Le Conseil d’État a rendu, le 6 mai 2025, une décision relative au transfert du contrat de travail d’un salarié protégé lors d’un changement de prestataire. Une entreprise a perdu un marché de gestion des déchets et a demandé l’autorisation de transférer le contrat d’un ancien délégué du personnel au nouvel attributaire. L’autorité administrative a autorisé ce transfert sur le fondement de l’article L. 1224-1 du code du travail après avoir écarté l’application d’un avenant conventionnel spécifique.
Le tribunal administratif de Nîmes a rejeté, par un jugement du 19 novembre 2020, la demande d’annulation de cette autorisation formée par la société d’accueil du salarié. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Toulouse a annulé ce jugement le 7 mars 2023 en considérant que la perte de marché excluait tout transfert légal. La question posée au Conseil d’État porte sur l’applicabilité de l’article L. 1224-1 du code du travail lorsqu’une entreprise succède à une autre pour l’exécution d’un service.
La Haute juridiction censure l’arrêt d’appel au motif que les juges du fond auraient dû rechercher si l’exécution du marché s’accompagnait du transfert d’une entité économique. L’analyse portera d’abord sur la réaffirmation du critère de l’entité économique autonome avant d’aborder la sanction d’une insuffisance de caractérisation juridique par les juges du fond.
I. La réaffirmation du critère de l’entité économique autonome
A. Une définition jurisprudentielle établie de l’entité économique
L’article L. 1224-1 du code du travail prévoit la poursuite des contrats de travail en cas de modification dans la situation juridique de l’employeur au jour de l’acte. La jurisprudence administrative rappelle qu’un transfert ne peut être légalement autorisé que s’il concerne une entité économique autonome conservant son identité propre chez le repreneur éventuel. Celle-ci constitue un « ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité qui poursuit un objectif propre » selon la définition classique. La simple succession de prestataires pour un même service ne suffit pas à caractériser l’existence d’un tel ensemble sans transfert de moyens d’exploitation humains ou matériels.
B. L’indifférence de la seule perte de marché sur la qualification
Le Conseil d’État souligne que « la perte d’un marché n’entraîne pas, en elle-même, le transfert des contrats de travail » liant initialement le personnel à l’ancien prestataire évincé. Cependant, cette circonstance ne saurait interdire systématiquement l’application du code du travail si les conditions matérielles d’un transfert d’entité sont effectivement réunies lors de la reprise. Le transfert d’un contrat de travail protégé reste subordonné à l’existence d’une unité économique dont l’activité réelle est poursuivie par le nouvel employeur de l’intéressé. Il appartient donc à l’administration de vérifier scrupuleusement si le changement de titulaire s’accompagne de la transmission d’éléments indispensables à la poursuite autonome de la prestation.
II. La sanction d’une insuffisance de caractérisation juridique
A. L’erreur de droit issue d’une exclusion automatique par le juge
La cour administrative d’appel de Toulouse avait jugé que les dispositions législatives ne s’appliquaient pas lorsqu’une entreprise perdait un marché de service repris par un tiers. Cette position créait une présomption d’inapplicabilité de l’article L. 1224-1 dès lors que la modification juridique résultait uniquement de la fin d’un contrat de prestation commerciale. Le Conseil d’État censure ce raisonnement car il dispense indûment le juge du fond de rechercher l’existence matérielle d’une entité économique autonome derrière la perte du marché. En statuant ainsi, la cour a méconnu l’exigence de contrôle concret imposée par la directive européenne et la loi nationale sur la protection des travailleurs en cas de transfert.
B. L’exigence d’une appréciation souveraine de l’ensemble des faits
L’arrêt commenté rappelle qu’il incombe à l’autorité administrative de « procéder à une appréciation de l’ensemble des circonstances de fait » avant de décider du transfert d’un contrat. Le juge de l’excès de pouvoir doit exercer un contrôle entier sur cette qualification juridique afin de garantir le respect des droits fondamentaux du salarié protégé en cause. La cour aurait dû identifier les éléments corporels éventuellement transmis pour déterminer si le marché de gestion des déchets constituait une entité économique autonome effectivement transférée. L’annulation de l’arrêt d’appel impose aux juges de renvoi d’analyser précisément la réalité du transfert des moyens d’exploitation entre l’employeur initial et le nouvel attributaire désigné.