4ème chambre du Conseil d’État, le 23 avril 2025, n°500805

Par une décision rendue le 23 avril 2025, le Conseil d’État, statuant en tant que juge des référés, a été amené à se prononcer sur les conditions de mise en œuvre du sursis à exécution d’une décision juridictionnelle. En l’espèce, un praticien s’était vu infliger par la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins une sanction d’interdiction d’exercer la médecine pour une durée de trois ans. Saisie sur appel de cette décision par le praticien et par le Conseil national de l’ordre des médecins, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a, par une décision du 26 septembre 2024, rejeté l’appel du praticien mais accueilli celui de l’ordre professionnel. Réformant la décision de première instance, elle a ainsi prononcé à l’encontre de l’intéressé la sanction de la radiation du tableau de l’ordre des médecins. Le praticien a alors formé un pourvoi en cassation contre cette décision et a saisi, dans le même temps, le juge des référés du Conseil d’État d’une demande de sursis à exécution de ladite sanction. Il soutenait à cette fin que la sanction prononcée était hors de proportion avec les fautes qui lui étaient reprochées. Il appartenait donc au Conseil d’État de déterminer si le moyen tiré d’une disproportion alléguée de la sanction était de nature à constituer un moyen sérieux justifiant que l’exécution de la décision de radiation soit suspendue. À cette question, le juge des référés répond par la négative, considérant que le moyen invoqué n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier l’annulation de la décision et l’infirmation de la solution retenue par les juges du fond. Faute pour l’une des conditions cumulatives de l’article R. 821-5 du code de justice administrative d’être remplie, la haute juridiction rejette la requête sans même examiner l’existence de conséquences difficilement réparables.

Cette décision illustre avec rigueur la mécanique procédurale du sursis à exécution et le contrôle restreint opéré par le juge de cassation à ce stade. Elle réaffirme ainsi le caractère strict des conditions d’octroi du sursis, fondé sur une appréciation souveraine du caractère sérieux du moyen invoqué (I), tout en confirmant la portée limitée du contrôle de la proportionnalité d’une sanction dans ce cadre procédural spécifique (II).

I. Une application rigoureuse des conditions du sursis à exécution

La décision commentée témoigne d’une stricte orthodoxie juridique dans l’application des critères régissant le sursis à exécution, en rappelant d’abord leur caractère cumulatif (A) avant de faire du défaut de moyen sérieux un obstacle dirimant et suffisant au succès de la requête (B).

A. Le rappel des conditions cumulatives et restrictives

Le Conseil d’État fonde son raisonnement sur une lecture littérale de l’article R. 821-5 du code de justice administrative, dont il prend soin de citer le premier alinéa. Ce texte subordonne l’octroi du sursis à exécution à la réunion de deux conditions distinctes qui doivent être impérativement satisfaites ensemble. D’une part, la décision contestée doit risquer « d’entraîner des conséquences difficilement réparables » pour le requérant. D’autre part, les moyens soulevés à l’appui du pourvoi en cassation doivent paraître « sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation de la décision juridictionnelle rendue en dernier ressort, l’infirmation de la solution retenue par les juges du fond ». La présente décision, par sa structure même, met en exergue le caractère cumulatif de ces exigences.

En effet, le juge des référés se livre à un examen successif, en commençant par l’analyse de la seconde condition, relative au caractère sérieux du moyen. Cette approche, classique, permet au juge de ne pas avoir à statuer sur la première condition si la seconde n’est pas remplie, et inversement. Le caractère restrictif de ce mécanisme est ainsi souligné : il ne suffit pas pour le requérant de démontrer qu’il subit un préjudice grave et immédiat, il doit également convaincre le juge de la robustesse de son argumentation juridique au fond.

