d’organisations qui étaient déjà indépendantes, auquel cas le transfert de l’audience et de l’ancienneté est possible.

La voie de la scission avec transfert de représentativité est, quant à elle, fermée. Cette décision s’inscrit dans la continuité de l’esprit de la loi du 20 août 2008, qui visait à rationaliser et à renforcer les acteurs du dialogue social plutôt qu’à encourager leur émiettement. En conséquence, toute tentative de création d’une nouvelle fédération par des entités dissidentes devra désormais intégrer la nécessité de construire sa légitimité et son audience sur le long terme, sans pouvoir capitaliser sur l’historique de ses composantes au sein d’une structure antérieure.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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