4ème – 1ère chambres réunies du Conseil d’État, le 7 mars 2025, n°493310

Par un arrêt du 7 mars 2025, le Conseil d’État a précisé les modalités de fonctionnement d’une juridiction disciplinaire confrontée à une mise en cause de son impartialité. En l’espèce, des vétérinaires et leur société d’exercice firent l’objet de sanctions prononcées par la chambre régionale de discipline de l’ordre des vétérinaires. Saisie en appel par les praticiens sanctionnés ainsi que par le président du Conseil national de l’ordre, la chambre nationale de discipline fut confrontée à une demande de récusation visant plusieurs de ses membres. Ces derniers avaient en effet participé à une délibération antérieure du Conseil national ayant radié la société du tableau de l’ordre.

La procédure devant la juridiction d’appel prit alors une tournure singulière. La présidente de la chambre nationale de discipline, estimant impossible de constituer une formation de jugement impartiale conformément aux textes applicables, décida de ne pas statuer et de transmettre le dossier au Conseil d’État. Elle considérait que le respect de l’exigence d’impartialité faisait obstacle au tirage au sort des assesseurs requis. Le Conseil d’État se trouvait ainsi saisi non d’un pourvoi, mais d’une demande de jugement direct de l’affaire en raison d’un blocage institutionnel allégué.

Il revenait dès lors aux juges du Palais-Royal de déterminer les obligations procédurales qui incombent à une juridiction ordinale lorsqu’elle fait face à une contestation sérieuse de l’impartialité de sa composition. En d’autres termes, le juge administratif suprême devait définir si une telle situation justifiait un dessaisissement immédiat à son profit ou si la juridiction concernée devait au préalable épuiser les mécanismes internes permettant d’assurer la continuité du service de la justice.

À cette question, le Conseil d’État répond par une clarification rigoureuse de la marche à suivre. Il juge qu’avant de constater une impossibilité de juger, la chambre disciplinaire doit impérativement mettre en œuvre l’ensemble des règles de procédure à sa disposition pour former un collège impartial, même en format réduit. La transmission du dossier au Conseil d’État ne constitue qu’une solution ultime et exceptionnelle. En conséquence, il décide de renvoyer l’affaire à la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires.

Cette décision rappelle avec fermeté les devoirs incombant au juge disciplinaire pour garantir le droit à un procès équitable (I), tout en organisant une régulation pragmatique des dysfonctionnements juridictionnels afin d’éviter tout déni de justice (II).

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I. L’office du juge disciplinaire face à l’exigence d’impartialité

Le Conseil d’État réaffirme le caractère prépondérant du principe d’impartialité, tout en le conciliant avec l’obligation pour la juridiction de statuer. Il précise ainsi la hiérarchie des normes applicables à la composition du siège (A) et encadre strictement la faculté de la juridiction de se dessaisir de l’affaire (B).

A. La conciliation du principe d’impartialité et des règles de composition

Le Conseil d’État énonce d’abord que les règles relatives à la composition de la chambre nationale de discipline « n’ont pas pour objet ni ne sauraient avoir pour effet de faire échec au respect des règles devant assurer le respect du principe d’impartialité ». Cette affirmation établit une hiérarchie claire entre les dispositions réglementaires fixant le nombre de juges et un principe fondamental du procès. L’impartialité n’est pas une simple option, mais une condition substantielle de la validité du jugement.

La décision apporte toutefois une nuance importante. Elle juge que « la seule circonstance qu’un membre du Conseil national de l’ordre des vétérinaires se soit prononcé, en cette qualité, sur le non-respect, par une société vétérinaire inscrite au tableau de l’ordre, des dispositions » relatives à son inscription, « n’implique pas, par elle-même, que ce membre du Conseil national serait de parti pris ». Le Conseil d’État distingue ainsi la fonction administrative de contrôle de l’inscription au tableau de la fonction juridictionnelle disciplinaire. L’une ne préjuge pas de l’appréciation portée dans le cadre de l’autre, les manquements et les procédures étant de nature distincte. Cette dissociation prévient une interprétation extensive de la partialité qui paralyserait systématiquement les juridictions ordinales où les membres peuvent exercer plusieurs fonctions.