B. Le caractère dirimant de l’absence de moyen sérieux

Le cœur de la décision réside dans l’appréciation portée par le Conseil d’État sur l’unique moyen soulevé par le requérant, tiré de la disproportion de la sanction de radiation. Le juge considère que ce moyen « n’apparaissant pas, en l’état de l’instruction, sérieux ». Cette formule, bien que concise, est lourde de conséquences. Elle signifie qu’au regard des pièces du dossier et sans préjuger de ce que sera la solution au fond, le juge des référés n’est pas convaincu de la forte probabilité de succès du pourvoi en cassation. L’argument avancé ne présente pas, à ce stade, une solidité suffisante pour remettre en cause la décision des juges du fond.

Cette constatation suffit à elle seule à sceller le sort de la requête. Le Conseil d’État en tire la conclusion logique que « l’une des conditions posées par l’article R. 821-5 du code de justice administrative n’est pas remplie ». En conséquence, et par une application rigoureuse de l’économie de moyens, il précise qu’il n’est « pas besoin de se prononcer sur l’autre condition ». L’absence de moyen jugé sérieux constitue ainsi un filtre décisif qui rend inopérant l’examen du risque de conséquences difficilement réparables, quand bien même la radiation d’un professionnel emporte des effets particulièrement graves et évidents.

II. Un contrôle restreint de la proportionnalité de la sanction

Au-delà de sa logique procédurale, la décision révèle la nature du contrôle que le juge du sursis à exécution exerce sur l’appréciation de la proportionnalité d’une sanction, un contrôle qui apparaît particulièrement mesuré à ce stade (A) et qui confirme le caractère exceptionnel de la suspension d’une sanction disciplinaire (B).

A. La déférence envers l’appréciation des juges du fond

En qualifiant de non sérieux le moyen tiré de la disproportion de la sanction, le Conseil d’État ne se prononce pas sur le fond de l’affaire. Il opère une appréciation prima facie de l’argumentation du requérant. Ce faisant, il manifeste une certaine déférence à l’égard de l’analyse opérée par la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins. Il faut comprendre que le juge du sursis n’est pas le juge du fond de la cassation ; son office est d’évaluer la probabilité qu’une censure intervienne, non de l’opérer. Le contrôle de proportionnalité, qui relève en principe du plein contentieux des juges du fond, ne sera exercé par le juge de cassation que dans le cadre de la dénaturation ou de l’erreur de droit.

Pour qu’un moyen tiré de la disproportion soit jugé « sérieux », il faudrait vraisemblablement que la sanction apparaisse manifestement et de manière évidente comme étant sans aucun rapport avec la gravité des manquements reprochés. En l’absence d’une telle évidence, le juge du sursis se garde de substituer son appréciation à celle des instances disciplinaires, dont c’est la mission première que de déterminer la sanction adéquate. La décision suggère donc que, sauf erreur flagrante, le débat sur la juste proportion de la peine est renvoyé à l’instruction au fond du pourvoi.

B. La confirmation du caractère exécutoire des sanctions disciplinaires

Cette solution, bien qu’étant une décision d’espèce, s’inscrit dans une logique jurisprudentielle constante qui vise à préserver le caractère exécutoire des décisions de justice, y compris des décisions disciplinaires. Le sursis à exécution demeure une procédure d’exception. En refusant de suspendre la radiation, le Conseil d’État confère sa pleine effectivité à la décision de la juridiction ordinale, dont le but est d’écarter de la profession un praticien dont le comportement a été jugé incompatible avec les devoirs déontologiques. Admettre trop largement le sursis reviendrait à priver ces décisions de leur portée immédiate et à affaiblir l’autorité des ordres professionnels.

Ainsi, la décision réaffirme implicitement que l’intérêt général qui s’attache à la protection de la santé publique et au respect de la déontologie médicale peut primer, au stade du référé, sur l’intérêt particulier du praticien, même lorsque les conséquences sont pour lui difficilement réparables. La radiation prend effet immédiatement, et il appartiendra au requérant d’attendre l’issue, par définition incertaine, de son pourvoi au fond pour espérer, le cas échéant, une annulation de la sanction.

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Hassan KOHEN
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