4ème – 1ère chambres réunies du Conseil d’État, le 7 mars 2025, n°495103

Le Conseil d’État a rendu, le 7 mars 2025, la décision n° 495103 précisant les critères de compétence du juge administratif face aux actes d’organismes privés. Le litige concernait le refus de délivrer une attestation de compétence pour des formateurs en prévention des risques liés à l’amiante. Une formatrice et sa société ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes afin de suspendre l’exécution de ces refus. L’ordonnance n° 2402839 du 27 mai 2024 a rejeté la demande au motif que la juridiction administrative était manifestement incompétente pour en connaître. Les requérantes ont alors formé un pourvoi en cassation devant la Haute juridiction administrative afin d’obtenir l’annulation de cette décision juridictionnelle. La question posée était de savoir si les décisions de certification prises par des organismes privés chargés d’une mission d’intérêt général constituent des actes administratifs. Le Conseil d’État rejette le pourvoi en considérant que ces actes ne traduisent l’exercice d’aucune prérogative de puissance publique justifiant la compétence administrative.

I. L’identification d’une mission d’intérêt général

A. La consécration d’une activité tournée vers l’utilité publique

La Haute juridiction souligne que les organismes chargés de la formation des acteurs de la prévention assurent une mission d’intérêt général. Cette mission vise l’amélioration de la sécurité et de l’hygiène du travail ainsi que la prévention des accidents et des maladies professionnelles. L’arrêt précise que cet institut « élabore notamment les programmes et les méthodes de formation des acteurs de la prévention » sous contrôle public. L’utilité sociale de l’activité est ainsi reconnue par le juge administratif sans pour autant entraîner automatiquement sa propre compétence. Cette qualification de mission d’intérêt général s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence classique distinguant le service public de la puissance publique.

B. Un encadrement strict par les autorités étatiques

L’activité de ces organismes privés s’exerce suivant les directives d’une caisse nationale sous le contrôle effectif du ministre chargé de la sécurité sociale. Le juge relève que l’organisme contribue à la promotion de la prévention dans les entreprises adhérentes pour améliorer les conditions de travail. Cette insertion dans un cadre réglementaire rigoureux démontre une volonté de réguler étroitement les formations liées aux risques industriels majeurs comme l’amiante. La dimension de service public technique est caractérisée par le Conseil d’État afin de situer précisément le rôle de ces entités privées. La nature juridique des décisions individuelles prises par ces organismes reste pourtant au cœur de l’interrogation de la juridiction saisie.

II. L’absence de prérogatives de puissance publique comme limite à la compétence administrative

A. Le caractère déterminant du critère des prérogatives de puissance publique

Le Conseil d’État écarte la compétence administrative car la décision de délivrance d’une attestation « ne traduit l’exercice d’aucune prérogative de puissance publique ». Pour qu’un organisme privé puisse émettre un acte administratif, il doit nécessairement disposer de pouvoirs exorbitants du droit commun lors de son action. La validation d’une évaluation de compétences techniques ne s’apparente pas ici à l’exercice d’une autorité souveraine déléguée par l’État. La Haute juridiction maintient une interprétation stricte du critère matériel nécessaire pour qualifier un acte de décision administrative unilatérale soumise à son contrôle. L’absence de pouvoirs de contrainte ou de privilèges particuliers prive l’acte de sa dimension administrative malgré l’intérêt général de la mission poursuivie.

B. La confirmation de l’incompétence manifeste de la juridiction administrative

L’ordonnance du juge des référés est confirmée car le litige ne relève pas manifestement de la compétence de la juridiction administrative de droit commun. Cette solution protège la distinction fondamentale entre la gestion privée d’une mission d’intérêt général et l’exercice effectif de la puissance publique d’État. Le rejet du pourvoi signifie que les refus de certification doivent être contestés devant les juridictions de l’ordre judiciaire compétentes pour les contrats privés. Cette décision apporte une sécurité juridique bienvenue pour les organismes de formation dont les décisions de certification ne sont pas des actes administratifs. La jurisprudence rappelle enfin que l’intérêt général n’est pas le seul critère de la compétence administrative dans le silence des textes applicables.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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