Par une décision du 25 février 2025, le Conseil d’Etat précise les conditions d’engagement de la responsabilité de la puissance publique en raison de la lenteur de la justice.
Un litige opposait une société à un salarié dont le licenciement avait été autorisé par une décision de l’autorité ministérielle en date du 29 mai 2019.
Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet acte par un jugement du 15 septembre 2022, après trois ans et un mois d’instruction environ. La cour administrative d’appel de Versailles a confirmé cette annulation le 29 mars 2024, au terme d’une procédure d’appel ayant duré seize mois. La société requérante a saisi la haute juridiction d’un recours indemnitaire pour obtenir réparation du préjudice résultant de la durée globale de ce litige.
La juridiction doit décider si l’excès de délai constaté lors d’une phase de jugement isolée justifie l’indemnisation du justiciable malgré une durée totale correcte. Le Conseil d’Etat affirme que la responsabilité étatique est engagée si la durée d’une seule instance a, par elle-même, présenté un caractère manifestement déraisonnable.
L’étude de la caractérisation du manquement au délai raisonnable précédera celle des modalités de la réparation du préjudice reconnu par le juge administratif.
I. La caractérisation de la méconnaissance du délai raisonnable de jugement
A. Les critères d’appréciation de la célérité juridictionnelle
Le Conseil d’Etat rappelle que « les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable » selon les principes généraux du droit. L’appréciation du délai doit s’opérer de manière globale et concrète en tenant compte de la complexité de l’affaire et du comportement des parties en litige.
Dans cette espèce, les magistrats soulignent que l’intérêt du justiciable à voir son affaire tranchée rapidement constitue un critère essentiel pour évaluer la célérité requise. La nature disciplinaire du licenciement en cause exigeait une attention particulière quant à la rapidité du traitement judiciaire de la requête par les juridictions saisies. La définition de ces critères généraux permet alors au juge d’isoler le comportement d’une juridiction particulière au sein de la chaîne procédurale.
B. L’indépendance de la durée excessive d’une instance spécifique
La décision innove en précisant que la responsabilité peut naître même si la durée totale de la procédure n’a pas excédé les limites raisonnables. La haute juridiction dispose que la responsabilité est engagée « si la durée de l’une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive » en l’espèce.
En l’occurrence, la première instance devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a duré plus de trois ans malgré l’absence de complexité technique majeure. Le juge administratif isole ainsi la faute commise par une juridiction spécifique sans que la diligence des juges d’appel ne puisse effacer le retard. Une fois le manquement au délai raisonnable établi, il convient d’analyser la mise en œuvre de la responsabilité pécuniaire de la puissance publique.
II. Le régime de la responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux
A. La qualification du recours indemnitaire en plein contentieux
Le recours indemnitaire dirigé contre le silence de l’autorité ministérielle revêt la nature d’un recours de plein contentieux devant le juge de la responsabilité. Le Conseil d’Etat considère que les éventuels vices propres de la décision de rejet préalable sont sans incidence sur la solution apportée au litige.
Le magistrat se prononce directement sur les droits à l’indemnisation en substituant son appréciation à celle de l’administration mise en cause par l’action. Cette qualification procédurale garantit aux justiciables une protection efficace de leur droit au délai raisonnable conformément aux exigences de la convention européenne. Le cadre procédural du plein contentieux étant fixé, le juge procède enfin à la détermination exacte du montant de l’indemnisation du dommage.
B. L’évaluation souveraine du préjudice par le juge administratif
La réparation octroyée par le juge administratif couvre l’ensemble des dommages matériels et moraux à la condition qu’ils présentent un caractère direct et certain. La société sollicitait une somme de dix mille euros, mais le Conseil d’Etat procède à une « juste appréciation du préjudice » en limitant l’indemnité.
Le montant de mille euros retenu par les juges du Palais-Royal sanctionne uniquement le retard constaté lors de la phase de jugement en première instance. Cette condamnation modérée souligne la volonté du juge de compenser le dysfonctionnement du service public de la justice tout en évitant tout enrichissement sans cause.