B. Le caractère subsidiaire du renvoi au Conseil d’État

La conséquence de cette primauté de l’exigence d’impartialité est que la juridiction doit activement rechercher une composition qui la respecte. Le Conseil d’État détaille une procédure séquentielle et obligatoire. Premièrement, la chambre doit statuer sur les demandes de récusation dont elle est saisie, ce qui n’avait pas été fait en l’espèce. Deuxièmement, si des récusations sont admises, elle doit vérifier si elle peut siéger dans une formation incomplète. Le Conseil d’État précise en effet qu’en l’absence de texte contraire, « la chambre nationale de discipline peut régulièrement statuer sur des poursuites disciplinaires dès lors que la majorité au moins de ses membres a siégé, soit au moins trois d’entre eux ».

Troisièmement, si le quorum n’est pas atteint après le premier tirage au sort des assesseurs, son président doit procéder à « au moins, un nouveau tirage au sort parmi les membres du Conseil national qui n’avaient pas déjà été tirés au sort afin de compléter la formation de jugement ». Ce n’est qu’en cas d’échec absolu de toutes ces étapes que la transmission au Conseil d’État peut être envisagée. Le renvoi n’est donc pas une faculté laissée à l’appréciation du juge disciplinaire, mais l’ultime recours après épuisement de toutes les voies procédurales internes.

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II. La régulation pragmatique du fonctionnement des juridictions ordinales

Au-delà de son aspect procédural, la décision révèle une volonté du Conseil d’État d’assurer la continuité de la justice disciplinaire par des solutions pragmatiques. Elle offre ainsi un mode d’emploi destiné à prévenir la paralysie des instances (A) et réaffirme par là même le rôle régulateur de la haute juridiction administrative (B).

A. Une solution d’équilibre pour éviter le déni de justice

En autorisant expressément la chambre de discipline à siéger en formation réduite, le Conseil d’État propose une solution d’équilibre. Il préserve l’exigence fondamentale d’impartialité sans pour autant créer une situation de blocage qui équivaudrait à un déni de justice pour les parties. La règle du quorum majoritaire, fixée à trois membres dont le président, apparaît comme une garantie suffisante du caractère collégial et équitable de la décision.

Cette approche pragmatique se manifeste dans l’obligation faite au président de la chambre de procéder à des tirages au sort successifs. Le Conseil d’État refuse que la juridiction se déclare trop rapidement dans l’incapacité de juger. Il impose une diligence active pour constituer un siège, même si sa composition n’est pas celle, idéale, prévue par les textes. La légalité formelle cède ici le pas à la nécessité fonctionnelle, sous réserve du respect des garanties fondamentales. La justice ordinale doit pouvoir fonctionner, y compris dans des circonstances difficiles.

B. La portée didactique de l’arrêt à l’égard des juridictions spécialisées

Cette décision a une portée qui dépasse largement le cas de l’ordre des vétérinaires. Elle s’adresse à l’ensemble des juridictions administratives spécialisées, notamment les instances disciplinaires ordinales, qui peuvent être confrontées à des problématiques similaires. Le Conseil d’État leur délivre une méthode claire et unifiée pour gérer les conflits liés à l’impartialité, renforçant ainsi la sécurité juridique.

En définissant les conditions de son intervention, la haute juridiction réaffirme son rôle de régulateur de l’ordre juridictionnel administratif. Elle n’entend pas se substituer aux juges du fond, sauf en cas d’impossibilité avérée et dûment constatée. Ce faisant, elle garantit l’autonomie de ces juridictions tout en s’assurant qu’elles exercent pleinement leur office. L’arrêt constitue un rappel à l’ordre pédagogique, invitant les juridictions spécialisées à assumer leurs responsabilités, même lorsque la situation est complexe, et à ne solliciter le juge suprême qu’en dernier ressort.

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