Par un arrêt en date du 15 mai 2025, le Conseil d’État a précisé les contours du contrôle exercé par le juge de l’excès de pouvoir sur une procédure de promotion interne dérogatoire permettant à des maîtres de conférences d’accéder au corps des professeurs des universités. En l’espèce, un maître de conférences titulaire de l’habilitation à diriger des recherches avait postulé à une promotion interne au sein d’une université parisienne, dans le cadre d’un dispositif temporaire. Son établissement avait ouvert deux postes pour sa discipline au titre des années 2021 et 2022. L’enseignant-chercheur fut informé que sa candidature n’avait pas été retenue pour une audition par le comité de sélection. Deux autres candidats furent finalement nommés par un décret du Président de la République. Après le rejet implicite de son recours gracieux par la présidence de l’université, le requérant a saisi la juridiction administrative d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ce décret de nomination. Il soutenait notamment que l’appréciation de ses mérites par les instances d’évaluation était entachée d’erreur, que la procédure était irrégulière et qu’elle révélait une discrimination à son égard. Le Conseil d’État était ainsi conduit à s’interroger sur l’étendue de son contrôle sur les différentes étapes de cette procédure spécifique, allant de l’évaluation des dossiers par les instances académiques jusqu’à la proposition de nomination par le chef d’établissement. La Haute Juridiction administrative rejette la requête, en affirmant que l’appréciation des mérites d’un candidat par le conseil académique revêt un caractère souverain insusceptible de discussion devant le juge, tout en confirmant que ce dernier exerce un contrôle sur la régularité de la procédure et l’absence de détournement de pouvoir.
Cette décision illustre la répartition du contrôle juridictionnel sur les procédures de promotion universitaire, en distinguant nettement la phase d’évaluation scientifique de la phase de décision administrative. Il convient ainsi d’examiner la consécration d’un contrôle juridictionnel restreint sur le processus d’évaluation (I), avant d’analyser la portée du pouvoir d’appréciation, quoique encadré, du chef d’établissement (II).
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I. La consécration d’un contrôle juridictionnel restreint sur le processus d’évaluation
Le Conseil d’État, fidèle à sa jurisprudence traditionnelle en matière d’évaluation par les pairs, refuse de se substituer aux instances académiques pour juger de la valeur des candidats, réaffirmant ainsi le principe de leur appréciation souveraine (A). Il se limite en conséquence à un contrôle de la régularité formelle de la procédure mise en œuvre pour parvenir à cette évaluation (B).
A. Le refus de contrôler l’appréciation souveraine du mérite des candidats
La Haute Juridiction énonce de manière explicite que « l’appréciation souveraine portée par le conseil académique en formation restreinte sur les mérites d’un candidat au regard des critères fixés par le décret du 20 décembre 2021 susvisé est insusceptible d’être contrôlée par le juge de l’excès de pouvoir ». Cette position consacre une immunité juridictionnelle quant au fond de l’évaluation scientifique et pédagogique des enseignants-chercheurs. Le juge administratif se refuse ainsi à porter un jugement sur la qualité de l’investissement pédagogique, de l’activité scientifique ou des tâches d’intérêt général d’un candidat, considérant que seules les instances composées de ses pairs sont légitimes pour le faire.
En l’espèce, le requérant contestait l’avis « réservé » émis par le conseil académique sur son investissement dans des tâches d’intérêt général au titre de son aptitude professionnelle. Le Conseil d’État déclare ce moyen inopérant, coupant court à toute discussion sur le bien-fondé de cette évaluation. De même, il écarte l’argument tiré d’une prétendue erreur d’appréciation commise par l’une des rapporteures, rappelant que l’instance collégiale n’est aucunement liée par les rapports qui lui sont présentés et qui ne servent qu’à éclairer sa décision. Cette solution protège l’autonomie du pouvoir d’appréciation des organes universitaires et préserve la collégialité de la décision.
