4ème chambre du Conseil d’État, le 22 mai 2025, n°494096

Par une décision rendue le 22 mai 2025, le Conseil d’État précise l’étendue des garanties procédurales dues aux professionnels devant les juridictions disciplinaires administratives. Un praticien a fait l’objet d’une plainte déposée par l’autorité ordinale nationale devant la chambre disciplinaire de première instance d’Auvergne-Rhône-Alpes. Par une sentence du 22 mars 2022, la juridiction ordinale de première instance a prononcé la radiation du tableau à l’encontre du médecin mis en cause. La chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a rejeté l’appel formé par l’intéressé par une décision juridictionnelle rendue le 20 décembre 2023. Le requérant a formé un pourvoi en cassation en soutenant qu’il n’avait pas été informé de son droit de se taire durant l’instance disciplinaire. La haute juridiction administrative devait alors déterminer si l’absence d’information préalable sur la faculté de ne pas s’auto-incriminer entache d’irrégularité une sanction ordinale. Les juges du Palais-Royal affirment que toute personne poursuivie doit être avisée de son droit de se taire lors de l’instruction et de l’audience. Le Conseil d’État consacre ainsi l’existence d’un droit fondamental au silence en matière disciplinaire dont il définit rigoureusement les modalités de mise en œuvre.

I. L’affirmation d’un droit fondamental au silence en matière disciplinaire

A. Le fondement constitutionnel du droit de ne pas s’auto-incriminer

Le Conseil d’État fonde sa solution sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 relative à la présomption d’innocence. Selon cette disposition, « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable », toute rigueur non nécessaire doit être réprimée par la loi. La jurisprudence déduit de ce texte le principe fondamental selon lequel nul n’est tenu de s’accuser soi-même lors d’une procédure de jugement répressive. Le droit de se taire constitue le corollaire direct de l’interdiction de l’auto-incrimination au sein du bloc de constitutionnalité dont le juge administratif assure le respect. Cette protection garantit l’équilibre entre les prérogatives de poursuite de l’institution ordinale et les droits individuels fondamentaux du professionnel de santé mis en cause.

B. L’extension du principe aux sanctions revêtant le caractère d’une punition

La portée du droit au silence s’étend désormais au-delà de la sphère pénale pour englober les mesures administratives ayant la nature d’une punition. Le juge administratif rappelle que « ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition ». La radiation du tableau constitue manifestement une mesure disciplinaire dont la sévérité justifie l’application pleine et entière des principes protecteurs attachés au procès équitable. Cette qualification juridique oblige les instances spécialisées à respecter des standards de protection analogues à ceux prévalant devant le juge pénal ou les autorités de régulation. L’unité du droit de la punition se trouve renforcée par cette exigence de loyauté dont l’effectivité repose sur un encadrement strict de la procédure disciplinaire.

II. Les conséquences procédurales de l’obligation d’information préalable

A. Le régime d’information lors de l’instruction et de l’audience

L’obligation d’information doit être scrupuleusement respectée à chaque étape cruciale de la procédure disciplinaire pour garantir l’exercice effectif des droits de la défense. Le professionnel « doit être avisé qu’elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l’instruction que lors de sa comparution ». Cette exigence s’impose même en l’absence de texte explicite dans le code de la santé publique, en vertu des principes supérieurs du droit administratif. Le renouvellement de cet avis lors de l’instance d’appel est indispensable, quelles que soient les notifications effectuées lors des phases antérieures du litige disciplinaire. Le juge veille ainsi à ce que le consentement du requérant à s’exprimer soit éclairé par la connaissance de ses prérogatives juridiques durant les débats.

B. La sanction de l’irrégularité et l’appréciation de l’existence d’un grief

L’absence d’avertissement préalable entache d’irrégularité la décision de sanction, sauf s’il est prouvé que l’intéressé n’a tenu aucun propos susceptible de lui préjudicier. En l’espèce, le requérant a comparu devant la juridiction nationale sans recevoir l’information nécessaire relative à sa faculté légale de ne pas s’exprimer librement. Le Conseil d’État relève qu’il n’est pas démontré que ce défaut d’avis est resté sans incidence sur le sens de la décision finale de radiation. La circonstance que la matérialité des faits soit déjà constatée par le juge pénal ne dispense pas la juridiction ordinale de cette formalité substantielle. La décision de la chambre disciplinaire nationale est donc annulée, illustrant la vigilance du juge envers le respect des libertés fondamentales du praticien poursuivi.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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