B. La vérification de la régularité formelle de la procédure d’évaluation
Si le juge se refuse à contrôler le fond de l’évaluation, il s’assure en revanche du strict respect des règles de procédure qui l’encadrent. Ce contrôle de la légalité externe constitue la garantie d’une procédure équitable pour l’ensemble des candidats. Le Conseil d’État examine ainsi avec attention les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions réglementaires régissant la composition et le fonctionnement des instances.
Le requérant soutenait par exemple que les rapporteures désignées par le conseil académique n’étaient pas des spécialistes de sa discipline. Le juge vérifie alors concrètement leur appartenance sectionnelle au Conseil national des universités et constate qu’elles relevaient bien de la même section que le candidat. Il en déduit que l’exigence d’une désignation de « spécialistes de la discipline » était satisfaite, sans qu’il soit nécessaire que ces derniers partagent l’exacte spécialité de recherche du candidat. Par ailleurs, le juge écarte le grief relatif à l’absence de communication d’un procès-verbal des délibérations, en constatant qu’aucune disposition n’imposait l’établissement d’un tel document. Le contrôle de la régularité procédurale demeure donc entier, mais il ne peut prospérer que si une règle précise a été effectivement méconnue.
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II. Un pouvoir d’appréciation encadré du chef d’établissement
Au-delà de la phase d’évaluation, la décision finale de proposition appartient au chef d’établissement, qui dispose d’un pouvoir de choix propre (A). Ce pouvoir n’est cependant pas absolu, le juge administratif veillant à le prémunir contre tout exercice arbitraire en vérifiant l’absence de détournement de pouvoir (B).
A. La confirmation d’un pouvoir de choix propre au chef d’établissement
La procédure de promotion interne examinée confère un rôle central au chef d’établissement. C’est lui qui, en cas d’égalité entre plus de quatre candidats, doit arrêter la liste de ceux qui seront auditionnés. Il le fait en se fondant sur les lignes directrices de gestion puis, si nécessaire, en exerçant son « pouvoir d’appréciation ». Surtout, à l’issue des auditions, c’est lui qui « établit la liste des candidats dont la nomination est proposée ». La décision précise qu’il agit en tenant compte des avis des instances consultatives, mais « sans renoncer à son pouvoir d’appréciation ».
Cette formule, issue des textes réglementaires, signifie que le président de l’université n’est pas lié par les classements issus des évaluations académiques. Il conserve une marge de manœuvre pour opérer un choix final qui peut prendre en compte des considérations liées à la politique de l’établissement, sous réserve de ne pas dénaturer l’évaluation scientifique. La décision le rappelle en des termes particulièrement clairs en précisant que le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs s’oppose à ce que le président se fonde sur des motifs étrangers à la bonne administration de l’université, et notamment à ce qu’il substitue sa propre évaluation scientifique à celle des instances compétentes.
B. Les garanties contre un exercice arbitraire de ce pouvoir
Ce pouvoir discrétionnaire ne saurait être synonyme d’arbitraire. Le juge de l’excès de pouvoir conserve en effet la faculté de sanctionner un éventuel détournement de pouvoir. Cette notion permet de censurer une décision qui, bien que légale en apparence, a été prise dans un but autre que celui pour lequel les pouvoirs ont été conférés à son auteur.
Dans la présente affaire, le requérant invoquait une discrimination fondée sur son sexe. Le Conseil d’État examine ce moyen au fond, ce qui confirme que de tels griefs entrent bien dans son champ de contrôle. Bien qu’il conclue en l’espèce que le détournement de pouvoir « n’est pas établi », la simple existence de ce contrôle constitue une garantie fondamentale pour les candidats. Le chef d’établissement ne peut donc utiliser son pouvoir de nomination pour des motifs discriminatoires, pour régler des comptes personnels ou pour toute autre raison étrangère à l’intérêt du service public de l’enseignement supérieur. Le pouvoir de choix du président est donc un pouvoir final de gestion, exercé sous le contrôle du juge, et non une prérogative absolue.